‘ Chez HP, nous avions pour habitude de régler nos problèmes en famille. Cette fois, le dialogue est rompu. ‘ Emu, la voix de Christophe Hagenmuller, secrétaire du CE de Grenoble,
s’étrangle dans le mégaphone. Un millier de personnes, massées vendredi 16 septembre devant la préfecture, applaudissent. Cinq jours après l’annonce de
la suppression d’un quart des effectifs en France, la colère ne retombe pas.Plus de la moitié des salariés d’HP dans la rue, c’est une première pour cette société composée à 90 % de cadres. La plupart, comme Sophie*, dix-neuf ans de carrière, n’ont jamais fait grève. Alors que le plan social
initié en 2002 se termine en décembre, un autre prend le relais. Remontés à bloc, les salariés le vivent comme une véritable punition.1 – L’absence de justifications économiques.
HP fonde ce plan en regard ‘ des contraintes de compétitivité liées à l’évolution du marché informatique ‘. A partir de 2007, le groupe prévoit d’économiser 1,9 milliard de
dollars par an dont 1,6 milliard sur la masse salariale, et 300 millions sur les avantages sociaux. Mais avec un chiffre d’affaires de 20,8 milliards de dollars au troisième trimestre, en hausse de 10 %, la société se
porte bien. ‘ Comment HP justifiera-t-il ce plan ? s’interroge Didier Pasquini (CFE-CGC). Le licenciement par anticipation de pertes de bénéfices n’est pas légal en
France. ‘2 – La ‘ HP way ‘ enterrée.
Paul, bientôt cinquante ans, dont vingt passés à HP Grenoble, date la fin de l’HP way à six ans, au départ de Lewis Platt de la direction. ‘ Autrefois, on se serrait tous la ceinture quand il le
fallait. La réduction de l’effectif n’était pas envisagée immédiatement. ‘ Les salariés français avaient ainsi accepté, il y a une dizaine d’années, d’abaisser leur salaire. Ce qui,
d’ailleurs, n’avait pas été appliqué.Les onze règles édictées par David Packard en 1958, prônant l’implication ou l’altruisme, perdurent malgré tout. Du moins chez les anciens. ‘ Il est rare que je prenne mon jour de RTT mensuel et je
ne compte pas les heures. Les jeunes du service ne comprennent pas. ‘ Jean-Luc Poirson (CFE-CGC), vingt-huit ans de carrière dans l’informatique chez NCR, Digital, Compaq et HP, a connu, lui, douze plans sociaux.
‘ J’espérais retrouver l’esprit Digital chez HP. ‘3 – L’image de la société ternie.
Après deux semaines de battage médiatique et de mobilisation politique, HP est devenu, selon la CGT, ‘ le Michelin de l’année 2005 ‘, ‘ le symbole de l’entreprise prédatrice,
qui n’hésite pas à se défaire de ses salariés pour courir après toujours plus de profits ‘. Des commerciaux disent avoir reçu de nombreux messages de sympathie des clients. Et, toujours d’après la CGT, une
collectivité locale envisagerait d’annuler ses commandes de matériel.Dans le même esprit, des appels au boycott des produits HP, à trois mois des fêtes de fin d’année, ont fleuri sur les forums de discussion. La grande majorité des grévistes s’en offusque. ‘ Au
contraire, il faut mettre les bouchées doubles, lance l’un d’eux. Le dernier trimestre doit être en forte progression afin de rendre encore plus patent le manque de fondement de ce
plan. ‘4 – Le management contesté.
L’habitude du consensus, de la discussion collective qui prévalait est rompue. Comme la politique de la porte ouverte. ‘ En cas de conflit, il était possible de court-circuiter son chef si l’on estimait
qu’il se trompait. ‘ Pour Pascale, quatre ans de maison, la communication ne passe plus. ‘ Nous avons été informés de ce plan par e-mail. Nous ne sommes que des virgules sur les
statistiques ! ‘ Des commerciaux disent même avoir été menacés par leurs supérieurs s’ils manifestaient. Et certains se sont vu imposer des rendez-vous en clientèle pendant les heures de débrayage.Sur le blog de la CFTC, les salariés se lâchent. Pour l’un, c’est l’HP way à sens unique. ‘ Les ordres tombent du sommet, et l’on demande aux employés d’exécuter la
stratégie. ‘ Pour l’autre, le PDG de HP France n’a pas joué le rôle d’amortisseur. ‘ A l’image du maire de Grenoble, Patrick Starck aurait dû prendre le premier avion pour
Palo Alto et défendre ses employés auprès de la direction mondiale. ‘5 – Le sentiment anti-Français.
Avec un quart de ses effectifs supprimés, la France apparaît comme le vilain petit canard. L’Allemagne, elle, verra ses effectifs fondre de 16 % ‘ seulement ‘. ‘ Pour la
“corp.”, dit Paul, la France est le pays des 35 heures. Certains de nos interlocuteurs américains pensent que notre semaine se termine le jeudi et que nous partons deux mois
l’été. ‘ La phrase malheureuse de Mark Hurd sur les deux pays les plus ingérables ?” à savoir la France et la Chine ?” n’a fait que mettre de l’huile sur le feu.6 – L’engrenage des délocalisations.
Le développement et le support en Inde, les fonctions transversales en Europe de l’Est ou en Irlande. Les filières de délocalisation se sont mises en place au fil des mois. Julie, la trentaine, administrative à Grenoble, a vu son
activité basculer peu à peu vers la Pologne et la Slovaquie. ‘ Au départ, il s’agissait de tâches à faible valeur ajoutée. Le discours des managers se voulait rassurant. Aujourd’hui que la menace sur nos emplois
se précise, ils ne font même plus semblant. ‘Françoise, vingt ans chez HP, fait le même constat : sous la pluie battante d’Issy, elle dénonce la délocalisation du service financement vers Dublin. La pilule passe d’autant plus mal que
l’offshore n’est pas sans incidence sur la qualité du travail rendu. Jean-Luc Poirson pointe le turnover de 40 à 50 % en Inde, la sous-traitance en cascade, et les feuilles de route qui dérapent violemment.
Pour Rémi, commercial au siège, son rôle se résume à ‘ rattraper les dysfonctionnements des délocalisations chez les clients français. ‘7 – Le manque de visibilité à long terme.
Patrick Starck a répété ne prévoir aucune fermeture de site. Mais les craintes persistent. ‘ On vide d’abord les bâtiments, puis on ferme les sites ‘, résume un manifestant.Et pour Christophe Hagenmuller, le mouvement est inéluctable. ‘ Les délocalisations commencent à toucher la R&D. Si ce projet n’est pas cassé, c’est la fermeture de Grenoble qui est programmée à
cinq ans. ‘ Pour nombre de salariés, la politique menée manque de visibilité. ‘ HP a bâti sa force sur sa capacité d’innovation. Or, nous n’innovons plus ‘, déplore
l’un d’eux. Sur une banderole, le logo ‘ HP Invent ‘ a fait place à ‘ HP Invest ‘.(*) Les prénoms ont été changés à la demande des intéressés.
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