Le champion français du commerce électronique est une société publique. Parfois contestée, cette réussite a été voulue par Guillaume Pépy, un homme hors normes, fasciné par les possibilités des outils technologiques dont il ne se sert
pas au quotidien.01 DSI : Comment réagit le directeur général exécutif d’une société quand une panne informatique paralyse son centre de réservation, comme ce fut le cas à la SNCF les 15 et 16 juillet
derniers ?
Guillaume Pépy : Deux choses m’ont frappé : la première, c’est qu’une panne informatique peut faire la une du 20 heures à la télévision. Pas facile à gérer quand on sait la complexité des mutations
technologiques à conduire.La seconde est la réactivité dont ont fait preuve nos professionnels pour mettre en place des procédures manuelles : personnel guidant les clients vers les automates, délestage de postes de vente, vente de dernière minute assurée
dans les trains, bonne gestion des relations presse. Au total, plus de peur que de mal, un manque de recettes très limité, mais un impact médiatique de premier ordre. A méditer !Quelles sont vos exigences vis-à-vis du DSI de la société ?
Le directeur des systèmes d’information et des télécommunications de la SNCF, Michel Baudy, est un stratège. Outre la supervision des achats, de l’exploitation et des grands projets, il contrôle les synergies et les obligations communes
à faire respecter.Il y a huit ans, nous avons fait éclater l’ancienne organisation intégrée de la direction informatique pour adopter le schéma actuel en trois pôles d’affaires : fret, infrastructure, et voyageurs. Le deuxième aspect de sa mission
est de garantir la cohérence et le succès des grands projets. C’est, par exemple, la mise en place de notre PGI Peoplesoft pour la gestion du matériel et de l’infrastructure.Il supervise également l’informatisation des réservations ?
C’est la DSI Voyageurs qui assure la maintenance de Résarail, notre système d’information, de vente et de réservation. Elle a pour but de satisfaire ses clients internes, dont fait partie
Voyages-SNCF.com. Parfois mise en concurrence par le passé, l’offre de la DSI Voyageurs l’a souvent satisfait.Ainsi, la version 8 du site, en ligne depuis le 10 janvier dernier, a-t-elle été réalisée par cette DSI. Le directeur des systèmes d’information et des télécommunications doit donc trouver le point d’équilibre en termes
d’intégration et de diversité.Quel est votre budget informatique ?
La SNCF est au minimum de ce qu’il faut dépenser en système d’information. Et nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir du ‘ déchet ‘. Le total de nos dépenses représente 2,7 % du CA
pour l’année 2003 [soit 607 millions d’euros pour un CA de 22,5 milliards d’euros, NDLR].Ce qui devrait nous situer dans le bas du bas des entreprises qui ont des métiers proches du nôtre. Voilà pourquoi il nous faut être très exigeants dans le choix des projets. Nous devons être inflexibles sur la conduite de projet et
sur les taux de succès.Quelle carrière proposez-vous à vos 1300 informaticiens ?
A chacun de choisir. Certains font de l’informatique leur seul métier. Pour d’autres, c’est une étape. Beaucoup de collaborateurs vivent une telle mixité. Chez nous, un informaticien de qualité peut évoluer vers d’autres métiers. Par
exemple, diriger une gare, manager des projets techniques ou gérer un établissement.Vous-même, êtes-vous très friand des nouvelles technologies ?
Je suis fasciné par les possibilités d’outils technologiques comme le PDA, le sans-fil, Internet, le haut débit, mais je ne les emploie pas suffisamment au quotidien. Mon ordinateur de bureau me sert surtout à suivre le trafic des
trains. J’ai abandonné le PDA, car je n’arrive pas à l’utiliser assez vite. L’apprentissage d’une technologie exige du temps…En revanche, je suis un fana des automates. Ne supportant pas les files d’attente, dès que je vois une machine, je fonce dessus pour opérer moi-même. Vous voyez, à chacun son canal technologique !Outre la panne de cet été, d’autres événements informatiques vous exposent parfois à la une des journaux. Par exemple, la plainte pour concurrence déloyale et abus de position dominante déposée par Lastminute à l’encontre de
Voyages-SNCF.com…
La relance d’activité de Lastminute en France, dont les résultats sont décevants, ne se produira pas grâce à des actions contentieuses et à leur médiatisation ! Cela dit, depuis l’origine, nous sommes très attentifs à ce que le
succès de
Voyages-SNCF.com s’obtienne dans le strict respect des règles de concurrence françaises et européennes.D’ailleurs, j’observe que beaucoup de nos confrères et concurrents commercialisent du train sur leur site depuis longtemps. Il y a eu une notification de nos accords à la direction de la concurrence à Bruxelles, ainsi qu’un premier
recours perdu par Karavel [le propriétaire de Promovacances, NDLR] en 2002.Et quand Expedia, votre partenaire à 49,9 % dans
Voyages-SNCF.com, crée son propre site en France, ne voyez-vous pas là une trahison ?
Notre partenariat avec les dirigeants d’Expedia a démarré en 2001, après un appel d’offres. Il se poursuit dans les mêmes conditions. Même s’ils ont lancé
Expedia.fr sous leur propre marque en France. Travailler ensemble et être concurrents s’avère possible, car notre activité est en très forte croissance. Le marché des agences de voyages en ligne
s’élargit sans cesse : il y a de la place pour tout le monde.Cependant, la concurrence se durcit…
Nous sommes sereins, et même attachés à ce que le succès du train sur Internet profite à tous. Pour ce faire, nous continuerons de pousser l’ensemble des sites de voyages en ligne à participer à cette croissance. Ils sont déjà
quatre-vingt-cinq à vendre du train !Aujourd’hui, quelle est la part des billets de train vendus sur Internet ?
