Pour Carly Fiorina, présidente de la firme californienne Hewlett-Packard, c’est l’évidence même. Les résultats préliminaires du vote des actionnaires lui offrent une victoire“courte, mais suffisante”pour entériner la fusion avec Compaq.La différence entre les “pour” et les “contre” porterait sur moins de 10 millions d’actions. Autant dire un mouchoir de poche, au regard du nombre de titres : 1,9 milliard pour le seul HP. Qu’importe. La machine est lancée, même s’il faut attendre les résultats officiels du dépouillement, effectué en grand secret quelque part dans l’État du Delaware.Pour Carly Fiorina, c’est un autre combat qui commence. Un autre road-show. Après le duel des arguments, voici l’épreuve des faits. Ou, comment prouver au marché vigilant, aux clients perplexes, aux employés déboussolés que son mariage avec le groupe texan constitue une opportunité de première main. Pourtant, la présidente de ce nouveau géant de l’informatique n’aura qu’une douzaine de mois pour relever quatre principaux défis.
1 – La marque
Le nom et le logo de la future entité seront dévoilés au plus tôt le 2 avril, date à laquelle la nouvelle organisation doit être lancée officiellement. Au plus tard dès la fin du décompte des bulletins de vote, lequel doit prendre de deux à quatre semaines. Mais, c’est un secret de Polichinelle, la marque et le logo Compaq vont disparaître. Seul subsistera la dénomination commerciale Hewlett-Packard (HP).“L’utilisation des sous-marques, par exemple HP-Tandem pour les ordinateurs à tolérance de panne [qui continuent à fonctionner quoiqu’il arrive, ndlr], sera examinée plus attentivement”, note Frédéric Dussart, DG informatique d’entreprises de HP France. Les commerciaux des deux firmes s’apprêtent à prendre la route pour transmettre la bonne parole aux circuits de distribution, rassurer les clients, leur expliquer la stratégie et convaincre les partenaires.En France, leur tournée a débuté le 26 mars, et durera tout le mois d’avril. Un travail monstrueux dont dépend la réussite à terme de cette opération. Tout doit être bouclé dans trois mois.
2 – Le management
Carly Fiorina devient Chief Operating Officer de la société dont Michael Capellas sera numéro 2. Le nouveau géant, pesant un chiffre d’affaires de 80 milliards de dollars (90,41 milliards d’euros) talonne désormais le numéro 1 mondial, IBM (86 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2001). Mais la comparaison s’arrête là. Car construire une entreprise de cette taille constitue un vrai défi pour le management.IBM a su développer une véritable relation de confiance avec ses clients. C’est une carte maîtresse qui ne s’obtient qu’au fil du temps. N’en déplaise à la taskforce ?” les 1000 personnes installées à Palo Alto et chargées de planifier cette opération ?” un processus d’intégration de cette ampleur prendra plusieurs mois au cours desquels le management en place va exiger que tout le monde rame dans le même sens.Or Carly Fiorina se trouve devant une situation inédite : celle d’un dirigeant dont le projet vient d’être rejeté par près de la moitié des actionnaires, dont une bonne part de salariés. Comment motiver un cartel d’opposants, dont le volume oscille entre un tiers et deux tiers des effectifs de HP, sachant que 15 000 d’entre eux vont être licenciés dans un délai de six à neuf mois ? Il faut ajouter à cela les différences de culture des entreprises : le culte de l’ingénierie et de la recherche chez HP, la toute-puissance du commercial chez Compaq. Bref, le nouvel ensemble ne sera pas opérationnel avant un an, dans le meilleur des cas. Un laps de temps infiniment précieux pour la concurrence, qu’elle s’appelle IBM, EDS, Dell ou Sun Microsystems.
3 – La stratégie
Le déploiement stratégique, industriel et commercial du nouveau HP repose sur une architecture composée de quatre grandes divisions industrielles ou business units : infrastructures (serveurs, stockage, logiciels), équipements d’accès (PC, ordinateurs portables, assistants personnels), solutions d’impression (imprimantes, copieurs, imagerie numérique) et services (support, maintenance, outsourcing d’infrastructures).Sur le papier, le groupe revendique la place de numéro 1 mondial dans les serveurs, les systèmes de stockage, les PC, les imprimantes et le troisième rang mondial dans les services. Mais la simple somme arithmétique des parts de marché respectives des deux entités ne garantit pas le succès du projet.” Nous fabriquons les mêmes produits pour les mêmes clients. La logique industrielle de cette opération nous paraît aberrante “, fulmine Marc Armand, délégué syndical central CFDT de Compaq et membre de la délégation qui s’était rendue la semaine dernière à Palo Alto pour contester le principe de cette fusion.Pour Frédéric Dussart, il s’agit de placer HP au premier rang des fournisseurs d’infrastructures informatiques internet. Mais, à l’exception des serveurs haut de gamme et des imprimantes, le nouvel ensemble retrouvera sur sa route Dell et son business model basé sur la vente directe. Dans les services, son absence dans les activités à plus forte valeur ajoutée (consulting et outsourcing) constitue également un handicap de taille.
4 – Les relations humaines
Sans doute l’un des principaux défis auquel doit faire face l’état-major du nouvel ensemble. Le rachat par Compaq de Digital Equipment (DEC), en 1998, a laissé des traces, surtout en Europe. Du coup, les membres de la taskforce tentent de considérer les problèmes très en amont.“L’intégration de Digital n’avait pas été assez préparée. Là, nous sommes allés très loin dans les détails, tant en ce qui concerne les clients, que les employés ou les produits”, assure Frédéric Dussart. Lors de la fusion Compaq-DEC, deux pays s’étaient illustrés : l’Allemagne et la France. Dont acte. Une émanation de la taskforce à Palo Alto est installée depuis trois mois à Zürich pour satisfaire aux besoins particuliers de ces deux marchés, notamment en matière de législation sociale.“Nous allons travailler avec les partenaires sociaux et modifier notamment les contrats de travail “, ajoute Frédéric Dussart. Les commerciaux, prépondérants en France, ne devraient guère être affectés, puisque le nouvel ensemble entend concrètement doubler ses forces de vente et sa présence sur le terrain. Mais Marc Armand reste vigilant. Les salariés de Compaq France bénéficient, en effet, depuis le mariage avec DEC d’un plan de sauvegarde de l’emploi jusqu’en 2003.Le siège du groupe sera situé à Palo Alto en Californie, là où se trouvent les quartiers généraux d’HP. Pour le coup, les 10 500 personnes qui travaillent à Houston (Texas), le fief de Compaq, ont du souci à se faire. Beaucoup resteront sur le bord de la route.Du côté d’HP, 15 000 suppressions d’emplois sont déjà programmées au niveau mondial. Sont visés les unités de fabrication, les services financiers et administratifs. Sur les 400 hectares arborés du campus de Houston, l’ambiance est au fatalisme. “Cela nous laisse indifférents, désormais. C’est un job comme un autre qui permet de payer les factures à la fin du mois…”, lâche un ingénieur de la division logiciels.
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