L’étude réalisée conjointement par Le Nouvel Hebdo et le groupe Mazars vous désigne comme le champion européen de l’économie en réseau. Est-ce une surprise ? C’est surtout une bonne nouvelle ! Les technologies sont au c?”ur de notre stratégie. L’indépendance n’existe pas ou plus ; les entreprises et les économies sont de plus en plus interdépendantes. La complexité croissante de l’environnement fait qu’être en réseau s’impose. L’élément vitesse, ensuite, joue un rôle croissant. Enfin, l’information, est aussi devenue primordiale. Elle confère, non pas le pouvoir, mais l’autorité. Plus précisément, notre métier nous place en position particulièrement attentive par rapport à internet. Nous ne distribuons pas seulement des produits ; nous sommes amenés à diffuser des compétences vers nos clients. Et ce processus est évidemment interactif. Ce sont ces éléments qui font qu’internet est pour nous un sujet central.À quand remonte cette évolution stratégique ? Les nouvelles technologies ont accéléré cette évolution depuis cinq ans. Par rapport à nos principaux concurrents, notre couverture géographique est plus complète, ce qui joue aussi. Et notre politique de non-intégration de notre production est déterminante. Mais on ne peut pas dire que nous avons pris un virage stratégique. Au fond, cette évolution était à l’?”uvre dans l’entreprise depuis beaucoup plus longtemps. Cette culture du maillage, je la détecte déjà chez Merlin-Gérin, chez Télémécanique et chez Square D, des entreprises qui ont été intégrées à Schneider.Comment résumer votre rapport aux nouvelles technologies ? Nous avons fait le choix d’une politique à la fois ambitieuse et raisonnable. Nous nous sommes dotés d’une division internet, d’un responsable directement rattaché au président. Mais les projets pharaoniques ne sont pas pour nous. Nous avons l’habitude, pour décider de la faisabilité d’un chantier, de nous demander s’il sera opérationnel en six mois. Si cela n’est pas le cas, le projet n’est pas retenu.Quels sont vos objectifs en matière d’e-business ? Si l’on adjoint aux ventes en ligne les revenus dégagés par l’EDI [Electronic Data Interchange, échanges électroniques de données interentreprises, NDLR], on peut estimer que l’e-business représente presque le quart de notre chiffre d’affaires global. Mais aux États-Unis, où la chaîne logistique est bien plus intégrée qu’en Europe, l’e-business pèse 60 % du chiffre d’affaires réalisé avec les distributeurs. Attention, toutefois : nous ne nous fixons pas d’objectif de croissance en la matière. Nos deux seuls véritables objectifs stratégiques sont la fidélisation des clients et l’amélioration de la productivité.Quel rôle attribuez-vous à Key MRO, la place de marché développée avec Usinor, TMM et Rhodia ? Il n’était pas pensable de bâtir une infrastructure en ligne pour chaque client, fût-il General Motors. De même, il n’était pas économique de nous lancer seuls dans un projet de place de marché. Sur chacun de nos marchés, une quinzaine de fournisseurs représentent environ 80 % de nos approvisionnements. Key MRO est là pour çà.Schneider se distingue également par son avancée dans l’e-procurement, les achats en ligne…Nous sommes un assembleur. Il était naturel d’initier le processus d'” internétisation ” par la filière achats. Le chaînon manquant, c’était celui des achats hors production. Là, nous y sommes allés un peu tard, mais avec force. L’objectif est de réaliser 80 % de nos achats en ligne d’ici fin 2003.Ce calendrier ne soulève-t-il pas de problèmes du côté des services d’achats et des salariés ? Si, bien sûr. Tout changement suscite des oppositions. Il est tellement plus confortable de ne pas bouger. Certains services achats freinent. Mais une expérience pilote à grande échelle est déjà en cours aux États-Unis. 20 000 employés sont impliqués, un millier sont déjà connectés. Pour eux, c’est plutôt positif. L’innovation technologique est un formidable levier de changement social.Au final, internet est-il créateur ou destructeur d’emplois ? Les résistances concernent aussi les bouleversements qualitatifs. Le travail change du tout au tout. Mais, c’est sûr, internet est d’abord un outil de rationalisation. Je pense que les technologies ne sont véritablement créatrices d’emploi qu’en période de croissance… et elles contribuent à créer de la croissance.La technologie est justement pour Schneider un relais de