Il y aurait chez les ” fondamentalistes d’Internet “, comme les nomme Philippe Breton (sociologue, chercheur au CNRS et enseignant), une ” nouvelle religiosité “. Cette croyance s’articulerait autour d’une vision ?” la promesse d’un monde meilleur grâce à Internet ?” et de quelques principes : idéal de transparence, abolition de la distinction entre espaces privés et publics, libre circulation généralisée et refus de la loi, de la médiation et de la parole incarnée.L’ensemble prendrait sa source aussi bien chez les premiers grands théoriciens de l’informatique, comme Turing ou Von Neuman, que dans la contre-culture américaine des années 60, marquée par le zen et le bouddhisme. Ces fondamentalistes chercheraient dans Internet une échappatoire à la violence sociale, censée se dissoudre dans le flux des réseaux et dans une dématérialisation des individus ne communiquant plus qu’à distance, sans jamais se retrouver physiquement confrontés.Les thèses développées dans le Culte d’Internet ne manquent pas d’intérêt. L’auteur met en évidence les dérives qui découlent d’un discours trop mystique à l’égard du réseau. Mais la méthode de Philippe Breton pose problème, et fait douter de la validité de ses conclusions.Selon lui, la catégorie des fondamentalistes d’Internet rassemble des personnages aussi différents que Steve Jobs (PDG d’Apple), Bill Gates (PDG de Microsoft), Nicholas Negroponte (directeur du médialab du MIT) ou Pierre Lévy, dont le dernier ouvrage, World Philosophie, est largement critiqué (plus d’une vingtaine de citations).Comment rapprocher l’enthousiasme philosophique excessif de Pierre Lévy, la vision technicienne du chercheur qu’est Nicholas Negroponte et le discours toujours teinté de marketing de grands patrons comme Steve Jobs ou Bill Gates
? Les traiter sous la même catégorie, sans distance critique, revient à mettre sur le même plan la Déclaration des droits de l’homme, qui garantit la libre circulation des personnes, avec la publicité d’un constructeur automobile sous prétexte qu’ils parlent tous deux de se déplacer.Il semble tout aussi difficile d’associer comme participant d’une même idéologie les grands scientifiques qu’ont été Turing et Von Neumann avec les théoriciens new age des années 60 et les auteurs de science-fiction.D’autre part, l’aspiration à la “mort de l’homme” que Philippe Breton dégage du discours des fondamentalistes d’Internet tient plus d’un vague fantasme que de l’aspiration collective. Quelques individus se sont effectivement prononcés en faveur d’une cession de leur humanité au profit d’une vie entièrement dans le réseau. Mais la force des pratiques associatives sur l’Internet, qui débouchent sur une intervention bien réelle dans l’espace social, montre que les utilisateurs convaincus d’Internet peuvent rester totalement inscrits dans une démarche humaniste. C’est un point que Philippe Breton ne prend guère en compte. Pas plus que l’effervescence artistique qu’Internet favorise. Il ne s’agit pas de jouer Internet contre le lien social, mais de se préoccuper des nouveaux moyens d’action que les réseaux et les TIC proposent pour faire évoluer le monde. En souhaitant ramener Internet au rang d’outil, Philippe Breton se situe un peu loin des pratiques réelles et complexes qui se créent tous les jours sur Internet.Philippe Breton, le Culte de l’Internet, La Découverte, collection ” Sur le vif “, 125 pages, 42 francs.
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