En juin dernier, 12,5 % du volume d’affaires voyageurs grandes lignes de la SNCF a été réalisé par
Voyages-SNCF.com. Et 22 % des billets Eurostar loisirs sont vendus sur Internet. Nous pensons sérieusement que le taux grandes lignes atteindra 15 % d’ici à la fin de 2004.D’année en année, les objectifs des deux activités de notre site sont pulvérisés. Ainsi, la vente de billets de train a réalisé une croissance de 70 % au premier semestre 2004 ; et l’activité d’agence de voyages en ligne
avec Expedia a doublé au premier semestre.Jusqu’où augmenteront vos ventes sur le web ?
Nul ne peut le dire. En tout cas, c’est formidable : aujourd’hui, plus d’un billet grandes lignes sur dix est vendu sur Internet en France. C’est plus qu’Air France ou Accor, déjà bien positionnés en matière de commerce
électronique.A quoi attribuez-vous cette réussite ?
A deux raisons essentielles. D’abord, il s’agit du mariage naturel entre le billet de train et l’Internet. Le web permet en effet au client de profiter d’une infinité de combinaisons. De plus, la marque SNCF étant connue, les internautes
payent en ligne en toute confiance. Et chaque voyageur maîtrise son achat, jusqu’à pouvoir imprimer personnellement son billet chez lui.Deuxième raison, nous avons filialisé dès le début l’activité Internet avec un dirigeant hors normes et un esprit start up. Je suis fier qu’une vieille dame comme la SNCF ait voulu et réussi cette stratégie. Elle a compris qu’avec le
commerce électronique il fallait ‘ faire autrement ‘. Les locaux de
Voyages-SNCF.com sont petits, les bureaux sont en espace ouvert, et les gens viennent de différents milieux ?” de la SNCF, de la net économie ou de l’innovation.Mais ce succès ne s’obtient-il pas au détriment de la vente en agences de voyages ou au guichet ?
Pas essentiellement, car Internet a un effet accélérateur sur la demande. Ainsi, un tiers des voyages qui y sont vendus ne l’auraient pas été sans lui. L’offre de billets TGV de dernière minute, impossibles à vendre en guichet, en est le
meilleur exemple ! Cela incite les internautes à partir, le soir même, en week-end. Un lot de billets dernière minute proposé à 16 heures peut-être vendu dans la demi-heure qui suit. C’est cela le ‘ miracle ‘
d’Internet.Pour les deux autres tiers, ils résultent de transferts. Une partie des ventes du centre d’appels a définitivement basculé sur Internet. Quant au Minitel, sa part est résiduelle : par semaine, son chiffre d’affaires ne dépasse
pas les 200 000 euros, alors que celui d’Internet se monte à 12 millions d’euros.L’Internet constitue donc un nouveau canal de distribution très performant ?
Aujourd’hui, c’est surtout un outil de marketing produit à part entière. Internet nous a fait créer des produits spécifiques, tels le billet imprimable, l’accès via SMS ou le voyage sur mesure. De même, le billet Prem’s sur Internet nous
permet de réduire certains coûts. Economie que nous restituons au client internaute, qui bénéficie d’un meilleur tarif qu’au guichet.Combien vous coûte un billet vendu sur Internet ?
Une vente sur le Web représente, en moyenne, entre 5 et 6 % de son prix facial. En gare, c’est plus cher : entre 11 et 15 % du prix du billet. Cependant, même en considérant cette différence, notre stratégie repose sur la
liberté du client. Nous ne l’obligerons pas à choisir un canal ou un autre. Il y a un lien direct entre la liberté d’achat et la facilité de chacun à décider d’un voyage en train.Où en sont les travaux actuels en matière de billet imprimable et d’e-ticket, comme par exemple l’e-TGV ?
Nous sommes en permanence ouverts aux idées et propositions. Les sociétés innovantes viennent nous voir, et nous sommes très friands de ce type de fertilisation croisée, qui réunit un savoir-faire technologique et notre compétence dans
le transport. Aujourd’hui, après le billet imprimable, les billets Prem’s et l’e-ticket sur Thalys, nous réfléchissons, d’une part, à une évolution de la gamme tarifaire et, d’autre part, à de nouveaux services innovants sur le TGV. Pourquoi, alors,
ne pas utiliser à plein le net pour expérimenter une réponse offensive aux compagnies aériennes à bas coûts ?Les salariés de l’entreprise vous suivent-ils dans cette voie ?
Les cent soixante-dix mille agents sont fiers que la SNCF ait créé le premier site français de commerce électronique. Ils ont conscience que c’est une locomotive pour l’entreprise et pour ses produits. C’est important. Et, finalement,
ils craignent que
Voyages-SNCF.com prenne son indépendance, qu’il devienne autonome ou qu’il soit privatisé. Mais cela ne se fera pas !Le lien entre la SNCF et le site
Voyages-SNCF.com sera donc toujours direct ?
Le fait que Mathias Emmerich, venant de la SNCF, succède à Denis Wathier à la tête de
Voyages-SNCF.com, et que ce dernier intègre la direction commerciale grandes lignes prouve qu’il y a des passerelles entre le site et l’entreprise ferroviaire.Quant au nouveau directeur général, il possède les deux qualités indispensables : avoir un esprit de conquête et bien comprendre les nouvelles attentes des clients. En effet,
Voyages-SNCF.com se veut au service de la SNCF et des clients. L’identité de
Voyages-SNCF.com, c’est la SNCF. Le site est moteur dans notre développement en commerce électronique.
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