Dans le contexte de pénurie d’informaticiens, pensez-vous que les efforts des SSII pour garder leurs ingénieurs sont bien adaptés ? Les SSII font essentiellement du court terme. De projet en projet, elles ne parviennent donc ni à gérer leurs consultants, ni à trouver les bonnes formes de coopération avec eux. Tout dépend en réalité du rapport de force au sein du système. Tant que le marché est favorable à l’employeur et que le coût de l’embauche reste raisonnable, les entreprises se soucient peu de tout cela. Dans les années 80, on avait beau dire que le personnel était leur bien le plus précieux, on en licenciait pas moins en masse. Actuellement, on entend d’autres discours : nous sommes une grande famille, tous mobilisés autour d’un seul objectif : satisfaire le client… Mais les SSIII poursuivent leur politique de presse-citron.Les SSII déclarent pourtant avoir rénové leur culture … Le problème est que trop souvent dans les entreprises, le discours et la réalité culturelle ne collent pas ensemble. C’est ce qui se passe aujourd’hui dans les SSII. La culture, c’est très important. Mais elle ne se décide pas. Elle résulte de l’histoire de l’entreprise. Par contre, on peut décider de la faire évoluer, mais sans renier l’existant. On ne peut pas balayer d’un coup de main la véritable culture des SSII, dont le métier consiste à facturer la matière grise de leurs collaborateurs. D’ailleurs, ce décalage les concerne toutes.Les moyens mis en oeuvre par certaines sociétés pour améliorer la vie de leurs salariés vous paraissent-ils efficaces ? Les entreprises se sont précipitées sur l’organisation de séminaires et autres lieux de rencontre… C’est une vision à très court terme. Ce que j’appelle le syndrome du lundi matin : les séminaires, c’est bien joli, mais le lundi matin, c’est le retour à la réalité. A quoi bon des séminaires sur le management participatif, si le système sociotechnique ne change pas ? Les entreprises dépensent ainsi des sommes folles qui ne servent strictement à rien. La première recommandation que j’ai faite dans une grande entreprise nationale était d’arrêter les séminaires de management. Au moment des discours, tout le monde était d’accord. Pourtant rien ne changeait.Mais comment faut-il alors manager les équipes ? La faiblesse des grandes SSII, contrairement à ce qu’elles s’imaginent, est de ne pas diriger leurs équipes. Elles n’ont pas de ligne de management, c’est-à-dire de véritables patrons, chargés de décliner les objectifs de la direction concrètement pour les collaborateurs et prenant en charge le contrat de chacun. Ces sociétés ont, pour une grande part, adopté la mode de l’organisation matricielle. Or, le matriciel, si ça doit se traduire par “personne ne s’occupe de moi “, c’est la pire des choses. La plupart du temps, les organisations par projet ont un défaut majeur : le chef de projet gère les modalités, mais il n’est pas responsable des personnes. Or une équipe, c’est une micro-société qui va créer sa propre micro-culture. Il faut donc qu’on donne à celui qui l’encadre la responsabilité de ses membres. C’est lui qui doit prendre en charge l’arrangement mutuel avec eux.Qu’entendez-vous par ” arrangement mutuel ” ? Il s’agit du contrat. Non pas le contrat de travail qui est totalement obsolète. Mais celui qui précise les termes de l’échange entre l’employeur et l’employé. Chaque salarié apporte sa contribution en échange d’une rétribution. Celle-ci s’exprime certes en termes de salaire, mais aussi – et surtout – par la définition précise de la mission, l’intérêt du travail, les possibilités de carrière, etc. C’est au travers de ces échanges qu’il faut regarder le contrat. Ce n’est pas via des discours lénifiants qu’on peut résoudre les problèmes de relations avec les salariés. Il faut rebâtir en permanence ce contrat : on doit en modifier les termes à chaque modification de la situation. Le contrat doit être explicite.Mais qu’est-ce qui a vraiment changé ? Les nouvelles technologies ont engendré de nouveaux modèles d’organisation dans l’entreprise. Morcelée en filiales, avec ses founisseurs et ses clients, celle-ci se constitue en réseaux, c’est-à-dire en systèmes complexes. Et manager de tels systèmes – véritables flottilles -, ne se fait pas de la même façon que dans le vieux modèle industriel. Les relations et les modes de coopération sont alors très différents. Ce qui repose le problème du contrat. Mais aujourd’hui, le souci numéro un des entreprises françaises, c’est qu’auparavant les nobles étaient les techniciens, c’est-à-dire des ingénieurs hautement respectés et valorisés. Avec l’arrivée de l’économie concurrentielle mondialisée, le noble n’est plus le technicien mais le vendeur. Et ça, c’est une révolution culturelle dans les entreprises.(*) Auteur avec Eric Delavallée de Le manager à l’écoute du sociologue, (éditions d’Organisation), grand prix du Livre de management et de stratégie.
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