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Huawei : blessé, le mastodonte chinois pourrait devenir encore plus fort

S’il est incontestable que Huawei va souffrir durablement de son bannissement et de l’absence d’accès aux technologies américaines, cet événement pourrait être l’étincelle qui pousse le géant chinois à devenir encore plus autonome. Et puissant.

Huawei vient de prendre un grand coup dans l’estomac. L’ordre exécutif du président Trump plaçant le géant chinois sur une liste noire a fait dimanche dernier ses premiers dégâts en privant Huawei de technologies clés comme l’accès au Play Store de Google, aux puces d’Intel et de Qualcomm, et même à l’architecture ARM. De quoi faire très mal au chinois non seulement en termes de production – il n’aurait que trois mois de réserve de composants américains – mais aussi en termes d’image.

Ce blacklistage sans précédent du numéro deux mondial des smartphones (200 millions de terminaux vendus en 2018) risque de rester dans l’esprit de nombreux consommateurs, même si le différend entre Washington et Pékin se résout rapidement. Qui a envie d’investir dans un smartphone dont on peut craindre qu’il perde les mises à jour logicielles voire carrément l’accès aux applications du Play Store ?

Huawei touché, Huawei blessé, mais Huawei réveillé : qu’elle dure ou pas, cette mésaventure a permis au Chinois de mesurer sa réelle dépendance aux technologies américaines
Très fier de ses processeurs et de ses modules caméra maison, Huawei s’enorgueillissait en effet d’être autonome… ce qui n’est clairement pas le cas. Tant du point de vue des brevets, du design des puces, de l’accès aux composants ou de la production, le géant des télécoms n’a pas encore la puissance nécessaire pour tout faire tout seul, ou tout du moins loin de l’influence américaine.

Or, aussi ardue soit la tâche, Huawei pourrait réaliser cet exploit. Car la marque n’est la PME du coin, mais le fleuron technologique de la deuxième puissance économique mondiale.

100 milliards de dollars sous l’œil de Pékin

Foreign Policy

Huawei est un mastodonte qui a réalisé en 2018 pas moins de 107 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Mais si c’est bien une entreprise privée,  comme tous les grands groupes de n’importe quel pays, elle entretient des liens avec son gouvernement. Le hic pour Huawei, c’est que le gouvernement chinois est plutôt totalitaire et plutôt l’ennemi de l’Occident. Donc résolument louche, a fortiori quand c’est lui qui fournit les tuyaux dans lesquelles circulent, notamment, de nombreuses informations stratégiques.

S’il est impossible de vérifier la profondeur des liens entre Pékin et Huawei, le caractère critique de son cœur de métier – équipementier télécom – et les enjeux stratégiques liés à la 5G font que Huawei est forcément scruté de très près par son gouvernement – et sans nul doute soutenu dans ses efforts de recherche.
L’entreprise a communiqué de très nombreuses fois sur son indépendance au regard du pouvoir chinois, notamment en faisant intervenir face à la presse et aux investisseurs son fondateur Ren Zhengfei en mars dernier, mais de nombreux experts estiment que Huawei n’aurait guère le choix. Au vu des méthodes du gouvernement chinois, on est plutôt tenté de les croire.

Il faut cependant rappeler que si le risque de portes dérobées (backdoors) n’est jamais nul – chez les Chinois comme chez les Américains, rappelez-vous des révélations d’Edward Snowden ! – il n’y a eu, pour l’heure, aucun cas avéré. Si nombre d’articles alertent sur le danger potentiel, on attend toujours de voir les preuves d’un espionnage éventuel. Et comme le fait remarquer The Register, il y a plus à craindre d’un piratage de masse des millions d’objets connectés par des hackers chinois (dont la sécurité va de douteuse à nulle) que d’une infiltration de produits critiques examinés en temps réel par les états et les opérateurs télécoms de leurs états respectifs.

180.000 employés à fond sur la 5G

Foreign Policy

Si on connaît bien ses smartphones et tablettes, Huawei c’est avant tout un géant des télécoms. Plutôt LE géant des télécoms : fort de ses 180 000 employés, le groupe de Shenzhen est le numéro 1 mondial, devant les historiques que sont Nokia et Ericsson. Mais plus « grave » encore pour les Occidentaux, Huawei est surtout très en avance sur le réseau du futur : la 5G. Avec un cahier des charges long comme le bras, la 5G devrait révolutionner non seulement les débits, mais aussi la latence, la couverture et la segmentation par criticité des applications.

Les téléphones et leur Netflix en 5G c’est bien mignon, mais en réalité la 5G c’est surtout la colonne vertébrale de la voiture autonome, des opérations à cœur ouvert à distance, de la ville intelligente, etc. bref, le futur. Et dans cette vision partagée par l’industrie, le grand champion c’est Huawei : la firme détient plus de 1 500 brevets dans le domaine. Mettant la Chine bien devant tout le monde avec 3 400 brevets en additionnant Huawei, Oppo, etc.

