MH : Bonjour, IPv6. Sur votre carte de visite, vous précisez “ protocole Internet ”. De quoi s’agit-il ?IPv6 : Le protocole Internet, appelé IP pour Internet Protocol, définit les règles qui régissent les communications entre les ordinateurs connectés au réseau Internet. Je suis la dernière évolution, en cours de déploiement, du protocole Internet. A terme, je remplacerai IPv4 utilisé depuis les débuts de l’Internet public, dans les années 80, et qui connaît quelques soucis.Comme la pénurie d’adresses dont on parle régulièrement ces derniers mois ?Oui. Pour échanger des informations, les ordinateurs reliés par Internet doivent posséder une adresse IP unique, sorte de numéro de téléphone personnel. L’adresse IP, avec IPv4, s’écrit sous la forme d’une série de quatre nombres compris entre 0 et 255, séparés par des points, comme 213.186.34.162. D’un point de vue informatique, chaque adresse est composée de quatre séries de 8 bits, soit 32 bits au total. Ce qui fait 2 puissance 32 adresses possibles, soit plus de 4 milliards. Cela peut paraître gigantesque, mais, ramené à la population mondiale (6,8 milliards de personnes, Ndlr), cela fait moins d’une adresse par habitant. Mais aujourd’hui, la réserve s’épuise à grande vitesse. L’Icann, l’organisme chargé du bon fonctionnement d’Internet, a rappelé en avril dernier qu’il reste moins de 9 % d’adresses disponibles !Les adresses IPv4 sont-elles vraiment toutes utilisées ?Pas tout à fait. Mais à la mise en place d’Internet, de larges plages d’adresses ont été attribuées à des entreprises, américaines notamment. Certaines zones géographiques, comme l’Asie, en ont reçu très peu. A l’époque des balbutiements d’Internet, cela ne paraissait pas important : on imaginait à peine à quoi allait servir le réseau. Aujourd’hui, il n’y a pas que les ordinateurs qui se connectent. L’explosion des appareils mobiles, comme les smartphones, a contribué au tarissement des adresses IPv4. Des mesures techniques existent déjà pour pallier la pénurie, mais elles relèvent plutôt du bricolage.Pouvez-vous nous donner un exemple concret ?Chez vous, c’est le modem-routeur qui détient l’adresse IP nécessaire à la connexion à Internet. Il fait le lien entre le réseau Internet et les ordinateurs de la maison. Eh bien, un fournisseur d’accès en mal d’adresses peut faire la même chose à son niveau. Il crée un réseau privé avec une adresse IP unique pour le relier à Internet. Il redirige ensuite les informations vers les ordinateurs de ses clients auxquels il donne des adresses privées qui ne permettent pas de se connecter directement. C’est ce que l’on appelle la traduction d’adresse réseau ou NAT (Network Address Translation). Mais cette solution n’est pas parfaite. Elle crée des difficultés pour certains usages, la téléphonie sur IP, par exemple, (c’est comme ça que fonctionnent les téléphones fournis avec les box). Des difficultés que les développeurs de logiciels doivent prendre en compte pour être sûrs d’acheminer les informations jusqu’au bon ordinateur.Et en quoi allez-vous régler le problème du manque d’adresses ?Les adresses IPv6 s’expriment sous la forme de huit nombres de 16 bits écrits en hexadécimal, ce qui donne, par exemple, 2007:660:7307:6210:398 8:3fff:69:27d9. Une adresse IPv6 se compose donc de 128 bits au lieu de 32 pour IPv4, soit un réservoir abyssal de 2 puissance 128 adresses ! Un nombre presque inimaginable : 34 suivis de 37 zéros ! Cela correspond à 667 millions de milliards d’adresses disponibles par millimètre carré de la surface de la Terre ! De quoi donner une adresse à n’importe quel objet susceptible de se connecter à Internet. Je ne parle pas uniquement des ordinateurs et autres téléphones, mais aussi des capteurs, des objets quotidiens comme une cafetière ou une lampe que l’on pourrait contrôler à distance.C’est très impressionnant. Est-ce là votre seul intérêt ?C’est le plus connu, mais ce n’est pas le seul. Avec le protocole IP, les informations sont transmises sous la forme de petits colis. Pour savoir d’où ils viennent et où ils vont, on leur colle des étiquettes que l’on appelle des en-têtes. Eh bien, entre IPv4 et moi, les en-têtes ont été remaniés de manière à simplifier certains usages et à en introduire de nouveaux. Par exemple, configurer un réseau informatique est une opération fastidieuse, il faut veiller à attribuer une adresse à chaque composant du réseau. Moi, je suis plus pratique, je prévois une fonction d’autoconfiguration. De la même manière, on parle beaucoup de l’Internet mobile. Je permets à un appareil en déplacement de conserver son adresse IP tout en changeant de réseau d’opérateur, assurant ainsi la continuité de la connexion. Autre simplification : le multicast. Il s’agit de la possibilité d’envoyer en une seule fois des informations à un groupe déterminé de personnes. On peut alors imaginer des services de télévision sur mobile avec souscription individuelle des chaînes souhaitées. En fait, j’ouvre la voie à de nouveaux usages qui restent à inventer.Concrètement, que change le passage à IPv6 ?Pour l’internaute, pas grand-chose. Les changements nécessaires sont matériels et logiciels : il faut mettre à jour les routeurs, les programmes et les systèmes d’exploitation. Mais tout cela s’effectue de manière transparente pour l’internaute. C’est l’infrastructure technique qui évolue, pas le contenu.Quand le basculement aura-t-il lieu ?La transition est en cours depuis une dizaine d’années environ. Elle est très lente et, pour le moment, les deux versions d’IP coexistent sur les équipements. Contrairement à ce qui s’est passé pour le passage à l’euro, par exemple, il n’y a pas de date butoir. Chacun va à son rythme, aussi bien les fabricants de matériel, les éditeurs de logiciels que les entreprises. Ainsi Free est le seul fournisseur d’accès à Internet à proposer aux particuliers de passer en IPv6. Chez les autres, c’est un service réservé aux professionnels. Tout se fait donc lentement, mais l’épuisement des adresses IPv4 devrait accélérer les choses.Que se passera-t-il quand le réservoir IPv6 commencera à se tarir ?Oh ! je ne me fais pas de souci. D’ici là, c’est-à-dire dans une cinquantaine d’années au bas mot, il est très probable que c’est tout le fonctionnement d’Internet qui aura été revu.Tous nos remerciements à Thierry Ernst (Inria), président de l’IPv6 Task Force France.
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