Intel is back ! C’est le message que voulait faire passer le nouveau patron d’Intel, Pat Gelsinger, hier soir lors d’une conférence exceptionnelle de présentation de la réorganisation du numéro 1 mondial des semi-conducteurs.
De la constitution d’un service de production de puce à la TSMC – Intel Foundry Services (IFS) – en passant par l’ouverture de ses blocs technologiques pour la personnalisation de puces (oui, même les cœurs x86 !), jusqu’aux investissements colossaux annoncés, l’avalanche d’annonces parlait d’elle-même.
Mais, en parallèle de ces projets, le martelage de certains mots laissait entrevoir une portée encore plus large que les mantras classiques de « devenir » ou « rester » leader. Parmi ces mots, le terme « gouvernement » ainsi qu’un sigle bien connu de nos oreilles : UE (pour Union européenne).
Jamais patron d’un gros groupe américain de semi-conducteurs n’a autant mis l’accent sur sa volonté transatlantique, et jamais le mot « union européenne » n’a à ce point émergé d’un discours. Si elle n’a jamais été formulée comme ça par Pat Gelsinger, on a bien senti de la part d’Intel une volonté d’endosser le rôle de champion occidental de la production de semi-conducteurs.
« Si nous n’affichons pas notre volonté sous cet angle, il est exact de dire qu’Intel veut augmenter ses capacités de production sur le territoire européen », a confié à 01net.com Stéphane Negre, PDG d’Intel France. « Intel a d’ailleurs beaucoup investi dans l’Union, notamment en Irlande où nous avons dépensé 22 milliards entre 1989 et 2021 », a indiqué Stéphane Negre.
Une somme correspondante à deux tranches d’investissements (15 milliards de 1989 à 2019 et 7 milliards de rallonge pour la période 2019-2021).
Limiter la dépendance à l’Asie
Rappelant dans une diapositive que « l’Asie pèse désormais 80% des volumes mondiaux de semi-conducteurs », pour seulement 15% aux Etats-Unis et 5% à l’Europe, la présentation de Pat Gelsinger a mis en lumière la perte de vitesse de l’axe atlantique dans le domaine de la production de puces.
Avec cette nouvelle stratégie, Intel fait montre d’une réelle volonté de remédier à cet état de fait. Sur son territoire national d’abord, avec les 20 milliards de dollars investis dans deux « fabs » en Arizona, auxquelles devrait s’ajouter une troisième dans le courant de l’année 2021. Mais aussi avec la construction d’une nouvelle fab sur le Vieux Continent.
Quatre usines au total pour 2021 qui représentent « des sommes records d’investissements pour Intel », précise Stéphane Negre.
De quoi réduire la dépendance à l’Asie et se rapprocher de clients européens tels que Ericsson, seul partenaire européen annoncé dans la conférence.
« Mais de nombreux autres se sont dit intéressés car nous répondons à des besoins de production sur le territoire de l’UE », assure le patron d’Intel France.
Outre le fait d’avoir la chaîne de production proche des centres de recherche – et des emplois et savoir-faire locaux – la production domestique au sein de l’Union permettrait aussi de rassurer les donneurs d’ordres de domaines sensibles tels que les gouvernements ou les industriels de la défense. Des activités pour qui la sous-traitance en Asie est, comme pour la défense américaine, perçue comme de plus en plus risquée au regard de l’attitude de la Chine.
Demande mondiale (et européenne) qui explose…
Des puces customs qu’Intel développe en partenariat avec le CEA (via le Leti) en passant par les champions européens des télécoms, jusqu’à l’explosion du nombre de puces dans les voitures, le Vieux Continent a besoin d’un outil de production local.
L’UE met d’ailleurs en place, sous l’impulsion du commissaire européen chargé du Marché intérieur et du Numérique, Thierry Breton, un plan visant à augmenter la souveraineté numérique de l’Europe dans le domaine des puces de pointe. Loin d’être acquis de par la fragmentation du pouvoir décisionnel de l’UE, ce plan prévoit une enveloppe globale de 145 milliards d’euros sur trois ans. Mais quels projets industriels ? Quels donneurs d’ordres ?
