Parmi les nombreuses voies que l’industrie informatique explore pour dépasser les limites des puces classiques type CPU, GPU et autres NPU, la première qui vient bien souvent à l’esprit est ce sacro-saint « ordinateur quantique ». Mais il est une autre voie, plus « biologique » dans l’approche, qui est pour l’heure surtout défrichée par les ingénieurs d’Intel : les processeurs neuromorphiques. Et Intel annonce aujourd’hui sa seconde génération de puce, appelée Loihi 2.
Comme les racines de son nom l’indiquent, un processeur neuromorphique s’appuie en grande partie sur la forme/l’organisation (morphos) de nos cellules nerveuses, les neurones (du grec ancien νεῦρον, neûron qui signifie nerf, fibre). Pas de cellules qui se développeraient dans les cuves d’un laboratoire de savant fou ici ! Non, ces puces restent conçues à base de silicium. Mais leur organisation interne, leur mode de fonctionnement ainsi que la façon dont transite l’information s’approchent de la façon dont fonctionne notre cerveau.
Enfin, dans certaines limites « Dans le domaine neuromorphique, on s’inspire effectivement du monde biologique, mais on ne cherche pas à répliquer exactement le fonctionnement du cerveau. C’est un piège dans lequel on ne veut pas tomber. On pourrait faire plus proche de la nature, mais ce ne serait pas aussi efficace », explique Garrick Orchard, chercheur au sein des Intel Labs.
Plus de neurones, plus de flexibilité
Loihi 2 n’est pas encore une puce commerciale et reste dans son cocon de « processeur de recherche ». Ce qui n’empêche pas que de nombreux progrès ont été faits entre la première et cette seconde génération. Le premier, c’est la nature même des neurones. Par le passé, tous les neurones adoptaient le même modèle et il fallait « faire avec ». Les neurones de Loihi 2 eux, sont entièrement programmables, ce qui permet de les adapter aux tâches cibles.
Dans la même veine, si le nombre de neurones par puce est en hausse – de 128.000 pour Loihi 1 à jusqu’à 1 million pour Loihi 2 – cette hausse cache, là encore, une recherche de flexibilité. À la manière d’un processeur FPGA, la structure interne de Loihi 2 est configurable. « Selon le type de tâche, Loihi 2 peut être paramétré avec plus de neurones et moins de synapses, ou inversement », continue M. Orchard. « Si j’ai besoin de plus de rapidité et moins de précision, je peux allouer moins de mémoire et ajouter plus de neurones par exemple ». La façon dont la mémoire est gérée a aussi beaucoup changé, avec moins de mémoire par neurones, mais une mémoire que les programmeurs peuvent désormais unifier et partitionner à loisir.
Autre progrès : la nature des impulsions a évolué. Dans Loihi 1, les informations sont codées par des suites d’impulsions toujours semblables, pareilles à un système binaire. Loihi 2 voit arriver des impulsions de différentes magnitudes qui peuvent coder, en un seul trajet d’information, une valeur que Loihi 1 codait en plusieurs impulsions. À cela s’ajoutent une meilleure compression des données en transit, une communication de l’état des neurones à la volée (avant, il fallait mettre en pause le neurone et sa mémoire), des interfaces externes standards (GPIO, gigabit Ethernet, etc.), etc.
Tous ces progrès s’accompagnent d’une réduction drastique de la taille de la puce et de sa consommation énergétique, grâce à un nouveau procédé de fabrication.
Toute première utilisation du process Intel 4 en 7 nm
Loihi 2 sera aussi à la pointe de ce qu’Intel est capable de produire dans ses usines, puisque ce sera la première puce à être gravée avec le procédé « Intel 4 ». Une version maison de la gravure en 7 nm dont la densité de transistors au mm² est équivalente au 4 nm classique de ses concurrents TSMC ou Samsung – une affirmation qui n’est d’ailleurs pas exagérée, Intel intégrant bien plus de transistors en 10 nm que TSMC en 7 nm.
