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Il pond pas rond

De start-up en holdings, journal de bord d’un cadre de la nouvelle économie. Il se confie sous pseudo pour parler?” et parfois crier ?” plus librement…

Ça y est, Roland est devenu fou. Notre boss était déjà en surchauffe depuis quelques semaines, mais là, il vient carrément de péter une durite. Tout a commencé avec le rachat d’un groupe de start-up bretonnes, dirigé par un ancien prof d’éco roublard, Armand, qui nous a fait prendre sa vessie pour le phare des nouvelles technologies. Les start-up qu’il nous a fourguées, jeunes pousses déjà ridées comme des pruneaux, et se réduisant à peu près à leur noyau, ont néanmoins fait le bonheur de Roland, caracolant à Roncevaux comme s’il venait de gagner le Prix de l’Arc de Triomphe.Sur sa lancée, notre preux chevalier a embroché quelques boîtes supplémentaires, orientées B to B. ” Business to business ? Tu parles… Faillite to faillite, oui ! “, me souffle une petite voix (celle de ma femme), qui ne croit jamais en rien et s’acharne sadiquement à gâcher ce qui me reste d’optimisme. Couac il en soit, le groupe s’étend, comme une tache d’huile sous un moteur. Et toutes ces acquisitions ont fait monter la température de Roland en courbe exponentielle, à tel point qu’il s’est mis à pondre des ?”ufs, légèrement carrés qui plus est… Je précise que notre boss est un obsédé de l’?”uf, c’est-à-dire du ” concept “. Des concepts, il en pond maintenant tous les jours, et les appelle fièrement ” mes ?”ufs “, les peaufinant au paperboard en expliquant que leur forme parfaite, si satisfaisante pour l’esprit, traduit le mariage harmonieux du contenu-perçu et du contenant-parlant. Avouez qu’il y a de quoi s’inquiéter…Quant à la forme de ses dernières pontes, indubitablement carrées, elle s’explique par la nouvelle obsession rolandesque de polarité quadruple : Investissement-Écho-Risque-Zéro. Ça a l’air d’une farce, mais non, c’est ce que Roland compte servir à la presse et aux investisseurs. En tant que directeur de la communication, j’essaie de limiter la casse en rewritant la plaquette spécial-?”uf-carré qu’il va faire distribuer urbi et orbi. Mais comment arrondir les angles de sa prose délirante sans faire d’omelette et sans le vexer ?Il y a plus grave : j’ai réussi à lui obtenir un passage sur LCI, à ” L’invité de l’économie “. Oui, Roland accède à l’Olympe du média économique, le sévère Nicolas Beytout ayant accepté de l’interviewer sur son concept carré, par pur sadisme probablement… Notre boss passe à l’antenne dans quelques jours, et ne touche plus le sol. Mon boulot de dircom consiste à lui éviter le KO. L’émission ne dure que 6 minutes 30, c’est-à-dire 6 minutes 30 de trop… Pour le concept, j’ai conseillé à Roland de ne pas dépasser les 10 secondes d’explication, et d’enchaîner tout de suite sur un autre sujet, pourvu que ce ne soit pas carré… Lifting, suite : je l’ai emmené chez Versace pour le parer d’un costume-déstructuré-mais-pas-trop, puis dans le temple parisien de la beauté masculine, Delacre, pour des soins du visage et une coupe de cheveux digne de ce nom. Là, quand Roland ?” croyant que c’était le comble du chic ?” a pompeusement réclamé un ” shampoing aux ?”ufs “, j’ai compris qu’on néchappe pas à son karma, et que plus rien ne pourrait le sauver…

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La rédaction