Loin d’être un accident, cette domination tient à la fois d’une planification minutieuse de l’industrie par le gouvernement de la République Populaire de Chine. Ainsi que d’un effort de recherche massif de la part de Huawei.

La R&D, l’arme fatale de Huawei

Adrian BRANCO / 01net.com

Si Huawei peut compter sur son gouvernement pour soutenir sa croissance – c’est sans nul doute un plan gouvernemental qui a orienté les Huawei, ZTE et autres Oppo à se placer autant en pointe de la 5G.
Oui, la marque a d’abord copié la concurrence (Apple notamment) mais elle aussi beaucoup innové en produisant des composants de haute technicité comme son propre SoC ARM haut de gamme (Kirin) ou encore des modules caméra uniques dans ses P20 Pro/Mate 20 Pro ou plus récemment l’extraordinaire P30 Pro et son capteur qui voit la nuit.

The 2018 EU Industrial R&D Investment Scoreboard, Commission Européenne

Sans même aborder sa domination dans les équipements télécom 4G et 5G, le succès technologique de Huawei est le résultat de ses investissements en recherche et développement (R&D). Et la R&D de Huawei, ce n’est pas rien : il s’agit du cinquième plus gros budget du monde, estimé à 11,3 milliards d’euros en 2018. Plus qu’Intel ou Apple et l’équivalent des trois seules entreprises françaises dans le Top 50 (Peugeot, Renault et Sanofi) qui pèsent la même chose. La Chine ne place officiellement qu’une seule entreprise dans ce Top, mais puisque de nombreuses entreprises chinoises ne publient pas leurs chiffres, il est fort probable que la réalité soit encore plus impressionnante.

The 2018 EU Industrial R&D Investment Scoreboard, Commission Européenne

Avec un budget R&D de plus de 15 milliards de dollars – soit 15% de son chiffre d’affaires – Huawei a les finances et l’organisation pour mener de front de gros chantiers. L’affaire du blacklistage a un côté très positif pour Huawei : elle met ses équipes en ordre de bataille pour identifier toutes les dépendances de la firme aux technologies américaines.

Le logiciel, les services, la fab : les trois chantiers

Quels sont les trois piliers sur lesquels Huawei est attaqué ? Primo sur le logiciel, plus particulièrement sur les systèmes d’exploitation – Google et la partie propriétaire de son système Android pour les smartphones, Microsoft et son Windows pour sa gamme de PC. Huawei planche sur un OS mobile alternatif à Android depuis 2012 et dans le cas où la situation de blacklistage perdure, semble prêt à le dégainer dès cette année. Comme une partie du code d’Android est open source, il est d’ailleurs probable que les apps Android actuelles fonctionnent sans trop de soucis sur l’OS de Huawei. 

Deuxio, il y a les services. Le store d’application Huawei est peut-être utilisé en Chine, mais il ne l’est pas nécessairement dans les autres marchés, notamment l’Europe ou le Play Store est le seul qui compte. Il faut que Huawei trouve une stratégie afin de rentre son store attractif pour les non Chinois.

Tertio et ultimo, il y a le design et la fabrication des puces : des logiciels de conception sous contrôle US, en passant par l’accès aux brevets (pour la commercialisation internationale) jusqu’aux usines de production des composants haut de gamme, Huawei doit trouver des alternatives à toute la chaîne. Si on parle ici de Huawei car elle est sous le feu des projecteurs, il faut se rappeler du bannissement temporaire de ZTE l’an dernier là encore par les USA.

Une série d’attaques qui ont sans doute conduit l’industrie chinoise à se mettre en ordre de bataille pour développer des outils tant logiciels que matériels pour assurer leur souveraineté. Le chantier est énorme, mais le marché et les moyens de l’Empire du Milieu le sont tout autant. Si des initiatives comme l’usine de Fujian Jinhua Integrated Circuit ont tourné court – là encore à la suite de mesures de rétorsions américaines – il est certain que la Chine considère ces technologies comme stratégiques et qu’elle ne lâchera pas le morceau.

HBO – Dracarys !

Locomotive technologique du plus grand pays du monde, cinquième plus gros investisseur mondial en recherche et développement et futur leader de la 5G, Huawei est un animal blessé mais désormais alerte, pleinement conscient de ses faiblesses.
Le hic pour les Etats-Unis est que si la situation est sans nul doute douloureuse pour Huawei à court terme, la décision du gouvernement de Donald Trump pourrait bien être considérée, dans quelques années, comme l’événement qui a accéléré la domination chinoise sur le monde des nouvelles technologies. Au XIXe siècle, Napoléon se méfiait du dragon qui dormait. Que va-t-il se passer quand il sera pleinement éveillé ?

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