Les mots « photonique », « térahertz », « nanoseconde » ou « lumière liquide » nous avaient mis l’eau à la bouche… A l’occasion d’un voyage qui a invité la presse à découvrir (un peu) des secrets de son laboratoire européen de recherche de Zürich, IBM nous a présenté une technologie bourgeonnante, plus expérimentale encore que l’informatique quantique. Son nom : le processeur photonique. Son objectif ? Résoudre des problèmes très simples avec peu d’énergie et une latence de l’ordre des nanosecondes.
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IBM n’est pas le seul à travailler sur la photonique : Intel travaille sur la production de telles puces dans ses usines – rachetées à IBM ! Et le géant de Santa Clara dispose de plusieurs unités de R&D qui sont aussi sur le coup, notamment dans le domaine de l’automobile avec son entreprise fille Mobileye. Mais, quand la plupart des technologies actuelles se concentrent essentiellement sur la transmission d’information, les équipes suisses d’IBM veulent faire du calcul. Avec des rayons lasers.
Rencontre avec le « maître laser »
Dans les profondeurs de son laboratoire helvétique de photonique, le maître des lieux est Thilo Stöferle. D’allure bonhomme, le scientifique au visage rond et bienveillant prévient tout de suite – et à plusieurs reprises :
« Il s’agit encore d’un projet de recherche fondamentale. Nous faisons partie de ces laboratoires qui travaillent, sur le long terme, sur des technologies dont on sait pertinemment qu’on ne va pas les commercialiser rapidement, si jamais même on peut les commercialiser. Mais nous menons ce genre de projets parce qu’on sait que l’industrie informatique, et IBM, en auront besoin dans le futur », explique Thilo Stöferle.
Que fait donc ce monsieur et son équipe dans les sous-sols du très discret laboratoire de Zürich ?
« De manière simple, disons que nous tentons de développer une puce dédiée au calcul ultra rapide des informations », explique-t-il.
Pour ce faire, l’équipe de Thilo Stöferle a besoin de laser. Mais pas n’importe lesquels. Et surtout, pas dans n’importe quel état.
Quand la lumière interagit avec… la lumière
Quand on parle de lumière, on parle d’un monde qui nous est étranger. A la fois onde et corpuscule, la lumière n’est pas un objet physique classique, mais un sujet quantique.
Dans ce monde l’infiniment petit, où les forces de la gravitation cèdent le pas aux interactions électromagnétiques, les lois et les propriétés changent. Ce qui fait que deux rayons lumineux qui se croisent n’ont généralement aucune interaction.
Contrairement à deux voitures, deux pigeons ou deux saucisses de Morteaux qui se percutent dès que leurs trajectoires se croisent, les photons, décidément très polis, s’esquivent tellement bien qu’on ne peut jamais les faire se bousculer.
Tout du moins en général. Parce que cette collision maîtrisée de rayons lumineux – plus précisément de lasers – est au cœur du projet de puce photonique d’IBM.
« Nous travaillons à transformer un signal optique en une fonction logique. Nous voulons modéliser des gates (portes, ndlr) de type AND ou OR que l’on retrouve dans les transistors classiques », explique-t-il.
L’intérêt étant que par rapport à un signal électrique, un « interrupteur » photonique qui fonctionne sur l’activation par un photon unique est 100 fois plus rapide, et a besoin de 100 fois moins d’énergie que son équivalent électrique.
Impossible d’utiliser des lasers classiques, il faut créer des rayons où la lumière est à l’état d’une onde de matière qui agit de manière cohérente. Dans cet état, cette lumière est « fluide », « liquide », et peut être pilotée pour former des fonctions logiques.
Mais, pour que la magie opère, pour réussir l’exploit de faire interagir la lumière avec la lumière, il fallait un composant spécial, incroyable. Un cristal magique comme dans les histoires – si, si, vous allez voir – qui fut découvert par hasard…
De la pérovskite en guise de kryptonite
Point de planète Ilum pleine de cristaux Kyber, comme dans Rogue One (Star Wars), ni de kryptonite de l’univers de Superman. Mais un cristal exotique qui se trouvait… à quelques encablures du laboratoire d’IBM !
« Un jour, nos voisins de l’EPH de Zürich nous ont contactés pour nous parler des cristaux de pérovskite qu’ils avaient synthétisés et nous ont demandé notre avis à ce sujet », explique le Dr Stöferle.
