Le signe extérieur le plus visible de cette affinité hors norme est sans doute l’omniprésence des adaptations de séries animées populaires sous forme de jeu vidéo. Il est extrêmement rare qu’un gros hit « anime » ne soit pas décliné en jeu vidéo, si toutefois ses partis pris thématiques et esthétiques le permettent. Les séries à succès comme Dragonball Z, Ranma, Gundam, etc. ont été déclinées sur toutes les plates-formes en une multitude de titres de nature et de qualité pour le moins inégales.
Au total, on trouve des centaines de titres, toutes machines confondues, qui courtisent les fans de l’œuvre originale. Mais l’inverse n’est pas moins vrai : les plus grandes réussites ludiques et commerciales de l’univers du jeu donnent souvent lieu à une adaptation sous forme de manga et d’anime. C’est notamment le cas de Pokémon, à l’origine un jeu Gameboy devenu une série fleuve pour la plus grande joie des fans. D’autres légendes du jeu, comme Street Fighter II ou la plupart des méga-hits du monde de la baston sur Neo-Geo (King of Fighters, Samurai Showdown, etc.) ont donné naissance à des films sortis en salle ou sur le marché de la vidéo.
Les plus prestigieux RPG (jeux de rôle), aux univers souvent très travaillés et à la charge émotionnelle exceptionnellement intense, se sont révélés d’excellents candidats pour la transition vers le petit et le grand écran. Final Fantasy a ainsi été décliné en série d’OAV (marché vidéo), en série télévisée, et en animation 3D (avec le pionnier Les Créatures de l’esprit, premier long-métrage 3D en images de synthèse aux prétentions photoréalistes). La mythique saga Dragon Quest a elle aussi donné naissance à plusieurs adaptations vidéo et manga, à leur tour déclinées en série animée (Fly).
Un creuset commun
Les premières adaptations d’animes ont vu le jour sur les antiques PC japonais (NEC PC-88, MSX, etc.), au départ une poignée de pixels qui se battent en duel tentant désespérément d’évoquer la splendeur des œuvres originales sur celluloïd. Mais très vite, sur la NEC PC Engine, épaulée par son Super CD-Rom², apparaissent les premiers titres hybrides, souvent des « Digital Comics », jeux d’aventure à choix multiple, bourrés de séquences animées facilitant la confusion des genres.
De fait, la frontière entre les deux arts, si toutefois elle existe, est plus que poreuse pour toutes les parties concernées. Le public est largement confondu, et l’otaku japonais se définit souvent par son adhésion aux deux mondes, un phénomène reflété par l’abondance de produits dérivés similaires, et la pratique du cosplay, où la popularité des héros de jeu n’a rien à envier à celle des personnages d’anime.
Le monde des studios et sociétés de production témoigne aussi de cette dualité, à travers des exemples comme le studio Gainax (créateurs de Nadia, Evangelion, etc.) qui a très tôt réalisé ses propres jeux originaux (comme la série des Princess Maker, simulations où le joueur incarne le précepteur d’une jeune princesse) et adaptations. Le géant Bandai se distingue pour sa part tant sur le marché de l’animation que celui du jeu. Fréquents sont les cas de synergie totale pour certains projets, le jeu et l’anime étant développés simultanément par deux divisions d’un même studio, un exemple que les français d’Ankama (Dofus) n’ont pas manqué de reproduire.
Passerelles pour géants
Il n’est pas étonnant de trouver une esthétique et un vocabulaire communs aux deux univers. Reconnus au Japon comme partie intégrante de la culture contemporaine, l’animation et le jeu vidéo constituent depuis toujours un débouché pour nombre de créateurs prestigieux. C’est le cas d’innombrables designers et artistes plasticiens, comme le grand Yoshitaka Amano (Final Fantasy, L’œuf de l’ange), de scénaristes comme Kenji Terada (les premiers Final Fantasy, Cobra, Kimagure Orange Road), ou encore des compositeurs comme Yoko Kanno, Kenji Kawai (Patlabor, Avalon, et des jeux comme Sansara Naga réalisé par Mamoru Oshii), Joe Hisaishi et Ryuichi Sakamoto.
Une reconnaissance internationale
En Occident, si la première vague d’animation japonaise a déferlé avant l’âge d’or du jeu vidéo, dès le début des années 80, particulièrement en Italie et en France, le milieu du jeu a par la suite contribué à donner ses lettres de noblesse au manga et à l’anime.
Les fans de la première heure y voyaient parfois une manière de vivre le Japon dans une quête de totalité plus ou moins fantasmée. En dehors du circuit restreint des fanzines (dont est parvenu à s’extirper le fameux Animeland) et de quelques magazines de cinéma de genre, la presse de jeu vidéo fut la première à traiter la question du manga et de l’animation japonaise avec le sérieux et le respect qui s’imposent. La rédaction de Player One donna ainsi naissance à l’un des tous premiers magazines de prépublication de mangas, Manga Player. Le monde académique s’est depuis lors intéressé à ces cultures, comme en témoigne l’exposition KRAZY à la Japan Society of New York, qui examine l’interdépendance de ces trois « nouveaux » modes de production culturelle : le manga, l’anime et le jeu vus comme une sainte trinité, constituant le cœur vibrant d’une culture pop japonaise dont la richesse, la singularité, et les qualités esthétiques indéniables, lui ont permis d’exercer une influence profonde sur le monde entier.
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