croissance. La convergence de l’électricité et du net, d’une part, les perspectives de la domotique, de l’autre, seraient très prometteuses…C’est potentiellement très important. Déjà, nous connectons un grand nombre de nos produits via le web. Le marché des automatismes va devenir un gros consommateur de services internet. Nous sommes pionnier dans ce domaine, au- quel s’ajoutent de nouvelles applications dans la domotique. Auparavant, internet permettait de connecter des hommes. Maintenant nous mettons en relation des machines.L’échec de la fusion avec Legrand vous prive de l’expertise de votre allié dans des spécialités de pointe et met un coup d’arrêt à un certain nombre de projets internet. En avez-vous mesuré l’impact dans ce domaine ? Cela va nous affecter, c’est sûr. D’abord, nous serons d’abord moins gros que nous ne le voulions. Et puis Schneider et Legrand seront désormais en concurrence, sur ce terrain comme ailleurs ! Et il y avait en effet des projets complémentaires, dans des domaines aussi importants que le ” transparent building ” [la communication via internet entre des appareils de production distants, NDLR] et la domotique notamment. Cela dit, la culture du groupe, ses positions mondiales, sa dimension, ses capacités d’innovation, font que je suis confiant dans notre capacité de développement dans ces technologies.Mais cela vous inquiète pour le reste des développements du groupe Schneider Electric. Avez-vous choisi une voie de sortie ? Non, pas encore. Toutes les solutions nous amènent à mettre commercialement et capitalisti-quement Schneider et Legrand en concurrence. Si la Commission [européenne] nous le permet, nous choisirons la solution qui permettra de maximiser l’intérêt des actionnaires et d’assurer la pérennité des entreprises.Un recours est-il encore possible ? Un recours sur le fond est sans doute possible. Mais une demande de dommages et intérêts est également envisageable. Et, en l’absence de toute possibilité de retour en arrière, si l’on prend en compte la perte financière essuyée, le manque à gagner économique, le préjudice en capital sur des années, la somme que nous pourrons réclamer [aux autorités européennes] risque d’être considérable.La page n’est donc pas tout à fait tournée ? Si, elle l’est. D’ailleurs, cette affaire n’occupe plus que 10 % de mon temps depuis le 10 octobre.Quelle leçon retenir, au bout du compte, de cet épisode ? Je retiendrai trois leçons. L’organisation de la Commission européenne mêle les fonctions d’instruction ?” de parquet ?” et de juge. La procédure est délibérément non-transparente. Et, enfin, sur le fond, la sanction apparaît totalement disproportionnée aux griefs et témoigne d’une absence de prise en compte des enjeux réels. Nous avions obtenu un accord ?” certes oral, mais réel ?” de Monsieur Monti [Commissaire européen en charge de la concurrence], et nous ne comprenons pas le revirement de la Commission. Je constate que [Bruxelles] ne s’occupe pas du client final, du consommateur européen, mais exclusivement des concurrents, et tout cela au niveau national. Au-delà des reproches adressés à la Commission, cet échec ne regarde-t-il pas d’abord les élites politiques et économiques françaises, curieusement absentes du débat ? Il est évident qu’à l’absentéisme des politiques, il faut ajouter le fait que la société française dans son ensemble ?” le monde de l’agriculture excepté ?” ne s’est jamais vraiment investie dans les questions et les institutions européennes. Il faut bien le constater, ce fonctionnement en réseaux, qui semble si efficace dans les entreprises, a été absent de nos relations avec Bruxelles.La crise économique est-elle aussi un facteur déstabilisant et susceptible de retarder les développements du groupe. En avez-vous la mesure ? es moyens peuvent être adaptés. La volonté ne change pas et les stratégies restent les mêmes. C’est le couple combien-quand qui peut varier, pas le pourquoi ni le quoi. Sur la conjoncture, mon sentiment est que nous ne sommes pas au bout du ralentissement économique, notamment aux États-Unis, où les dernières nouvelles ne sont pas bonnes. Et puis la croissance pardonne tous les péchés. Aujourd’hui, même si ce n’est pas très moral, un certain nombre d’acteurs économiques en profitent pour s’acquitter du prix de tous les péchés commis pendant ce long cycle de croissance.
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