Et là ce fut la révélation… ou presque.
« Nous avons reçu leurs matériaux et pendant deux jours, nous n’avons rien compris à ce que nous voyions ! Les cristaux ne réagissaient comme rien de connu. Il nous a fallu deux ans d’analyse de leurs différentes réactions pour comprendre ce qui se passait ! », s’enthousiasme le chercheur.
Cailloux transparents aux reflets verts et réagissant à la lumière ultraviolette, les différents fragments de pérovskite que nous a montré le chercheur semblaient avoir un bon potentiel esthétique montés en boucles d’oreilles. Mais pas de joaillerie ici, ce qui compte pour Thilo Stöferle est évidemment que si son équipe arrive à surmonter un nombre incalculable de défis techniques – difficiles à appréhender par le commun des mortels, dont nous faisons partie –, ils pourront créer et contrôler cette « lumière liquide » et ainsi créer une puce photonique à laser téraHertz.
Et ça, les Hertz, on comprend ce que c’est. Et surtout, avec le préfixe téra- devant, on voit clairement que ça semble aller vite. Très vite.
Lumière liquide pour laser térahertz
Rappelons ici que les Hertz (notés Hz) quantifient le nombre d’occurrences d’un événement au cours d’une seconde. Un courant alternatif de 50 Hz oscille 50 fois par seconde, un processeur à 4 gigaHertz effectue quatre milliards de cycles d’horloge par seconde. Et un laser téraHertz a une longueur d’onde qui oscille au moins 1 billion, c’est-à-dire mille milliards, de fois par seconde. Oui, ça va vite, très vite même.
Mais précisons qu’un tel processeur n’aurait rien à voir avec nos puces actuelles, ne serait-ce que pour la miniaturisation. Alors que TSMC et Samsung sont en route pour produire des circuits de 3 nm, un processeur photonique a d’autres limites.
« Avec les limites de la physique, on sait qu’on ne pourra pas faire des puces aussi denses que les processeurs électriques actuels. Pour l’heure, la miniaturisation est limitée par la longueur d’onde du laser, aux alentours de 100 nm. On est loin des pistes en 5 nm ! L’objectif est donc de développer des puces logiques simples, mais ultra rapides », décrit Thilo Stöferle.
Complémentaires des processeurs classiques, ces puces photoniques dont le Dr Stöferle affirme qu’elles ne disposent pas, même virtuellement, « d’indicatifs précis de performances » pourraient néanmoins sur le papier, devenir des composants précieux pour le futur. Notamment celui des ordinateurs quantiques.
Calculer, décider et communiquer à la vitesse de la lumière
Si la feuille de route des processeurs quantiques d’IBM montre une implacable montée en puissance, ces machines de l’extrême ne remplaceront jamais nos ordinateurs. Elles souffrent notamment de certains goulets d’étranglements, notamment en matière de mémoire. Limités sur ce point et dépendants d’ordinateurs conventionnels, les temps de conversion et de transferts d’information sont ralentis – et donc la latence augmente.
« Des puces photoniques pourraient être envisagées comme liens entre les systèmes classiques et quantiques, voire entre systèmes quantiques en direct », imagine Thilo Stöferle.
Un autre usage, avec des infrastructures déjà en place, serait de permettre à des équipements comme le LHC, l’accélérateur de particules du CERN, de réagir à la vitesse de la lumière.
« Des puces photoniques dont la vitesse de fonctionnement se mesure en téraHertz seraient capable d’exécuter des programmes en quelques nanosecondes. Dans le cas des collisions entre particules du CERN, qui génèrent énormément de données, une telle puce pourrait, quasiment en temps réel, déterminer si une masse de données générées par un événement est intéressante ou doit être évacuée pour continuer l’expérience ».
Une fois encore, comme pour l’ordinateur quantique ou les processeurs neuromorphiques, les processeurs photoniques n’ont pas comme but de remplacer les puces existantes. Mais, comme eux, leur arrivée pourrait avoir des effets d’une magnitude très importante dans de nombreux secteurs de la recherche et de l’économie. Il ne reste plus qu’à… dompter la « lumière liquide ».
Notre série consacrée au laboratoire de recherche suisse d’IBM :
– Comment IBM devrait ouvrir la voie révolutionnaire de l’avantage quantique dès 2023
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