A force d’entendre pleurer sur ces seniors qui partent à la retraite sur un bras d’honneur, et sans donner la moindre goutte de leur savoir ancestral, je me suis dit : bientôt gâteux, il serait temps que je transmette, avant que
j’oublie tout de ces trente années de pratique intensive de la high-tech. C’est-à-dire de close-combat quotidien avec les bidules soi-disant communicants.‘ Maître, que dites-vous de tout cela ? ‘, supplierait la foule en délire. Et je répondrais, caverneux : ‘ Dieu Digit tu adoreras, et sorcière Hotline
imploreras. Car, en vérité, je vous le dis : ça ne marche jamais comme on le voudrait et on y passe trois fois plus de temps que prévu. ‘Au fil des ans, j’en ai vu des choses honteuses. Des machines en panne éventrées par des inspecteurs qui s’arrachaient les cheveux. Des programmeurs hagards, qui tricotaient du code en fumant des pétards. Des petits et des gros
reset, des écrans bleus dans les nuits noires. J’ai vu des câbles s’embrouiller comme plat de nouilles. Plus vous avez de bidules, moins vous avez de chances de trouver le câble qu’il faut au moment où il faut. C’est l’une des
règles de la techno-chienlit, techno-supercherie.J’ai fini par me croire envoûté. Je trouvais normal que mon téléphone sonne exclusivement lorsque j’étais aux toilettes, que la batterie ne batte plus lorsque j’allumais mon PC, que le débit dépite en plein milieu du
téléchargement… A la maison, il était normal que le lecteur de CD de ma chaîne hi-fi, décédé, ne lise plus que le silence infini et que le micro-ondes fasse sauter mon Wi-Fi.Il est temps de rétablir cette vérité cachée. Plus vous numérisez la vie, plus elle attrape de virus et de bugs. Digitalisez, vous vous en mordrez les doigts. Personne ne maîtrise quoi que ce soit, tout est mondialisé, globalisé,
externalisé. La hot line bégaie, le soft bogue, le hard tousse.Hélas, nous sommes maudits ! Pas question de revenir à la guerre du feu. Le confort digital est passé par là, on télécharge sans payer, on écrit sans timbrer, on commande sans se déplacer. L’imparfait du numérique nous fascine plus
que la perfection ancienne, si fadement stable. Le temps qu’on gagne avec ces bidules, on le perd à les faire marcher.Mais tout fonctionne juste assez pour nous donner envie d’en avoir plus. Éternels gamins, on espère la prochaine release comme Becket attendait Godot, la princesse son fiancé et le port USB sa clé. Ouais, on
n’en a pas fini avec la techno-chienlit, je vous le dis…
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