Pourquoi racontons-nous notre vie sur Facebook ? Pourquoi remplissons-nous quantité de formulaires sur Internet ? Pourquoi ne cryptons-nous pas tous nos e-mails ? Chercheur et maître de conférences en économie à l’université de Paris-Sud, Fabrice Rochelandet publie un petit ouvrage très didactique sur le comportement des gens face à leurs données personnelles*. Une bonne partie est évidemment consacrée à Internet et à l’économie numérique. Entretien.
01net. : Dans votre livre, vous soulignez le fait que les internautes, tout en sachant très bien qu’il y a des risques à poster des informations personnelles, sur Facebook ou ailleurs, le font quand même. Quelle en est la raison ?
Fabrice Rochelandet : C’est vrai, les gens sont conscients que c’est un vrai problème. Même les adolescents, dont il est souvent dit qu’ils sont au contraire insouciants. Il y a plusieurs facteurs qui font que les gens s’exposent malgré tout. D’abord, sur les réseaux sociaux, c’est en dévoilant des choses sur soi que l’on crée du lien. C’est même l’ingrédient sine qua non.
Ce qui est moins rationnel, c’est que les gens divulguent beaucoup de choses. Ce peut être parce que les autres le font ; du coup, on a l’impression que si tout le monde le fait, il y a moins de risques. Certains internautes dévoilent aussi beaucoup de choses mais par bribes, sur différents sites. Ils n’ont pas conscience que tout peut être reconstitué.
Et puis, même s’il est imprudent de trop se dévoiler, on ne sait pas quand cela va se retourner contre soi, ni comment. C’est diffus. Enfin, il ne faut pas oublier le petit plaisir immédiat qu’il y a à s’épancher !
Sur Facebook ou sur Google, il existe des conditions générales d’utilisation. Leur lecture peut-elle rendre les gens plus prudents ?
Personne ne les lit, à part quelques chercheurs et juristes. Facebook propose aussi de se protéger avec une cinquantaine de cases à cocher pour restreindre l’accès aux informations. Il existe également des outils de cryptage, d’anonymisation, etc., mais les gens ont tendance à ne pas utiliser ces systèmes de protection. Et puis si personne autour de vous n’adopte ce genre d’outils, vous n’avez pas envie d’être le seul à le faire.
La gratuité aide-t-elle à faire passer la pilule ?
Oui, mais, sur Internet, rien n’est gratuit. On nous offre plein de services mais c’est en échange de la collecte d’un maximum de données. C’est là-dessus que se fondent beaucoup de modèles économiques. Mais ces modèles sont fragiles, Facebook n’est toujours pas rentable, par exemple. D’ailleurs, il arrive que les internautes protestent contre certaines initiatives impliquant leurs données personnelles, et on a vu des sociétés faire marche arrière, comme avec Google Buzz. Parce qu’au fond la méfiance des internautes fragilise encore plus le modèle économique.
Les internautes deviendraient-ils plus vigilants ?
C’est le bon côté du Web communautaire. Dès que quelque chose de nouveau se passe, il y a un effet « buzz » immédiat. Les réactions des internautes vont faire reculer les sociétés. Qui tenteront quelque chose d’autre plus tard, puis elles reculeront à nouveau, puis elles retenteront quelque chose, etc. Finalement, les gens se laisseront faire à l’usure.
Mais je ne crois pas du tout à la fin de la vie privée sur Internet. Simplement, cette notion évolue. Les gens ont à leur disposition de plus en plus de services pour correspondre, tisser des relations. Ils sont en train d’apprendre, une éducation est en cours. D’où, au passage, la difficulté à légiférer sur ces sujets.
Faire des lois sur la protection de la vie privée serait inutile ?
Prenez le droit à l’oubli numérique [qui a fait l’objet d’un débat organisé par le secrétariat d’Etat au Développement de l’économie numérique, NDLR]. Quand on sait à quel point les données, une fois postées, circulent et s’échangent, selon moi, c’est un vœu pieu.
Cela dit, la loi votée par le Sénat fin mars est intéressante. Elle contient un volet prévention censé amener les gens à avoir un comportement plus prudent sur Internet. Le problème, c’est que cette prévention doit passer par l’école et les enseignants ; je ne crois pas un instant que cela fonctionnera. Faire des campagnes de sensibilisation interactive, en utilisant le réseau lui-même et en alertant les internautes au moment même où ils envoient des données, par exemple, serait plus efficace.
* L’Economie des données personnelles et de la vie privée, La Découverte, collection Repères, 128 pages.
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