Lorsque nous avons obtenu un entretien exclusif avec le patron des affaires européennes de la division grand public de Huawei lors du lancement du Mate Xs 2, la première question qui nous brûlait les lèvres était évidemment « Huawei va-t-il arrêter de faire des téléphones ? ». La question est légitime. En 2018, Huawei est au faîte de sa gloire et a supplanté Samsung en tant que numéro 1 mondial du secteur. Puis, l’administration américaine de Donald Trump a engagé une véritable guerre économique, un « Huawei Gate ».
Et quatre ans après, la marque n’est même plus dans le top 5 mondial, ni même chinois ! Privé des usines de TSMC pour produire ses puces, privée des Googles Mobile Services (GMS), et donc d’une grande quantité d’applications, services et technologies (DRM américains pour Netflix, par exemple), la marque a vu ses parts de marché fondre pour quasiment s’effacer partout. Elle a également été contrainte de céder Honor pour ne pas détruire toutes ses activités. Quel intérêt alors de continuer à investir autant pour produire moins du dixième des volumes de jadis ? La marque va-t-elle jeter l’éponge ?
« Nous n’allons pas abandonner notre business des smartphones », assure William Tian.
Quinquagénaire énergique au regard et au verbe décidé, le chef de la division des produits grand public en Europe ne veut laisser aucun doute. Il assure que Huawei va « poursuivre ses efforts pour continuer à guider l’industrie par nos innovations ».
S’abritant sous les investissements colossaux de Huawei en R&D – avec 17 milliards de dollars annuels, le chinois est le second plus gros investisseur du monde, juste derrière Alphabet –, William Tian réfute toute idée de baisse d’intensité.
« Vous allez continuer à voir sortir de nouveaux terminaux tout au long de l’année. Et les activités reprennent : le Mate Xs 2 est déjà en rupture en Chine, la demande ayant dépassé nos attentes ».
Si l’affirmation est faite sur la base d’un terminal à 2 000 euros (dont le volume initial devait être assez limité) et sur son marché domestique, William Tian semble confiant.
« Huawei investit 20% de son chiffre d’affaires en R&D et les smartphones sont un marché qui reste clé pour nous », martèle-t-il.
Harmony OS : (re)construction d’un écosystème logiciel
Mastodonte chinois, Huawei peut se permettre de jouer le temps long. Sa R&D énorme, ses dimensions, son marché interne et ses business nombreux et variés – le champion accélère en informatique et se lance dans l’impression – font que la division smartphone peut compter sur d’autres produits pour se maintenir. Notamment grâce à l’écosystème logiciel.
Depuis la perte d’Android et des GMS, Huawei développe son écosystème Harmony OS. Plus un environnement qu’un OS monolithique – il est évident que les briques sont différentes entre les smartphones, les montres et les TV – il s’agit pour Huawei de reconstruire tout ce que Google a repris. Mais cette fois, avec l’assurance que les briques logicielles soient sous son contrôle.
Le tout, en tentant de maintenir des routes toujours ouvertes vers Android au cas où. Ainsi, le store de Huawei continue de s’étoffer d’applications natives et interopérables avec Android : les Allemands de Komoot, application phare des cyclistes et autres randonneurs, ont annoncé leur arrivée sur AppGallery.
« Nous travaillons tous les jours pour continuer d’apporter de nouvelles applications sur notre store », explique William Tian.
« C’est un processus qui prend du temps et nous n’avons pas de feuille de route à partager, mais nous y travaillons d’arrache-pied ».
Privé de 5G et de Google, Huawei doit s’adapter
L’investissement dans un écosystème alternatif à celui. de Google pourrait laisser à penser que Huawei ne veuille plus jamais avoir affaire à Google. Il semble qu’il n’en soit rien.
Sans jamais nommer Google ouvertement, William Tian assure que « Huawei est une marque ouverte : nous allons toujours essayer de coopérer avec les autres acteurs ».
Manière de dire que la balle est dans le camp de Google – ou plutôt du Département d’état américain – pour la reprise éventuelle du business.
Idem pour la 5G et l’accès aux usines : privé de la possibilité de produire ses puces – alors que Huawei fut le premier acteur au monde à intégrer un modem 5G dans un SoC ! – et étant limité à l’achat de puces 4G chez les Américains, Huawei ne peut qu’attendre le bon vouloir de l’Oncle Sam.
Selon une source qui a tenu à conserver l’anonymat, « l’accès aux puces 5G pourrait être résolu d’ici la fin de l’année. Mais pour Google, cela semble plus compliqué ».
Ce retour de la 5G serait clairement une bouffée d’air frais au moins dans le discours officiel de l’entreprise. Car interrogé au sujet de la disparition d’une technologie phare dont Huawei est l’un des plus grands champions et fut l’un des plus grands promoteurs, William Tian est obligé de botter en touche.
Soulevant la présence « de Wi-Fi 6E » et le fait que « les consommateurs normaux ne demandent pas des composants particuliers, mais cherchent des usages et des niveaux de performances satisfaisants ».
Dans ce domaine, il est évident que l’exécutif de Huawei marche sur des œufs.
Montrer patte blanche
Une des « injustices » du bannissement de Huawei est que l’entreprise est le bon élève du respect des règles locales, plus en tout cas que les autres marques chinoises.
Un ancien cadre de chinois de Huawei passé depuis à la concurrence nous confiait récemment lors d’un événement que « à côté de Huawei, les autres marques chinoises n’ont pas le même département légal. Le statut de « cible » de Huawei les oblige à être plus carré que les autres entreprises ».
Un état de fait qui se perçoit en structure comme en coulisses. Huawei est le seul acteur à disposer de serveurs européens certifiés RGPD (en Irlande) qui garantissent la collecte et le traitement des données uniquement en Europe. L’entreprise est aussi la seule du segment à faire signer des contrats relatifs au cadre anticorruption européen – les seules marques à avoir fait signer un tel document à l’auteur de ses lignes sont IBM, Qualcomm et Panasonic, le tout en 15 ans de carrière !
Le smartphone, le hub technologique obligatoire ?
Un parallèle intéressant avec la division smartphone de Huawei qui pèse de moins en moins lourd mais reste au catalogue, est évidemment celui des Xperia de Sony. Une division dont les ventes sont plus que modestes – Xperia n’est même pas dans le top 10 mondial – et très loin des chiffres même de Huawei. Mais que Sony considère comme nécessaire autant pour l’image (l’entreprise se concentre sur le haut et très haut de gamme) que pour la R&D (comprendre les besoins de ses clients à qui Sony vend ses capteurs d’image), ou l’intrication du smartphone dans un environnement produit (téléviseurs, appareils photo, caméras vidéo, etc.).
À découvrir aussi en vidéo :
« Chez Huawei, nous avons identifié cinq piliers d’innovation : la connectivité, le cloud, l’IA, le computing et le développement d’applications.
Cela ne concerne pas que les pros, cela touche tout le monde. Dans ces cinq environnements, le smartphone a sa place et nos dernières générations de terminaux sont de mieux en mieux perçus par le public », professe William Tian. Avec de renchérir une dernière fois « nous n’abandonnerons donc pas les smartphones ».
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