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Internet fait bien vendre, mais rapporte peu

Les grands noms du web ont atteint, voire dépassé leurs objectifs de vente l’année dernière. Mais leurs sites ne seront pas rentables avant plusieurs années.

Sourire aux lèvres, les professionnels de la vente sur internet sont satisfaits. Et c’est nouveau. Les années précédentes avaient fourni des motifs de satisfaction. Mais sans rapport avec l’engouement pour le commerce électronique, apparu en 2000. L’exception française, mélange de sous-équipement informatique des foyers et de réticences culturelles à consommer sur le web, se vérifie de moins en moins. Les chiffres de la fin de l’année l’attestent : au cours du seul mois de décembre, quelque deux millions de commandes ont été passées sur les sites français pour un montant total avoisinant le milliard de francs. C’est presque autant que pour toute l’année 1999. Internet est entré dans les habitudes de consommation des Français, et presque tous les indicateurs sont au vert. “La grande différence de l’année 2000 est le début de volumétrie “, constate Jean-Claude Barbezange, directeur recherche et développement d’Atos. Observateur privilégié, il voit passer les règlements d’environ quinze cents boutiques.

La SNCF pulvérise ses objectifs de vente

Le système de sécurisation des paiements Sips est commercialisé en direct et en indirect via des banques telle la Société Générale. Au final, Atos a traité six fois plus de transactions en décembre 1999 qu’en décembre 2000. Les objectifs d’activité ont été atteints, et même dépassés. Ce qui n’était pas le cas l’année dernière. Pour autant, la rentabilité n’est pas encore d’actualité pour la société de services. L’importance des investissements et leur récurrence, du fait du rythme de l’innovation technologique, retardent le passage à la profitabilité. Les marchands en ligne – du moins, les plus importants – sont, pour une fois, totalement en phase avec le parcours de leurs fournisseurs technologiques : l’activité se développe très vite, sans toutefois être rentable. Ainsi, le premier site marchand français – celui de la SNCF, qui a doté sa filiale de vente en ligne de 70 millions de francs – a pulvérisé ses objectifs de l’année 2000. “En 1999, nous avions réalisé un chiffre d’affaires sur internet de 150 millions de francs, se souvient Denis Wathier, directeur général de Voyages-sncf.com. Pour l’année 2000, nous visions 450 millions de francs. Et, finalement, nous avons atteint 600 millions de francs.” Pour la première fois, la SNCF a vendu autant sur internet que sur minitel, dont les recettes sont en recul. Et les ventes sur le web devraient doubler cette année pour se monter à 1,2 milliard de francs. Ce qui sera toutefois insuffisant pour atteindre l’équilibre financier, prévu pour l’an prochain.

La grande distribution dans la cour des grands du web

Les délais risquent d’être encore plus longs pour Fnac.com, l’autre grand site français de commerce électronique. Le libraire a investi plus lourdement que la compagnie des chemins de fer : 300 millions de francs en trois ans. Et son chiffre d’affaires en ligne croît moins vite. Ensemble, Fnac.com et Redoute. fr, qui font tous deux partie du groupe Printemps-Pinault-La Redoute, ont réalisé un chiffre d’affaires approchant les 800 millions de francs en 2000. Pour sa part, Fnac.com revendique six cent mille transactions l’année dernière et prévoit un chiffre d’affaires de 1 milliard de francs en 2003. L’équilibre financier ne devrait être atteint que l’année suivante.Si les volumes de vente en ligne ont véritablement fait un bond l’année dernière, le web marchand reste concentré entre quelques mains : bien que l’on compte de plus en plus de boutiques en ligne, moins de 10 % d’entre elles génèrent 90 % du chiffre d’affaires.Toutefois, la grande distribution a réussi à s’immiscer dans le cercle très fermé des marchands qui font du chiffre sur internet. Les sites Ooshop.com (de Carrefour/Promodès) et Houra. fr (de Cora) ont trouvé leur public. “Notre clientèle en ligne est composée essentiellement de femmes actives urbaines “, indique Pierre Bouriez, PDG d’Houra. fr. Et elles se montrent bonnes consommatrices : l’hypermarché a déjà traité cent cinquante mille commandes, qui se situent, pour une large proportion, dans une fourchette de prix allant de 1 200 à 1 800 francs. Soit deux fois et demie à trois fois et demie plus que le panier moyen de l’internaute français. En effet, comme l’an passé, celui-ci se situe en deçà de 500 francs. Avec un rythme d’augmentation du chiffre d’affaires de 10 à 20 % par mois, qui devrait se poursuivre cette année, Houra. fr cherchera moins cette année à élargir son audience – elle augmente d’elle-même – qu’à consolider ses comptes. Et ce d’autant plus que la rentabilité n’est pas uniquement liée au volume.

La finance se cherche encore en ligne

La logistique est montrée du doigt. “Il faut mieux travailler, explique Pierre Bouriez. Et, notamment, consacrer moins de temps à la préparation des commandes.” Les premiers mois d’activité ont montré de manière surprenante que ce n’était pas tant la livraison qui posait un problème que la préparation des commandes. L’opération est coûteuse, et elle ne peut être répercutée sur la note du consommateur. Celui-ci consacre déjà du temps à choisir ses produits sur le web, et il ne comprendrait pas qu’on lui facture un supplément. Selon un récent sondage de Taylor Nelson Sofres, remplir son panier en ligne demande, en moyenne, une demi-heure. Les perspectives de profit sont encore plus lointaines pour les compagnies financières. Aucun grand nom français de la banque ou de l’assurance ne s’est aujourd’hui imposé sur le web. Les AGF figurent parmi les plus avancés : leur filiale de vente en direct sur internet, baptisée OKAssurance.com, est, en effet, opérationnelle depuis septembre dernier. Mais les débuts sont timides : la compagnie d’assurances n’a séduit via internet que quelques centaines de clients.Les objectifs restent modestes avec un portefeuille espéré de quatre mille clients à la fin de l’année. “C’est un business sur le long terme, argumente son directeur général Martine Pauly-Lardenois. Et la rentabilité n’interviendra pas avant cinq ou six ans.” Sous-entendu, seuls les groupes qui ont les reins vraiment solides auront la capacité d’encaisser plusieurs exercices déficitaires. Et les entreprises moins argentées ne pourront guère compter sur la publicité pour financer leurs activités en ligne : elle a tendance à se concentrer sur les sites à très forte audience. Et, même dans ce cas, elle ne constitue, au mieux, qu’un revenu d’appoint. Par exemple, les revenus publicitaires du site de la SNCF ne représentaient l’année dernière que 5 millions de francs, c’est-à-dire moins de 1 % du chiffre d’affaires. Il s’agit toutefois d’une source de revenu intéressant, car celui-ci s’apparente à du bénéfice net. Un dernier signe indique le niveau de maturité croissant du commerce électronique en France : la part de l’industrie informatique est en régression. Les pionniers sont aujourd’hui dépassés par les spécialistes du voyage, des loisirs et de l’alimentaire. La grande distribution aura étendu sa domination au web.

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Olivier Roberget