Qu’est-ce qui est plus grave, avoir une photo de ses fesses qui circule sur Facebook ou avoir une fiche obsolète voire erronée qui traîne depuis des années dans le fichier policier Stic ? C’est, en gros, la problématique qui traverse le livre du journaliste Jean-Marc Manach, La Vie privée, un problème de vieux cons ?, consacré à la vie privée à l’heure des nouvelles technologies et à la surveillance. Prenant le contrepied des discours parfois alarmistes visant Google et les réseaux sociaux, l’auteur pointe du doigt des dangers pour lui bien plus graves liés aux pratiques de l’Etat et à l’inaction de la Cnil.
01net. : Votre livre porte un titre en forme de question, La vie privée, un problème de vieux cons ? Quelle est votre réponse ?
Jean-Marc Manach : La réponse est « non » ! Ce n’est pas du tout un problème de vieux cons. On n’a jamais autant parlé de vie privée depuis qu’Internet existe, notamment avec l’apparition des réseaux sociaux et, en France, depuis la polémique sur le fichier de police Edvige [en 2008, NDLR]. Car le problème de la vie privée, ce n’est pas tellement sur Internet qu’il se pose, mais dans les fichiers de police.
Dans votre livre, vous nuancez l’idée selon laquelle les Google et autres Facebook seraient les nouveaux démons « orwelliens ». Big Brother n’existe pas sur Internet ?
Sur le Net, nous ne sommes clairement pas dans 1984 de George Orwell. Aux Etats-Unis, il n’existe pas d’équivalent de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Les usagers se sont donc constitués en groupes de pression qui soulèvent et rendent publics les problèmes. Des géants comme Facebook et Google font alors parfois machine arrière, parce que ce sont des sociétés commerciales qui ne peuvent pas trop s’aliéner le public [voir les polémiques « beacon » et Google Buzz, NDLR]. C’est un jeu d’autorégulation. Mais attention : Facebook et Google pourraient faire comme dans 1984. Seulement, ça ne les intéresse pas : leur intérêt, c’est tracer votre navigation pour afficher les bonnes publicités aux bons endroits.
En 2000, quand j’ai participé au lancement des Big Brothers Awards, je pensais qu’on allait stigmatiser les dérives de ce genre de sociétés. En fait, le problème, ce sont les fichiers de l’Etat.
Des pédophiles, des nazis et des pirates
Ce n’est pourtant pas là-dessus que l’on sensibilise le plus les gens.
La prise de conscience du problème des fichiers de police, c’est Edvige. Or, juste après cette polémique, on a vu apparaître dans les médias des sujets sur Facebook, sur le droit à l’oubli, etc. Encore la semaine dernière, Télérama titrait, en Une, « Internet n’oublie rien ». On stigmatise le comportement des internautes. On va vous parler des gens qui se font licencier soi-disant à cause de Facebook, mais qui parle de ceux qui trouvent un emploi grâce à Facebook ?
C’est un paravent, selon vous ?
Depuis des années, la Cnil a une démarche anxiogène, expliquant à quel point on est surveillé sur Internet. Mais je vous mets au défi de trouver sur son site des conseils en sécurité informatique. On a rendu obligatoire pour les fournisseurs d’accès à Internet de fournir des logiciels de contrôle parental. Mais pourquoi n’a-t-on pas rendu obligatoire de protéger les box ADSL à ‘laide d’une clé USB sécurisée par exemple ?
Dans votre livre, vous êtes assez dur avec la Cnil, justement. Pourquoi ?
Cela fait des années que la Cnil dit qu’elle manque de moyens. Mais pour moi, le problème, c’est la révision en 2004 de la loi Informatique et Libertés. Cette révision renforce les pouvoirs de la Commission en matière de contrôle des fichiers privés, mais désormais, pour la création de fichiers policiers, elle peut émettre un avis sans que l’Etat en tienne compte.
Prenez Base élèves : ce n’est pas la Cnil qui a fait invalider ce fichier devant le Conseil d’Etat, mais des parents d’élèves. Pour la Cnil, quand elle l’a examiné, ce fichier, ne posait aucun problème.
Je ne critique pas la Cnil en tant qu’institution, mais j’estime qu’elle manque de volonté politique. En tant que président de la Commission, Alex Türk a critiqué la loi Hadopi. Mais en tant que sénateur divers droite du Nord, il l’a votée. Idem pour la Loppsi. Je peux comprendre sa position, qu’il suive le vote de sa majorité. En revanche, je ne comprends pas qu’il n’ait pas au moins posé des questions en séance, au Sénat, sur les problèmes que posaient ces lois.
Que vous inspire le débat sur le droit à l’oubli, pour lequel plaide la secrétaire d’Etat au Développement numérique Nathalie Kosciusko-Morizet ?
Encore une fois, là où le droit à l’oubli est le plus pressant, c’est pour les gens qui figurent dans les fichiers policiers, dans le Stic. Des gens qui ont été condamnés, mais qui ont payé leur dette à la société, ne devraient pas voir ressurgir ces informations.
Tel qu’il est présenté, le droit à l’oubli revient à une chasse aux données publiées par l’internaute. La majeure partie de ceux qui en parlent sont simplement des gens qui ne veulent pas que l’on dise du mal d’eux sur Internet. Pour moi, ce débat, avec la charte signée récemment, c’est beaucoup d’agitation sur un faux problème. Un peu comme les premières émissions de télévision consacrées à Internet qui disaient que sur la Toile, il y avait essentiellement des pédophiles et des nazis.
Et d’après vous, cette vision n’a pas beaucoup évolué ?
Si, elle a évolué. Maintenant, aux pédophiles et aux nazis, on a ajouté les pirates.
(1) La Vie privée, un problème de vieux cons, FYP éditions, juillet 2010, 224 pages, 19,50 euros.
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