On l’a voulu, on l’a eu. Je ne vous parle pas du nouveau président de la République, mais du type que vient d’embaucher notre boss pour faire le ménage dans le groupe. Un jeune magistrat à la retraite, chargé d’éradiquer les taches qui commencent à transformer la blanche tunique de notre réputation en cloison de sanisette revisitée par Taggers & Associés… L’idée, c’est d’arroser tous ces vils graffitis d’une bonne couche de napalm, avec rasade spéciale pour le syndicat d’acariens responsable de nos dérives : c’est ainsi que le patron nomme “tous nos cadres soi-disant supérieurs qui ont participé de près ou de loin à la dégradation de notre image “. Que nous reproche-t-il, en fait ? D’avoir obéi à ses ordres. D’avoir appliqué à la lettre toutes ses directives pour : I/ gonfler artificiellement l’audience de nos sites ; II/ rendre captifs les internautes en les clouant comme des papillons sur nos pages web par a/ des astuces de programmation dignes d’un hacker californien carburant au crack, b/ des promesses de livraison non-tenues, c/ des loteries bidon, d/ du couponing frelaté, e/ du spamming avéré relevant carrément du harcèlement textuel… Pour clore momentanément la liste de notre jeune magistrat embauché comme “déontologue”, citons encore un ou deux points parmi les 110 aboiements de son rapport “préliminaire” : III/ comptabilité faisandée ; IV/ campagne de calomnies contre la concurrence ; V/ contrefaçon et parasitage de marques (quel pinailleur, ce juge ! Nous avions déposé un Vivendeal.com pour notre branche d’i-commerce, je ne vois vraiment pas où est le problème…). Conclusion de notre DG Charlotte, qui ?” pour une fois ?” analyse parfaitement la situation : “Ça merde grave !” Exact : notre déontologue fraîchement débarqué a carte blanche pour sanctionner qui bon lui semble. Et croyez-moi, ce type-là, qui est manifestement pour le rétablissement de la peine de mort, a vraiment des fourmis dans la guillotine… En fait, il rêve de raccourcir les CV de tous les coupables, ce qui ne laisserait plus que deux personnes dans la boîte : le boss et lui. Transformer notre multinationale en TPME, c’est ça qu’ils veulent ? “T’inquiète pas, répond John, notre strategic planner. On sera vite remplacé par les baby-requins que le boss a déjà commencé à auditionner… That’s life !” Charlotte : “Oui, ben moi, je dis que non, c’est pas une vie. M’enfin bon, perso, j’ai rien à me reprocher, moi, hein ?” John, hilare : “That’s right, Charlotte : à part ton Vivendeal.com et autres plagiats, tu es clean comme neige.” Charlotte, soudain pâlotte : “Mais euh… c’était Roland qui nous avait demandé de… Et puis merde, j’ai quand même pas le casier de Chirac, moi ! Faudrait pas qu’il se trompe de cible, notre Halphen bis ! Et puis quelle idée d’embaucher un juge comme déonto-machin, faut être maso, non ?” Elle conclut par un viril “ce magistrouducul commence à me les hacher menu !!!” Impressionné, et presque requinqué par tant de crânerie, je lui explique gentiment qu’il est courant d’améliorer son image en engageant comme déontologue des juges en disponibilité, mais qu’elle et moi n’avons rien à craindre. Aujourdhui, sa réponse me trotte encore dans la tête : “Moi non, mais toi…”
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