Une surprise totale. C’est ainsi qu’a été ressentie mardi dernier l’acquisition de Compaq par HP. L’efficacité des précautions prises par les deux constructeurs pour garder le secret pendant près d’un an l’explique en partie. La difficulté à saisir les raisons de l’opération y est aussi certainement pour beaucoup. Tout d’abord, parce qu’elle ne répond à aucune logique industrielle évidente. La simple juxtaposition des lignes de produits de chacune des deux firmes suffit à s’interroger. Si elle fait du nouveau groupe l’un des offreurs les plus complets du marché, du PDA au serveur à tolérance de pannes, en passant par les services, elle met en évidence davantage de recouvrements que de complémentarités. Les exemples les plus troublants résidant sans nul doute dans les doublons sur les PC et les serveurs.
Un des plus gros effort d’intégration de l’industrie
Si l’on en croit Carly Fiorina, la dirigeante de ce nouveau géant, le rachat se justifie justement du fait de ce périmètre d’action commun, ainsi que par le poids que le groupe représente désormais. Il pourrait ainsi intéresser les grands du conseil alors que HP seul n’avait pas réussi à séduire PricewaterhouseCoopers et Compaq n’avait pu faire de la division services de Digital un Compaq Global Services. Selon Carly Fiorina, c’est à l’occasion d’une conversation téléphonique avec Michael Capellas, actuel PDG de Compaq, il y a de cela un an, que les deux dirigeants se sont rendus compte qu’ils partageaient la même vision de l’organisation d’une entreprise de haute technologie et de l’évolution de son marché : des clients qui veulent des solutions complètes, de la compatibilité de bout en bout, et qui demandent une présence mondiale à leurs fournisseurs… Une réalité déjà éprouvée, y compris par HP et Compaq séparément.Alors pourquoi fusionner leurs activités ? Tout simplement pour réduire les coûts. Les recouvrements se transformeront en économies drastiques. Dans les services administratifs, informatiques, commerciaux bien sûr, mais aussi dans la logistique, les achats ou la R&D. Les économies du nouveau HP pourraient ainsi atteindre 2,5 milliards de dollars en 2004. Et porter sur près de quinze mille emplois ! Qui pourraient s’ajouter aux quelque dix sept mille suppressions de postes déjà prévues séparément par les deux firmes… Carly Fiorina ne manque d’ailleurs pas de rappeler que ce rachat demandera “ l’un des plus gros efforts d’intégration de l’industrie“.Au sein des deux filiales françaises, c’est la stupeur. Les salariés ont appris la nouvelle par la presse mardi. “Tout comme la direction, souligne Patrick Nowak, secrétaire du comité central d’entreprise de HP France. Nous ne comprenons pas les raisons de cet achat, alors que le groupe annonçait déjà six mille suppressions d’emplois dans le monde et que l’unité de fabrication de PC de l’Isle Abeau, qui représente cinq cent personnes, est sur le point d’être externalisée.” Chez Compaq France, on est “ sous le choc “, comme le confie François Godard, secrétaire du CE. Les ex-Digital et ex-Tandem se retrouvent dans une situation déjà connue et s’interrogent sur l’avenir de l’accord d’entreprise très favorable obtenu lors du rachat de Digital, qui les protégeait jusqu’en 2003.Les salariés de longue date de Compaq considèrent cette vente comme un énorme échec des dirigeants américains, puisque même la marque Compaq disparaît. Et les nouveaux embauchés s’inquiètent fort. Reste que les secrétaires des deux CE sont immédiatement entrés en contact pour prendre la mesure du climat social des deux groupes. “Nous sommes tombés de haut en découvrant les méthodes de management de notre futur employeur “, expliquent-ils. Il doit en effet leur être bien difficile de croire en la fameuse ” HP way “, mêlant respect de l’individu et travail d’équipe sur fond d’humanisme californien.
Des équipes inquiètes et des utilisateurs fatalistes
Aux yeux de deux anciens Compaq-Digital, partis justement pour HP après l’absorption, la fusion HP-Compaq pourrait tout de même se présenter sous un meilleur jour que la précédente. Il y a trois ans, à l’occasion de l’acquisition de Digital par Compaq, mille trois cent cinquante candidats au départ volontaire s’étaient déclarés, soit 70 % des salariés de Digital France, deux fois plus que ne l’avait escompté la direction. “Le fossé culturel était réel entre, d’un côté, une majorité d’ingénieurs chez Digital, et de l’autre, une population essentiellement commerciale et marketing chez Compaq, précisent les deux ex-Compaq-Digital. La greffe n’a donc pas pris.” Et si les employés de HP se disent prêts à accueillir leurs nouveaux collègues de Compaq en dépit du plan de réduction d’effectifs prévu, quid de ceux de Compaq, qui sont encore perturbés par le rachat de Digital ?Les équipes en place s’inquiètent aussi de la période intermédiaire, qui précède l’entérinement de la fusion : “La concurrence a alors les mains libres pour répandre des rumeurs auprès des clients et prospects à des fins de déstabilisation. ” Il faut dire que du côté des clients, l’étonnement et l’interrogation sont tout aussi palpables. “ Il n’y a eu aucun signe avant-coureur, contrairement à ce qui s’est passé pour Alpha, confirme Daniel Clar, président de Decus France, club d’utilisateurs Compaq évoquant l’arrêt de la fabrication du processeur par Compaq. De toute façon, nous sommes devenus fatalistes.“Avec la décision de Carly Fiorina de ne pas faire de choix dans les gammes avant d’avoir consulté ses clients, Daniel Clar espère cependant que certaines erreurs passées ne se reproduiront pas. Selon lui, les clients OpenVMS et Tandem ne sont pas trop inquiets. Une interrogation demeure cependant. “Compaq s’était beaucoup amélioré en vente indirecte d’environnements professionnels, poursuit le président de Decus France. Et en tant qu’utilisateurs, nous avions demandé à ce qu’ils ne touchent pas aux responsables de comptes. Nous renouvellerons cette exigence. ” Alors, le rachat de Compaq par HP… à suivre.
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