« Les Intel Labs ont toujours travaillé main dans la main avec les équipes des fabs pour profiter de procédés de pointe. Loihi 1 était gravée en 14 nm, ce qui était déjà à l’époque la meilleure gravure en interne », explique M. Orchard. Alors que ce procédé de gravure ne devrait arriver qu’au troisième trimestre 2022 pour les CPU de l’entreprise, Loihi sert ici de projet pilote pour valider la qualité du procédé.
Logiciel open-source pour accélérer (et unifier) le développement
« Sans le software, le hardware n’est rien ». Et ça, Intel l’a bien compris. En regardant le paysage des « frameworks » qui prennent en charge le calcul neuromorphique, on réalise qu’aucun outil (TensorFlox, PyTorch, etc.) n’est capable de profiter de la totalité des algorithmes issus de ce champ à part de l’informatique.
C’est pourquoi Intel a développé et lance son propre framework open-source, Lava. Nommé en référence au nom d’origine de la puce – le Lōʻihi est un volcan sous-marin situé au large de l’île de Hawaï –, Lava a comme objectif d’offrir un accès gratuit à toutes les fonctions disponibles dans les processeurs neuromorphiques, sans manque technologique ni problème de licence.
Mieux encore : Lava n’a pas besoin d’un processeur neuromorphique pour fonctionner. « Le framework fonctionnera sur n’importe quel CPU ou GPU. Les applications et calculs iront bien plus lentement que sur une de nos puces, mais n’importe quel programmeur peut donc développer et se faire la main sur le neuromorphique même sans processeur dédié », ajoute M. Orchard.
Des puces qui apprennent en temps réel
Si les usages futurs des puces neuromorphiques restent à écrire, le postulat de base est de s’inspirer de la façon dont les cerveaux fonctionnent pour tirer parti de leurs deux forces : leur sobriété énergétique par rapport aux puces traditionnelles et leur capacité à apprendre en temps réel.
Alors qu’il n’en était encore qu’au stade de « puce de recherche », Loihi 1 a déjà marqué des points face aux CPU et GPU. Notamment dans les tâches combinatoires, comme la résolution des sudokus ou la gestion des horaires de flottes (trains, etc.), où Loihi 1 s’avérait déjà jusqu’à 44 fois plus rapide qu’un CPU classique tout en consommant 2800 fois moins d’énergie !
Et ce n’est pas le seul domaine où ce processeur peut rendre des services uniques : toutes les tâches d’apprentissage et d’adaptation des scénarios en temps réel pourraient, à terme, tirer parti de ses capacités d’adaptation. Qu’il s’agisse des caméras, pour la reconnaissance gestuelle par exemple, ou encore dans le pilotage autonome de bras robotisé.
Un jour, un coprocesseur de série ?
Alors, les puces neuromorphiques sont-elles le futur de l’informatique ? Pas vraiment ou plutôt, pas uniquement. « Les processeurs neuromorphiques n’ont pas vocation à remplacer les CPU ou les GPU actuels, mais plutôt à les compléter dans certaines tâches où ils sont plus efficaces », décrit M. Orchard.
Est-ce à dire qu’on pourrait retrouver ce genre de puce sous forme logique dans nos processeurs de smartphones et autres SoC ? « Tout à fait. Le devenir du neuromorphique passe, entre autres, sous des formes de coprocesseur ajouté dans ou à côté des puces des appareils électroniques traditionnels », complète-t-il. De la même manière que les Qualcomm, Samsung, MediaTek et Apple ont ajouté au CPU des GPU, NPU, DPS et autres modems dans leurs puces, ils pourraient aussi, dans les années à venir, ajouter un coprocesseur neuromorphique « par exemple pour les tâches très basse consommation, comme tout ce qui touche au comportement des capteurs », termine M. Orchard.
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Mais ça, c’est pour le futur. Pour l’heure, Loihi 2 reste une puce estampillée « Intel Labs ». Qui prendra la forme, dans un premier temps, d’une carte à simple puce pour les premières utilisations (Oheo Gulch) et d’un système empilable à quatre puces pour les environnements réseau (Kapoho Point). Demain dans les labos de recherche et les centres de données, l’an prochain dans les bras robotisés et les systèmes aériens. Dans quelques années dans nos smartphones ?
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