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iOS et Android menacent-ils la neutralité du net ?

Nos smartphones et systèmes d’exploitation mobiles orientent nos choix de contenus, rétrécissant ainsi notre liberté d’accès à Internet. Le gendarme des télécoms propose des solutions pour reprendre le contrôle.

On pensait que la neutralité du net était une affaire classée depuis que le principe avait été garanti par le règlement européen de 2015 et la loi française pour une République numérique de 2016. Pas si simple. Si les contenus sont bien traités de la même manière par les opérateurs pour permettre à tous d’y accéder sans discrimination, la neutralité du net n’est imposée qu’au niveau des réseaux… et pas des terminaux. « La situation peut paraître ubuesque. C’est comme si nous étions un plombier qui ne s’intéresserait qu’aux tuyaux mais pas à l’eau qui sort du robinet », nous confie le président de l’Arcep Sébastien Soriano.

Sébastien Soriano, le président de l'Arcep.
ERIC PIERMONT / AFP – Sébastien Soriano, le président de l’Arcep.

Après avoir auditionné de nombreuses entreprises et associations, l’Arcep tire aujourd’hui la sonnette d’alarme en publiant un rapport préoccupant et unique en son genre qui interroge l’impact de ces terminaux sur notre accès aux contenus.

Premier constat évident : l’ordinateur n’est plus notre moyen privilégié d’accéder à Internet. Le dernier baromètre du numérique a ainsi montré que les Français utilisaient dans 42% des cas un smartphone et 7% une tablette, ne laissant plus que 38% à l’ordinateur. Notre usage s’en trouve profondément bouleversé. Parce que pour des raisons de commodité, nous délaissons sur mobile les navigateurs web dans 84% du temps au bénéfice de seulement quelques applications. « Chaque fois que l’ergonomie s’améliore, nous laissons la machine faire davantage de choix à notre place », souligne Sébastien Soriano. Car le choix de ces applications est totalement orienté par le fabricant de l’appareil, le système d’exploitation et le magasin d’application qui y est associé. Autant dire que notre liberté d’accès aux contenus s’est considérablement rétrécie depuis que nous boudons le couple modem-ordinateur. Et les exemples sont légion.

L’AppStore et le Play Store obéissent à des règles opaques

Premier problème : les applications natives (moteur de recherche, navigateur, service de cartographie, messagerie, etc.). L’utilisateur a généralement le réflexe de se ruer dessus. « Les applications préinstallées ont tendance à détourner les utilisateurs finaux d’autres services », stipule le rapport de l’Arcep. Autre limitation, les difficultés d’accès à des magasins d’applications alternatifs de l’App Store et du Play Store. C’est impossible sous iOS à moins de jailbreaker son iPhone. Et sur Android, Google et les constructeurs n’encouragent pas les utilisateurs à le faire, mettant en avant des problèmes de sécurité. Or, les politiques éditoriales de l’App Store et du Play Store obéissent à des règles éditoriales opaques qui déterminent non seulement la validation d’une application (dans le cas d’Apple) mais aussi son classement dans les sélections (chez Apple comme chez Google).  

Du côté des éditeurs, il faut parvenir à mettre à jour régulièrement ses applications pour qu’elles restent compatibles et s’adapter aux différentes versions des OS qui ont tendance à se spécialiser par type de terminaux. Sans compter qu’il existe des pratiques de discrimination à visée commerciale. On se rappelle notamment d’Uber, qui a eu accès de façon privilégiée à des fonctions clés d’iOS. 

Google Home
Google – Google Home

Il y a un risque d’une kindle-isation du terminal

Pour l’Arcep, le scénario cauchemar serait celui d’une kindle-isation du terminal. Que l’on arrive à spécialiser les appareils au point d’en posséder un pour chaque usage, sur le modèle de la Kindle d’Amazon qui ne sert qu’à la lecture. Avec la tentation pour les fournisseurs de réserver ces terminaux à leurs services ou à ceux de leurs partenaires exclusifs. C’est déjà le cas avec les enceintes intelligentes qui se généralisent. Apple a annoncé que son HomePod ne proposerait nativement que son service Apple Music. De son côté, Google Home impose le recours à TuneIn pour écouter de la radio. Les conséquences pourraient être graves à l’avenir et peser sur notre liberté de jugement. « Lorsque demain, en épluchant des patates, vous demanderez à votre enceinte intelligente quelles sont les informations, cela posera un vrai problème de démocratie », prévient Sébastien Soriano.

Mais la partie n’est pas perdue d’avance. Avec ce rapport, l’Arcep émet aussi quelques propositions très concrètes pour nous aider à reprendre le contrôle sur l’accès aux contenus, comme la possibilité de désinstaller les applications natives (voir encadré). « Sur les terminaux, le règlement européen actuel est trop général et incomplet. Il ne s’agit pas de calquer tout l’arsenal mis en place pour les réseaux mais d’étendre son principe aux terminaux », résume Sébastien Soriano. « On peut tout à fait réussir à imposer des règles de bases et de bon sens à quelques grands acteurs ». Mais pour cela, il faudra changer la loi. C’est au gouvernement et au parlement maintenant de s’emparer de ce rapport, avec l’espoir que les commissaires européens y prêtent également une oreille attentive.

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Amélie CHARNAY