Réputé pour ses oracles définitifs ?”“Infogrames dominera la demande “mass market” des loisirs interactifs !”, “le jeu vidéo sera au xxie siècle ce que le cinéma a été au xxe siècle”…?” Bruno Bonnell a rangé son brillant costume de prophète du jeu vidéo made in France. Ce 19 septembre, le PDG d’Infogrames Entertainment avait plutôt prévu de revêtir la panoplie du cascadeur kamikaze Stuntman (le dernier jeu de simulation maison) pour présenter les résultats 2001-2002 de son groupe à des analystes financiers circonspects et tablant consensuellement sur une perte nette de 25 millions d’euros (-42,7 millions en fourchette haute, -7,7 millions en fourchette basse), pour un chiffre d’affaires en hausse de 14 % à 769 millions d’euros.Le marché aurait pu pardonner un simple accident de parcours au numéro 1 français et européen du jeu vidéo, qui a déjà vendu des millions de logiciels (Alone in the Dark, V-Rally…) aux gamers du monde entier. Mais c’est à une vraie crise de confiance qu’Infogrames doit faire face aujourd’hui : des comptes profondément dans le rouge depuis deux ans (121 millions d’euros de pertes en 2000-2001), une dette pharaonique (540 millions deuros dont 440 millions à rembourser dès 2004-2005), un cours de Bourse divisé par quinze depuis le printemps 2000 (l’action, qui a coté jusqu’à 52 euros en mars 2000, a fondu jusqu’à 3 euros ces jours derniers)…
Accusé : l’esprit de conquête
Le groupe fondé en 1983 par Bruno Bonnell et Christophe Sapet traverse aujourd’hui la plus mauvaise passe de son histoire. Au banc des accusés : la boulimie d’acquisitions de ces trois dernières années (Accolade, GT Interactive, Hasbro Interactive…), des actifs payés au prix fort à grand renfort d’emprunts sur le marché. Bruno Bonnell, lui, défend bien sûr mordicus la stratégie conquérante qui lui a permis de hisser Infogrames au rang de “numéro 2 des éditeurs de jeux vidéo aux États-Unis”. Et rejette vivement tout amalgame avec les déboires de Vivendi Universal, même si Jean-Marie Messier s’est lui aussi offert ?” entre autres gâteries ?” des studios de jeux américains (Blizzard et Sierra qui forment l’essentiel de VU Games). Mais la plupart des analystes sont désormais très sceptiques sur l’avenir du groupe lyonnais. Cyril Tezenas, de Global Equities, juge la situation comptable du groupe “affolante”. De son côté, Min Lan-Phan de l’Atelier BNP-Paribas n’est pas “sûre qu’Infogrames pourra faire face à ses échéances financières” et estime que “Bruno Bonnell devra trouver des solutions, même s’il rejette pour le moment l’hypothèse d’une OPA sur son groupe.”Pour elle, Infogrames peut toutefois miser sur “un rebond des ventes de jeux vidéos en Europe à Noël”, après les baisses de prix décidées par les trois grands fabricants de consoles. Mais Cyril Tezenas s’inquiète précisément du fait que Sony annonce déjà une Playstation 3 pour 2004, “alors même que les éditeurs comme Infogrames n’ont pas encore amorti leurs investissements pour les nouvelles consoles type PS2, X-Box et Gamecube”. La comparaison avec un autre éditeur français fait mal : plus petit (369 millions d’euros de chiffre d’affaires) et moins international, Ubi Soft affiche un ratio d’endettement sur fonds propres de 40 % quand Infogrames est plombé à hauteur de 120 % ! Alors, à l’approche du vingtième anniversaire de son groupe, Bruno Bonnell risque-t-il de voir s’afficher un “game over” sans appel sur son écran de contrôle d’Infogrames ?Avec plus de 60 % de son capital dans le public et l’absence de dispositif de verrouillage, le groupe est réputé “opéable”. Des rumeurs évoquent un raid du yankee Microsoft, en quête de jeux pour sa X-Box, ou du samouraï Sega, qui s’est recentré sur l’édition de logiciels. Hypothèses plausibles, car après son massacre en Bourse, Infogrames ne vaut plus que 355 millions d’euros contre près de 6 milliards en mars 2000 ! Bref, c’est le monde à l’envers pour Bruno Bonnell, longtemps surnommé Pacman (du nom du célèbre glouton jaune électronique dévorant tout sur son passage).
Un Joker cascadeur
Mais la partie n’est pas finie pour le patron d’Infogrames. Son joker ? Stuntman, le fameux jeu de cascade automobile qui s’est déjà vendu à près de 1 million d’exemplaires aux États-Unis et s’arrache sur le marché européen. Devinette : pourquoi Bruno Bonnell et Christophe Sapet ont choisi le Tatou comme animal fétiche de leur société ? Parce que cet étrange petit mammifère cuirassé a survécu à 55 millions d’années de sélection darwinienne. Alors qu’est ce que 20 ans dans la vie d’un jeune dinosaure du jeu vidéo…
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