Difficile, depuis quelques mois, d’échapper à la campagne de communication d’IBM autour du logiciel libre en général, et de Linux en particulier. Pour le fournisseur, qui a longtemps symbolisé le monde propriétaire, l’investissement dans cet environnement constitue une forme d’aboutissement pour une stratégie d’ouverture entamée au début des années quatre-vingt-dix. En fait, pur produit d’un circuit de développement indépendant, Linux suscite de plus en plus l’intérêt des grandes firmes commerciales de la sphère informatique, et plus particulièrement de celles du monde Unix. Les deux systèmes ne sont d’ailleurs pas si éloignés que cela. Linux n’est pas tout à fait un Unix, mais il s’y apparente. En 1991, lorsque Linus Torvalds commence à travailler sur ce noyau, il part de rien et ne s’appuie sur aucun code de système existant, pas même celui d’un BSD (Berkeley System Distribution) ou d’un Système V. Mais il s’inspire néanmoins de documentations de systèmes conformes à Posix, tel l’Unix de Sun. Au final, la plupart des fonctions de Linux sont celles d’un Unix. De plus, il fonctionne en mode multitâche, exploite la mémoire virtuelle, les bibliothèques partagées, le réseau TCP/IP, etc.Le cabinet Gartner a recensé les points communs et les différences entre les deux environnements et confirme de nombreuses similitudes de base : Posix, X-Window, C++, LDAP, FTP, TCP/IP, les shells Unix, etc. Mais Unix, né chez AT&T en 1969, compte vingt-deux ans d’expérience de plus, qui lui confèrent sans conteste un avantage sur des fonctions d’informatique d’entreprise telles que le clustering, le traitement en 64 bits ou même le multiprocessing .C’est donc en toute logique que l’ensemble des fournisseurs d’Unix travaille à l’évolution du petit dernier de la famille. En tête donc, IBM y consacre une entité à part entière : le Linux Technology Center. Loin de se contenter du portage d’applications, les équipes de ce centre travaillent à ajouter des fonctions au noyau Linux. IBM est le seul fournisseur d’Unix commercial à oser s’attaquer véritablement, directement et officiellement au c?”ur de Linux. Il faut dire qu’il a développé des relations spécifiques avec la communauté. “Etre IBM ne nous aide pas, reconnaît Sheila Harnett, ” distinguished engineer” au Linux Technology Center d’IBM. Mais cela ne nous nuit pas non plus. Nous avons adopté la bonne approche, en proposant des idées plutôt qu’en arrivant avec nos gros sabots. Nous avons commencé par simplement soumettre quelques patches et corrections de bogues. Maintenant, nous sommes bien acceptés.”Deux grands projets s’appuient, entre autres, sur des éléments provenant d’AIX. L’adaptation du Distributed Lock Manager, de HACMP, qui verrouille les ressources utilisées par les applications en cluster. Et le portage du test du noyau en entreprise. Cependant, l’équipe AIX met aussi régulièrement ses compétences à disposition, comme elle l’a fait pour améliorer le scheduler de Linux, par exemple.Toutefois, si IBM est sans nul doute le fournisseur historique du monde Unix le plus impliqué dans Linux, HP, Sun, Compaq et même Caldera, propriétaire des environnements SCO, ne restent pas les bras croisés. Tous veulent réduire la différence entre les deux familles. “Notre objectif majeur est d’unifier Unix et Linux pour les entreprises, argumente ainsi François Mauny, directeur France et Afrique du Nord pour Caldera. Il manque encore certains éléments dans Linux pour déployer de grands environnements transactionnels.”
Toucher au noyau n’est pas toujours rentable
De son côté, Rupert March, Linux Alliance Manager pour Compaq Europe, affirme qu’“il est absolument essentiel de rendre Linux hautement disponible “. Mais, cette fois, plus personne ne touche au noyau ! Parfois, cela ne semble pas suffisamment rentable sur le plan technique. Parfois, c’est la méfiance de la communauté vis-à-vis de fournisseurs commerciaux soudain passionnés par ses projets qui rebute. Tous proposent au moins des ABI (Application Binary Interface) pour exécuter des applications Linux sur leurs Unix. “OpenUnix 8 ne se différencie de la précédente version, Unixware 7.11, quasiment que par la couche LKP (Linux Kernel Personality), qui intègre ces ABI Linux, explique Philippe Chiesa, consultant chez Caldera. Or, elle se vend très bien auprès des grands comptes du secteur public. Ce qui prouve l’intérêt de ces derniers pour cette compatibilité Unix.”Caldera est l’autre firme un peu à part dans la rencontre d’Unix et de Linux, puisqu’elle est la seule du marché à vendre les deux. Mais, bien que travaillant avec la communauté, Caldera ne transfère pas non plus d’éléments du noyau d’Unix dans Linux. Il porte plutôt sur Linux des technologies que celui-ci n’intègre pas ou peu, comme le clustering ou la messagerie, mais dont il fera des offres commerciales.Chez HP, “il existe désormais dans chaque division des hommes qui travaillent exclusivement sur Linux, insiste Benoît Maillard, consultant pour la Technical Consulting Organization du constructeur. Mais passer du noyau Unix 64 bits au noyau Linux équivaudrait à franchir la ligne blanche. Notre valeur ajoutée se trouve dans l’infrastructure, la certification de plates-formes, de grosses baies de stockage ou de grands serveurs.” HP réécrit également les pilotes de tous ses périphériques et son environnement d’administration : les agents d’inventaires Toptools comme les Services Controls pour la remontée d’incidents systèmes. Le clustering de haute disponibilité MCServiceguard sera, quant à lui, disponible courant 2002.De son côté, Compaq fonctionne à peu près selon la même logique. Son Linux Program Office constitue un point de coordination entre les employés qui travaillent sur Linux et qui sont répartis dans les équipes de développement ?” Alpha, Intel, informatique technique, stockage, et même iPaq. “Nous avons porté l’environnement Non Stop Cluster, qui fonctionne sur Intel, explique Rupert March, Linux Alliance Manager pour l’Europe, qui appartient aussi au Linux Program Office. Et nous travaillons beaucoup autour du Single System Image.”
Un système vraiment ouvert et libre
Chez Sun enfin, on coordonne également les activités Linux au sein des divisions produits. Et ce sous le même nom de Linux Program Office. “Nous représentons l’une des plus grosses contributions d’une entreprise commerciale à l’évolution de Linux si on l’évalue en nombre de lignes de code source libre “, argumente Herb Hinstorff, responsable du Linux Program Office. Le constructeur travaille sur le code réseau de bas niveau ?” Transport Independant RPC, par exemple ?”, sur NFS 4 avec l’université du Michigan, ainsi que sur le portage de J2EE, J2SE et J2ME et des iPlanet Directory Services, etc. Des éléments essentiels pour que Linux rattrape un jour Unix. Un système vraiment ouvert et libre : les Unix en avaient rêvé, la communauté Linux est en train de le réaliser ! Et si elle voulait bien prêter un peu plus l’oreille aux fournisseurs Unix, elle pourrait y arriver encore plus vite.
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