Après avoir travaillé quelque temps en free-lance, Jérémie Lefebvre entre, presque par hasard, chez UbiSoft le 19 février 1997, comme animateur 3D. Il y restera jusqu’à sa démission en 1999. Il a aujourd’hui 28 ans et vient de publier son premier ouvrage. Jérémie Lefebvre : C’était pour moi un travail purement alimentaire. Je passais des journées entières à surfer sur Internet. Personne ne s’intéressait vraiment à ce que je faisais. Personne ne s’interrogeait sur mon niveau de productivité. Cette attitude est d’autant plus surprenante que je faisais partie de l’équipe créative de l’entreprise, et que certains de mes collègues étaient ” pressés comme des citrons “.
En réalité, comme dans la plupart des start-up, le fonctionnement d’Ubisoft repose sur un postulat assez simple : “Nous sommes jeunes, nous appartenons tous à la même génération, nous sommes le futur. En clair, et pour reprendre un slogan de Mai 1968 : le vieux monde est derrière nous !” Or, dans cette structure où tout le monde appartient à la même grande famille, et où la hiérarchie sait se faire discrète, il y a finalement très peu de communication. On se tutoie, c’est tout.D’où un certain malaise ?Oui, car, finalement, tout était fait pour éluder les vrais questions. Il était difficile, voire impossible, de savoir où allaient les projets sur lesquels nous travaillions, de demander une augmentation, ou encore de savoir pourquoi les heures supplémentaires n’étaient pas payées. En fait, le personnel était totalement déresponsabilisé. Il effectuait son travail. Et c’est tout ce qu’on lui demandait.Quel a été le facteur déclencheur qui a conduit à la création du site UbiFree, premier espace syndical virtuel ?Je suis progressivement passé d’une posture indifférente et cynique, celle de la majeure partie des gens dans cette entreprise, à une position plus sérieuse et plus sensible. Le facteur déclencheur a été un article paru en septembre 1998 dans Libération où les dirigeants de l’entreprise tenaient des propos qui nous paraissaient scandaleux notamment sur des réformes sociales comme celles des 35 heures. Ils déclaraient en substance : “Les 35 heures, c’est un truc conçu par des vieux pour des vieux”, avant d’ajouter que “les plus vieux, il faudrait les reprogrammer pour qu’ils arrivent à suivre le rythme, et encore”. Nous étions stupéfaits de voir avec quel aplomb, les dirigeants de l’entreprise s’appropriaient l’état d’esprit du personnel. Il faut dire que c’était une époque où une certaine partie de la presse se pâmaient littéralement devant le phénomène des start-up ; les journalistes venant le plus souvent pour admirer les conditions de travail de la nouvelle économie. En réaction à cette interview, nous avons donc décidé avec quelques collègues de créer ce qui allait devenir UbiFree.Pourquoi ne pas avoir fait appel à une organisation syndicale pour gagner en représentativité ?C’était parfaitement inutile. Dans le monde de la nouvelle économie, les syndicats, c’est l’échec. On pense que c’est tout juste bon pour la mine, pour Renault ou pour Peugeot, mais certainement pas pour la nouvelle économie.Comment a été perçue la naissance d’UbiFree ?Un effet de surprise totale. D’autant plus que nous avions informé en même temps l’ensemble des employés et les médias. La direction a tout de suite décidé de couper l’accès du site en interne, mais a dû le rétablir par la suite sous la pression des médias. Du côté des salariés, le site a été reçu comme un spectacle, une sorte de divertissement dont on finit un jour ou l’autre par se lasser. De par son interactivité, UbiFree était aussi une sorte d’exutoire, un nouvel espace de communication salutaire et anonyme.L’expérience UbiFree a-t-elle débouché sur l’ouverture de négociations dans l’entreprise ?Des promesses ont été faites. Elles portaient essentiellement sur les horaires. Les dirigeants se sont engagés à ce que l’entreprise ferme tous les soirs à 20 heures. Et à ce qu’elle soit fermée le week-end. Ils ont également promis d’engager des spécialistes des ressources humaines. Mais pas un directeur de ressources humaines. C’était véritablement contraire à la culture de l’entreprise. Aujourd’hui encore, à ma connaissance, UbiSoft na toujours pas de DRH.
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