C’était l’étape de la dernière chance pour les opposants à la loi Création et Internet et ils peuvent souffler un grand coup : le Conseil constitutionnel a annulé, dans une décision rendue mercredi après-midi, une partie du dispositif de la riposte graduée prévue par la loi Création et Internet.
Il refuse qu’une autorité administrative, en l’occurrence la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), prononce des sanctions à l’encontre des pirates à la place d’une autorité judiciaire. Concrètement, la Hadopi ne pourra pas ordonner à des fournisseurs d’accès de suspendre la connexion des abonnés qui enfreignent le droit d’auteur.
L’accès à Internet est une composante de la liberté d’expression
Fait notable, le Conseil constitutionnel avance aussi pour argument que l’accès à Internet est une composante de la liberté d’expression. « Cette liberté implique aujourd’hui, explique le Conseil dans un communiqué, eu égard au développement généralisé d’Internet et à son importance pour la participation à la vie démocratique et à l’expression des idées et des opinions, la possibilité d’accéder à ces services de communication au public en ligne ». C’est un thème qui avait fait l’objet de vifs débats lors de la discussion du projet de loi.
En revanche, toute la partie sur l’envoi de messages d’avertissement aux internautes repérés en train de télécharger illégalement est validée. Mais dans les faits, comme la Hadopi ne peut pas aller au-delà, c’est bien le mécanisme de la riposte graduée qui tombe à l’eau.
S’il doit y avoir sanction, la Hadopi doit transmettre le dossier à la justice qui, elle, se prononcera selon une procédure tout à fait classique, avec instruction et décision d’un juge, sur la base du code de la propriété intellectuelle. A savoir que la contrefaçon de contenus ne pourra être sanctionnée que par une peine de trois ans de prison et 300 000 euros d’amende au maximum.
Les ayants droit dédramatisent
Contacté par 01net., le délégué général de la SCPP (Société civile des producteurs phonographiques) Marc Guez dédramatise : « Ce n’est pas du tout une mauvaise décision pour nous. Cela renforce au contraire les sanctions, même s’il faut désormais en repasser par une procédure plus lourde et que cela va alourdir la charge de travail des tribunaux ». Les défenseurs de la riposte graduée prenaient en effet pour argument que si la Hadopi pouvait sanctionner les pirates, cela débarrasserait les tribunaux de toute une catégorie de procès et éviterait aux internautes d’être exposés à de trop lourdes sanctions. Même si les juges, en pratique, ne vont jamais jusqu’au maximum des peines prévues par le code de la propriété intellectuelle.
Quant à l’annulation de la possibilité de suspendre la connexion à Internet, Marc Guez rappelle que ce n’était pas une idée des ayants droit à l’origine. Même son de cloche du côté du Syndicat national des éditeurs phonographique (Snep). Dans un communiqué, il explique que le Conseil constitutionnel « renforce […] le caractère dissuasif des messages envoyés par l’Hadopi et reconnaît ainsi la gravité de la violation des droits d’auteur et des droits voisins ».
En tout cas, cette décision est un réel camouflet pour la ministre de la Culture, qui « regrette de ne pouvoir, comme le gouvernement et le Parlement l’avaient souhaité, aller jusqu’au bout de la logique de “dépénalisation” du comportement des internautes », comme elle l’a indiqué dans un communiqué.
« Une immense machine à spams »
Mais elle ne s’avoue pas vaincue : Christine Albanel « proposera au président de la République et au Premier ministre de compléter rapidement la loi Création et Internet pour confier au juge le dernier stade de la “réponse graduée” ».
Désormais « exclusivement chargée du volet préventif de la lutte contre le piratage » (c’est-à-dire de l’envoi de messages, si possible en masse), la mise en place de la Hadopi « se fera selon le calendrier prévu et les premiers messages d’avertissement seront adressés dès l’automne aux abonnés à Internet », prévient encore le ministère.
Du côté des opposants à la loi, c’est évidemment la satisfaction qui prime. « C’est une grande victoire pour les citoyens, qui ont prouvé qu’ils pouvaient agir ensemble pour protéger leur liberté. La riposte graduée est finalement enterrée. Il ne reste qu’une immense machine à spams pour les industries du divertissement et payée par le contribuable », se félicite sur le site de La Quadrature du Net Jérémie Zimmermann, co-fondateur du collectif.
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