Beaucoup d’observateurs, lorsque la bulle Internet s’est dégonflée, sont passés de l’admiration inconditionnelle au sarcasme irréfléchi. Les plus lucides reviendront rapidement à une analyse réaliste du secteur, les autres trouveront plus tard des sources de sensationnel dans la robotique ou les nanotechnologies. Du moins en France, puisque nos homologues allemands, suédois ou américains ont vu dans la bulle ce qu’elle était : un phénomène boursier simple à interpréter sur un marché explosif et non structuré.
Le téléphone mobile est avant tout un produit en forte croissance et qui rend des services. Partant de ce constat, la perception que l’on a du Web masque souvent des réalités simples : les entreprises d’Internet ont une valeur calculable ; les acquisitions récentes, pour des raisons naturelles, ont été surpayées, et l’économie d’Internet n’en est qu’à ses balbutiements.
Du client et de sa valeur
Nettement moins élevée que les estimations en vigueur, la valeur des sociétés d’Internet peut être facilement déterminée. Pour y parvenir, il suffit d’appliquer les méthodes classiques d’évaluation, en employant des critères comme la marge brute, la marge nette, le Price Earning Ratio (PER) ou le cash-flow. De même, les valeurs attribuées en fonction du nombre de clients relèvent d’une certaine fantaisie. Il est d’abord choquant de prétendre ‘ posséder une base d’abonnés ‘. Les clients ont une liberté de choix, qui devrait inciter les fournisseurs à une plus grande modestie. A supposer qu’on le ‘ possède ‘, le client moyen d’un leader continental générera un profit brut de 1 200 F par an, soit un profit net de 120 F (et un cash-flow similaire).
Actualisée avec optimisme, la valeur du client fidèle est au maximum de 1 000 F et, plus vraisemblablement, de 500 F. Valoriser aujourd’hui une société sur la base de 10 000 F par abonné suppose qu’elle croîtra d’un facteur vingt, sans augmenter ses coûts et sans… qu’elle disparaisse entre-temps !
Quand l’argent virtuel impose ses lois
Les acquisitions récentes ont été généralement surpayées. Cette tendance tient au principe même de cette industrie : la rapidité. Industriels et financiers se sentent dépassés et cherchent à entrer dans le jeu, sans se donner ni les ressources ni le temps de se développer par eux-mêmes. Les effets de rareté et les phénomènes d’entraînement ont alors des conséquences paradoxales. Il est fréquent de payer 100 milliards de francs pour acquérir un groupe qu’un investissement de quelques milliards de francs suffirait à lancer. Avec quelques centaines de millions de francs de publicité, on peut imposer une nouvelle marque Internet par saturation du marché dans n’importe quel pays. Mais, comme les acquisitions se paient en actions, on préfère acheter des valeurs virtuelles avec de l’argent virtuel, et ne pas prendre de risque industriel. C’est dommage. Non pas parce que l’on affole les marchés _ ce n’est pas si grave _, mais parce qu’on s’expose à juxtaposer des entités culturellement non miscibles, vivant des stades différents de leur développement, et à ne jamais trouver les synergies recherchées. La plupart du temps, simples spectateurs de la croissance d’Internet, financiers et industriels oublient que peu d’opérations de croissance externe portent leurs fruits.
Attention aux lendemains qui déchantent
Quand on craint que la survalorisation ne se voie trop, on invente. Par exemple, Internet sur le mobile, qui plaît beaucoup en ce moment. L’arrivée prochaine et le succès prévisible de WAP et de ses successeurs n’augmenteront pas le pouvoir d’achat des abonnés… La part du revenu qu’un client consacrera au portail mobile viendra ainsi se retrancher de celle auparavant allouée au portail fixe. Pendant ce temps, l’industrie d’Internet se développe inexorablement. Le nombre de foyers se connectant au Web ne cesse d’augmenter, et le Web, comme prévu, absorbe désormais des pans entiers de l’économie (distribution, banque, voyages et, bientôt, éducation). Internet n’est pas une valeur en plus : c’est une substitution en environnement concurrentiel, dont les marges seront relativement faibles. Ainsi, à nombre de clients équivalent, Amazon vaudra moins cher que Carrefour. En dernier ressort, c’est le cash-flow qui valorise les activités industrielles.
Les groupes qui dépendent faiblement des marchés financiers ont la liberté de définir leur développement selon le critère du cash-flow. En revanche, beaucoup de groupes financés par la bulle pourraient être conduits à décevoir un jour leurs actionnaires. Nous sommes à un tournant intéressant : si l’industrie ‘ nouvelle ‘ n’est pas capable de se valoriser de manière logique et stable, ‘ l’ancienne ‘ économie profitera d’une grosse faiblesse financière de la ‘ nouvelle ‘ pour la rattraper soit en l’achetant, soit en l’imitant.
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