En attendant, Intel s’engouffre dans la brèche et pourrait rapidement proposer d’offrir des capacités locales renforcées pour pallier, au moins en partie, le manque de capacités industrielles. Pat Gelsinger rappelait avec insistance que si les deux premières usines américaines sont « financées sans un penny d’aides américaines », l’entreprise est ouverte « aux aides des gouvernements pour accélérer les choses ».
Ainsi, alors que le site irlandais d’Intel semble initialement le plus indiqué pour étendre ces capacités, on lit entre les lignes que le géant américain semble à l’écoute des propositions de subventions pour implanter sa future usine de pointe…
« Le lieu d’implantation n’est pas encore décidé », confirme Stéphane Negre. « Mais outre les usines, Intel est toujours attentif et volontaire à la recherche de partenariats locaux, à l’image de notre relation avec le CEA. »
Ces dernières années, Intel a perdu sa place de leader de la finesse de gravure, mais il a aussi connu des pénuries internes à la suite de sous-investissement dans son outil de production. D’où les annonces d’investissements massifs, aux Etats-Unis comme dans l’Union Européenne. Des sommes investies non pas de manière inconsidérée, mais bel et bien de manière logique.
« Jusqu’ici nous adressions un marché qui pèse 60 milliards de dollars. Avec l’arrivée de Intel Foundry Services, Intel ajoute un marché cible de plus de 100 milliards dollars, en pouvant adresser par exemple les constructeurs automobiles avec lesquels nous ne travaillons presque pas à l’heure actuelle », assure Stéphane Negre. « Combiné avec notre nouvelle stratégie XPU, la totalité des services d’Intel adressera dans le futur un marché de plus de 300 milliards de dollars. »
Intel va devoir convaincre en interne et en externe
Avec une pénurie de composants qui devrait durer et un monde de plus en plus numérique, les besoins en fonderies de qualité vont tellement exploser que les investissements d’Intel devraient faire mouche. Mais comment convaincre les clients de passer par lui quand Intel a connu des soucis de production.
« D’abord il faut rappeler qu’Intel Foundry Services est une entreprise à part qui disposera de lignes de production dédiées pour les clients, garantissant les volumes promis et la confidentialité nécessaire au travail avec des clients », promet Stéphane Negre.
A la manière d’un Samsung Electronics ou d’un Sony Electronics, la « fab » d’Intel va donc développer des silos pour les clients.
Pour rassurer sur l’aspect technologique, l’Intel « nouveau » formule une profession de foi dont la tête de pont est la légitimité même de Pat Gelsinger, tant du point de vue ingénierie – il est le père de plusieurs processeurs emblématiques comme le 486 ou les Core Nehalem – que business, avec ses succès chez VMWare.
« Il est vrai que nous avons plusieurs messages à faire passer pour convaincre », concède Stéphane Negre. « En interne, la personnalité même de Pat Gelsinger pousse chacun de nous à revenir à l’Intel ”historique” qui était parfaitement réglé sur sa feuille de route, concentré sur la tenue des cadences de l’innovation. En externe, nous devons être lisibles et convaincre par la qualité de notre exécution », conclut-il
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Dans un monde où les fonderies chasseraient les clients, l’approche d’Intel serait ardue. Mais dans le contexte actuel de pénurie de composants et de volonté de retrouver une certaine souveraineté vis-à-vis de l’Asie, le virage d’Intel de mettre son outil de production à disposition de tiers en alignant rapidement des milliards de dollars semble non seulement malin, mais aussi incroyablement logique.
Grâce au travail en amont de l’ancien CEO Bob Swan, Pat Gelsinger a pu poser très rapidement les rails d’une transformation en profondeur du modèle d’Intel. Il ne reste plus aux ingénieurs du géant qu’à se retrousser les manches et se mettre en ordre de bataille. Car d’ARM/Nvidia à TSMC ou Samsung, en passant par des Etats tels que la Chine et ses champions (Huawei, SMIC), le monde des semi-conducteurs investit lui aussi massivement, lancé dans sa course effrénée.
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