Internet est-il un espace libre et international ou la propriété du gouvernement américain ? C’est selon. Si, dans le monde entier on considère que la Toile est un territoire international, les Américains qui l’ont lancée, gérée et enrichie ont du mal à accepter le partage de sa gouvernance, et donc de leur pouvoir économique et politique.
Pour évoquer le sujet, le premier forum français sur la gouvernance Internet s’est tenu le 10 mars au Conseil Économique, social et environnemental (Cese). Cette manifestation s’inscrit dans un mouvement international qui a été lancé il y a 10 ans lors du sommet de Tunis.
Ce sujet ne date pas d’hier, mais, comme l’a rappelé Bertrand de La Chapelle, président du comité d’organisation FGI-France, les choses ont changé avec l’affaire Snowden. « Depuis ces révélations, les États-Unis ont perdu leur avantage moral », a-t-il lancé en lors de la conférence inaugurale qui réunissait autour de lui Mathieu Weil (directeur général de l’Afnic), David Martinon (représentant spécial de la France pour les négociations internationales sur la société de l’information et l’économie numérique) et Sophie Kwasny, membre du Conseil de l’Europe.
Le conseil de l’Europe se pose en législateur universel
Avant de lancer les débats, Bertrand de La Chapelle a tenu à faire une distinction entre deux notions qui peuvent prêter à confusion, car la gouvernance concerne d’une part la partie technique du réseau et, d’autre part, ses aspects politiques. Les deux sujets ont été abordés lors de tables rondes consacrées à la Neutralité du Net, et à la protection des données personnelles.
Pour Mathieu Weil et Marielle Gallo, les choses sont claires : on ne peut aborder ce sujet sans remettre en cause la prédominance américaine. Pour le directeur général de l’Afnic, « le rôle des USA reste une préoccupation ». Quant à Mme Kwasny, elle estime que « le conseil de l’Europe se pose en législateur universel en matière de protection des données. »
Le ton est donné, même si David Martinon a tenté d’apporter quelques nuances comme le fait que la NSA n’est certainement pas le seul service à espionner les réseaux. « Peut-on dire que seuls les États-Unis espionnent Internet ? Je n’ai pas d’informations à révéler, mais on peut en douter », a-t-il répondu faisant allusion sans la citer à la loi de programmation militaire dont quelques articles font polémique en France.
Dans l’hémicycle, des spécialistes ont réagi. Pour Olivier Crépin-Leblond, représentant de l’Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), l’évolution du web impose cette réflexion, mais il attire l’attention sur la complexité du dossier du fait que chaque pays a ses propres intérêts à défendre. Il fait remarquer que « selon les pays, Internet peut être perçu positivement pour son apport économique ou comme un danger. » Une manière de rappeler que sur Internet, il est délicat de séparer l’aspect technique et politique.
Pour Louis Pouzin, « le verrouillage des systèmes se retourne contre nous »
L’intervention de Louis Pouzin, dont les travaux ont été utilisés par Vinton Cerf pour la mise au point d’Internet et de protocole TCP/IP, a confirmé cette complexité, mais pour lui, les choses ont changé entre le web d’il y a 25 ans et celui d’aujourd’hui. « Derrière Internet, il y a les États-Unis et son gouvernement est convaincu qu’il lui appartient. »
Selon ce « père fondateur », une modification de la gouvernance est redoutée par les organismes d’état comme la NSA et par ses acteurs économiques comme Google et Facebook, mais surtout par le Congrès américain. Pour Louis Pouzin, « on doit pouvoir faire ce que l’on veut sans demander un autorisation des Etats-Unis. » Il fait aussi remarque qu’aujourd’hui, le « verrouillage des systèmes se retourne contre nous ». « Internet est ouvert, mais les outils et les services sont dans les mains de quelques entreprises », a-t-il conclu.
La création d’une gouvernance ouverte et équitable va être plus que délicate à mettre en place. D’ailleurs, comme la fait remarquer Sophie Kwasny « les tensions politiques internationales se sont déplacées sur les réseaux. »
Le sujet sera au centre des débats de la rencontre NetMundial qui se tiendra à São Paulo les 23 et 24 avril prochain à l’initiative du gouvernement brésilien. Lors de ces conférences, le ton risque d’être encore plus virulent qu’à Paris. Rappelons que la présidente brésilienne, Dilma Roussef, a été l’une des cibles de l’espionnage de la NSA dans l’affaire Prism révélée par Edward Snowden. Cette réunion multipartite mondiale se donne pour objectif d’établir une feuille de route pour l’évolution future de l’écosystème de la gouvernance de l’Internet.
Lire aussi :
– Un Forum de la gouvernance Internet France à Paris le 10 mars (14/01/2014)
– L’Icann veut une gouvernance du Net plus équitable, donc moins américaine (24/02/2014)
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