Une société concessionnaire d’autoroute peut-elle être condamnée pour avoir laisser circuler des camions transportant des ouvrages révisionnistes ? Dans le monde ” réel “, la réponse est bien évidemment non, et personne ne songerait même à engager des procédures judiciaires. Mais dans le monde virtuel d’Internet, la question se pose en ce moment même.L’association J’accuse a en effet assigné en référé la plupart des fournisseurs français d’accès à Internet (lire article de 01net.) pour la simple et bonne raison que ces derniers laissent circuler sur leurs autoroutes électroniques des contenus néonazis, et plus particulièrement ceux diffusés par le ” portail de la haine “, Front14.Telles qu’exposées par Philippe Breton dans Libération, les motivations de J’accuse sont parfaitement honorables, mais l’association a clairement pris le problème à l’envers.Première question, évidente : pourquoi s’attaquer aux transporteurs des pages extrémistes de Front14 alors que l’on pourrait s’attaquer directement à leurs auteurs ? La plupart des pages citées en exemple par Philippe Breton sont françaises, créées par des Français vivant en France. Si ces pages constituent une incitation à la haine raciale, jugeons leurs auteurs devant des tribunaux et empêchons-les de nuire.En demandant aux fournisseurs d’accès d’empêcher les Français d’accéder à Front14, J’accuse ne règle pas le fond du problème. Son credo est uniquement : “Cachez ces nazis que je ne saurais voir “, posons un couvercle sur la marmite en espérant qu’elle n’explose pas.D’ailleurs la dangerosité de ces pages mériterait une étude. Je doute même qu’un“adolescent à une période fragile de son existence”devienne un néonazi après avoir consulté les pages hébergées par Front14, tout comme je connais peu de jeunes devenus ” serial killers ” après avoir joué à Quake, un jeu dans lequel le joueur n’a qu’un seul objectif : flinguer un maximum de ses copains.Les associations étudiantes d’extrême droite, qui prolifèrent dans les universités avec l’assentiment de l’administration, sont sûrement beaucoup plus dangereuses. Au-delà de la forme de l’action de J’accuse, le fond du problème se situe clairement ailleurs. Les véritables contenus néonazis ne sont pas sur le Web, mais sur d’autres parties du réseau, beaucoup moins visibles, sur des serveurs privés comme Hotline. Les adresses de ces serveurs changent tous les jours et s’échangent sur les forums de discussion d’Internet que sont les newsgroups.Les fournisseurs d’accès vont-ils devoir aussi filtrer les newsgroups et courir tous les jours pour trouver les adresses des serveurs privés hébergeant des contenus néonazis, pédophiles, et j’en passe ? Autant il est possible de filtrer des contenus émis par une société ayant pignon sur rue comme Yahoo!, autant il est irréaliste de vouloir en faire de même pour des mouvements d’extrême droite insaisissables.Enfin, je ne conçois pas que l’application de la loi française soit du ressort de sociétés privées. Personnellement, je n’ai aucune envie de voir mon fournisseur d’accès décider pour moi quels sont les contenus licites ou non. C’est à l’Etat de faire appliquer la loi. Si l’on veut pousser le raisonnement jusqu’au bout, ce serait au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) ou à l’Autorité de régulation de télécommunications (ART) que reviendrait cette dure tâche.Et dites-moi si je me trompe, mais j’ai la forte impression que ni l’un ni l’autre ne veulent être mêlés à ce bourbier. D’ailleurs, et c’est assez amusant, il existe des Etats qui filtrent Internet : la Tunisie, le Vietnam, la Chine ou l’Afghanistan. Bref, des modèles de démocratie.Alors oui, la régulation des contenus est un enjeu de la démocratie. Mais ce n’est pas le problème des fournisseurs d’accès, pas plus que celui des messageries de presse ou de TDF. Quant au propriétaire de Front14, il n’a qu’à se réjouir de l’action de J’accuse : on n’aura jamais parlé autant de lui quen ce moment.Prochaine chronique le vendredi 14 septembre
2001
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