Les capital-risqueurs européens passent à l’heure des nanotechnologies. Dès octobre, Capital Stage, un fonds suisse entièrement dédié à ce secteur, devrait conclure un premier “closing” pour un montant de 100 millions d’euros. En France, Emertec, une société de capital-risque gérant jusqu’à présent 20 millions d’euros, se donne un an pour créer un fonds d’amorçage de 40 millions d’euros dédié exclusivement au monde de l’infiniment petit.Après la folie des dot-com, l’âge d’or des biotechnologies, les capital-risqueurs céderaient-ils encore à un effet de mode ? “Je n’explique pas cet engouement soudain. La profession s’intéresse aux marchés récents capables de créer rapidement de la valeur. Historiquement, ces marchés naissent d’une révolution technologique ou d’un aménagement de la loi. Or, ici, il n’y a eu ni l’un ni l’autre. Les nanotechnologies se présentent comme l’évolution naturelle des technologies de l’électronique”, s’étonne Alain Rodermann, associé chez Sofinnova Partners, chargé des investissements dans les composants.
Dénicher le “nano” Gates
La mariée promet pourtant d’être belle. La National Science Fondation, une agence américaine dédiée à la promotion des progrès scientifiques, estime que le marché des nanotechnologies atteindra quelque 700 milliards d’euros en 2008 (l’équivalent du marché mondial du pétrole) et 1 000 milliards en 2015. Alan Marty, responsable des nanotechnologies chez JP Morgan Partners, est convaincu qu’elles auront un impact sur l’ensemble des sociétés high-tech, des sciences du vivant aux technologies de l’information, en passant par les matériaux. Bien que le potentiel soit illimité sur le papier, il est trop tôt pour identifier précisément les applications qui découleront de ces technologies. La route sera longue avant que les financiers ne touchent le jackpot, car le marché n’explosera que dans une décennie. Bill Reichert, fondateur de Garage Ventures, un fonds américain particulièrement actif dans le secteur, précise : “Le cycle des nanotechnologies se situe entre celui de l’internet et celui des biotechnologies.” Pas question d’un retour sur investissement immédiat. Un jugement que ne partage pas Mark Modzelewski, directeur exécutif de l’association industrielle américaine Nanobusiness.org. Ce dernier prédit l’avènement d’un Microsoft des nanotechnologies. Pour dénicher ce “Bill Gates”, certains capital-risqueurs se jettent à l’eau dès aujourd’hui. “À un instant T, la recherche rejoint l’industrie. Certaines niches, comme les nanotubes de carbone ?” ce matériau hyper-résistant de l’avenir ?” sont mûres, et il est intéressant d’y investir tôt pour réussir les plus forts multiples”, explique Philippe Capdevielle, président du directoire d’Emertec.Le fonds a déjà sauté le pas en participant au tour d’amorçage de Nanoledge. Le fabricant de nanotubes a levé 1,5 million d’euros. Autre exemple : Siparex Ventures a investi dans deux sociétés, Neophotonics et Optogone. La première, une start-up américaine qui utilise des nanopoudres pour développer des matériaux optiques, a levé en juin dernier la coquette somme de 35 millions de dollars (35,7 millions d’euros) auprès d’investisseurs internationaux. La seconde, qui produit des cristaux liquides pour réseaux optiques, a récolté 7,3 millions d’euros en début d’année. Poutant, les capital-risqueurs ne foncent pas tête baissée sur le moindre projet labellisé “nano “.Recruté en février pour sélectionner les “nanopépites”, Alan Marty n’a pas misé un seul dollar sur le secteur : “Nous n’avons pourtant pas de problèmes d’argent. Nous avons levé 8 milliards de dollars. Mais sur les trente dossiers que j’ai disséqués, aucun ne remplissait tous mes critères. Soit l’équipe était inexpérimentée, soit le projet devait encore mûrir 2 à 3 ans dans un laboratoire.” JP Morgan Partners ne désespère tout de même pas de signer trois ou quatre opérations par an. Même écho chez Siparex Ventures : “Nous ne misons pas tout sur le même cheval. Nous continuons de nous diversifier dans les NTIC, les biotechnologies et les technologies fondamentales. Nous ne prévoyons de faire que trois dossiers par an dans les nanotechnologies. Deux sont actuellement à l’étude”, confie Pascal de Michel, directeur chez le capital-risqueur.
Miser sur la distance
Échaudés par les faillites en série des dot-com, les investisseurs redoublent de prudence. Et ils ont raison, car ce nouvel Eldorado technologique est particulièrement gourmand en cash : il réclame d’importants moyens pour financer les matériels de pointe, la recherche… Aussi, les financiers doivent-ils se préparer à soutenir les start-up d’aujourd’hui sur une longue distance, à financer plusieurs tours de table pour que la technologie se transforme en produit. Ici plus qu’ailleurs, la réussite est liée à l’identification des projets. Tim Harper, fondateur du cabinet d’études spécialisé CMP Cientifica, prévient : “Il est difficile pour un capital-risqueur de comprendre quel “business model” peut émerger à long terme d’un projet de recherche fondamentale.” Ne s’improvise pas “Monsieur Nano” qui veut ! Pascal de Michel, chez Siparex, est ainsi un pur produit du CEA (Commissariat à l’énergie atomique). Les capital-risqueurs devront recruter des associés avec un background scientifique, comme ils l’ont fait pour les biotechnologies. Sous peine de tomber une fois encore dans de surprenantes chausse-trappes !
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