Fer de lance dans son secteur, les matériaux de construction, ces dernières années, Lafarge, ?”70 000 salariés, 12,2 milliards d’euros (soit près de 80 milliards de francs) de chiffre d’affaires?” n’en a pas moins été éclipsé par la mode des valeurs technologiques. C’était injuste et, surtout, c’était sans compter sur les facultés de l’entreprise à s’adapter à la net économie. La création des places de métiers en est la démonstration. À plusieurs reprises, vous avez manifesté votre agacement face à l’arrogance d’internet et du secteur des nouvelles technologies, et on vous l’a reproché. Qu’en est-il aujourd’hui ? On nous a fait un faux procès parce que j’ai critiqué l’emballement déraisonné des valeurs technologiques l’année dernière, alors ” qu’il fallait raison garder “. Les analystes financiers ne juraient que par les valeurs high-tech. Une entreprise comme la nôtre, pourtant leader mondial, apparaissait has been. L’évolution récente des cours de Bourse a mis un terme aux illusions ! Nous n’avons jamais été hermétiques à l’information en réseau. Depuis sept ans, nous avons un intranet auquel 25 000 personnes sont connectées. Internet est devenu pour nous un formidable outil de travail, qui va changer les relations que nous avons avec tous les segments de notre clientèle .Pouvez-vous nous expliquer le concept de la place de métier ? Il s’agit d’un outil de marketing, dont le but est de mettre à la disposition des différents corps de métiers du secteur ?” les artisans, les entrepreneurs, les négociants et les architectes ?” des informations qui leur permettent de mieux connaître nos produits et d’être plus efficaces dans leur travail. Grâce au web, on peut leur fournir des calculs métrés, des aides aux devis, des logiciels de comptabilité, des offres de location d’engins de chantier ou encore des banques d’images, d’une aide précieuse pour vendre un projet clés en main à un client.Quel est le montant de votre investissement sur internet ? Précisons d’abord que ce ” chantier ” de 12 millions d’euros a nécessité dix-huit mois de travail, dont douze mois pour la réalisation de nos sites. Nous avons créé trois sites, afin de segmenter notre clientèle par catégorie, car un entrepreneur n’a pas les mêmes besoins qu’un peintre. Batissor.com est un portail destiné aux artisans et aux entrepreneurs. Apibat.com, de son côté, s’adresse aux prescripteurs (maître d’?”uvre et maître d’ouvrage). Enfin, Matixel.com est exclusivement destiné aux négociants afin qu’ils connaissent rapidement nos nouveaux produits. Effectivement, dans notre secteur, la diffusion des nouveautés est généralement lente. Nos sites ne sont pas destinés à devenir des places de marché, ou encore des plateformes transactionnelles, le domaine des matériaux de construction ne nous paraissant pas pour le moment adapté au commerce électronique. Nous n’en sommes pas non plus au stade du magasin virtuel, car on ne peut pas encore envoyer des sacs de ciment par Chronopost.Combien de clients sont actuellement connectés à vos trois sites ? En quoi cela a-t-il changé dans vos relations avec la clientèle ? Nous nous adressons à une population faiblement ” internetisée ” (5 % des artisans). Mais ce n’est qu’un obstacle passager. De toute façon, la population des artisans, fortement atomisée, à toujours été difficile à joindre par des voies traditionnelles. Internet est pour nous le moyen de renouer le lien avec le client, de lui apporter de l’information à moindre frais. Cela nous permet également de le fidéliser. En fait, nous sommes en train d’adopter un contre-modèle par rapport aux décennies précédentes. Hier, la proximité était le maître mot. Aujourd’hui, avec internet, nous sommes dans une phase de centralisation. Cela a des effets immédiats sur notre organisation interne. L’idée est de maîtriser toute l’information et de répondre à une demande de plus en plus sélective. C’est une mutation considérable pour notre métier. Parallèlement, nous avons couplé notre service interne à une sorte de call center. Chaque artisan peut ainsi nous contacter pour nous soumettre un problème qui sera résolu dans les deux jours. Cette hot line a aussi des effets rétroactifs sur l’offre de nos produits. En temps que leader mondial de votre secteur, quel pronostic portez-vous sur la croissance mondiale du marché de la construction ? Concernant l’Europe, d’abord, la croissance se ralentit manifestement en France, se maintient en Grande-Bretagne, alors que l’Espagne est en phase de rattrapage. Le gros point noir, c’est l’Allemagne. Aux États-Unis, le marché de la construction reste stable. Phénomène rassurant : en France comme aux États-Unis, il n’y a pas pléthore de stocks d’immeubles ou de bureaux. C’est pourquoi nous sommes globalement positifs… à un horizon de six mois. Au-delà de cette échéance, je ne souhaite pas faire de commentaires. Car les cycles économiques de l’activité du bâtiment deviennent de plus en plus courts. En revanche, on constate un ralentissement de la croissance dans les pays émergents, où nous réalisons près de 25 % de notre activité.
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