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Géry Derbier (Solystic) : ” Le projet logiciel est un jeu collectif qui doit respecter les individualités “

Pour Géry Derbier, un projet logiciel est un acte de création intellectuelle basé sur une gestion très rigoureuse du temps.

Solystic conçoit, fabrique et installe des systèmes de tri pour les postes. Sept cents personnes, dont cent vingt ingénieurs logiciels, interviennent sur des systèmes complexes, associant machines et logiciel. Dans ce cadre, Géry Derbier est notamment chargé d’organiser et de contrôler le déroulement des projets du groupe.Vous défendez l’idée (1) que le développement logiciel est un acte de création intellectuelle comparable à un jeu. Pouvez-vous préciser cette notion ?Un projet logiciel est un jeu avec deux objectifs. Le premier, c’est de gagner le projet en cours. Donc, de satisfaire l’utilisateur et de faire en sorte de rester dans les budgets. Le second, c’est de pouvoir rejouer une autre fois. Cela veut dire que tout ce que l’on va construire et qui n’est pas directement livrable au client sera aussi important pour les autres projets. Des gens comme Alistair Cockburn ont poussé très loin cette métaphore du jeu (2).Dans ce cadre, quel rôle doit jouer un responsable d’équipe de développement logiciel ?C’est avant tout un sélectionneur. Il doit être attentif à ce qui se passe pour savoir ce qui marche bien, avec qui, et quels sont les talents de chacun. Mais il ne s’agit pas de rendre les projets ludiques. Dans l’analyse du jeu, but, règles et collaboration sont les aspects les plus importants. Quand on expérimente cette vision sur le terrain, on voit qu’il y a des choses qui marchent. On discute des règles, par exemple. On se rend compte que l’on peut en changer certaines, et d’autres non.Votre rôle de “sélectionneur” doit-il se limiter à dire qui fait quoi ?Ça n’est pas le plus important. A mon avis, il ne faut pas être trop précis là-dessus. Dans les zones turbulentes ?” par exemple, au début d’un projet ?”, on peut envisager de travailler douze mois avec une équipe qui peut ne pas maîtriser totalement le métier ni les technologies. Au démarrage, vous n’avez pas intérêt à dire précisément qui fait quoi. Mais plutôt à essayer de mettre des bornes, à définir des objectifs, et à laisser les choses apparaître. En vous disant que, quasi assurément, l’information s’échangera naturellement.Malgré les incertitudes et les zones turbulentes, vous découpez très finement le temps. Quel en est le principe ?Le “timeboxing”, qu’on retrouve dans une méthodologie légère telle que la Dynamic System Development Method, renverse l’approche classique, c’est-à-dire “une date et un contenu fixes”, pour aller vers “une date fixe et un contenu qui peut être mobile”. On essaie de découper un projet en cycles dont les longueurs doivent être adaptées au contexte : sa durée, l’architecture envisagée du système, etc. Cette approche doit pouvoir provoquer les discussions soit à l’intérieur d’une équipe, soit entre celle-ci et un client. Elle permet de lutter contre des travers naturels, comme la procrastination ou la tendance à vouloir trop bien faire. On se retrouve à livrer à 9 heures du soir quelque chose qui doit partir en urgence le lendemain matin… Lutter contre ce genre d’attitudes, c’est détecter que des personnes sont capables de planifier leur journée, d’autres deux ou trois jours de fonctionnement, et certaines encore d’articuler deux ou trois semaines, voire plus. Mais toutes ne sont pas égales devant cela. Mon rôle est d’aider les gens à s’organiser. Des réunions tous les deux jours, très courtes ?” une dizaine de minutes ?”, permettent de prendre en compte les aléas d’un groupe hétérogène.Les réunions ne sont-elles pas ressenties comme imposées par l’encadrement ?En tant que manager, vous ne pouvez pas faire l’économie d’expliquer. Vous êtes obligé de clarifier le contexte, les avantages et les inconvénients. Il est vrai que toute une partie ne sert qu’à moi. En revanche, consacrer dix minutes à l’organisation du travail sur deux jours, ce n’est pas trop demander.Parler de jeu et le rapprocher de la création intellectuelle, n’est-ce pas aller à l’encontre du courant, dominant dans le logiciel, qui plaide pour une très forte automatisation des tâches ?Il faut vraiment regarder ce qui se passe tous les jours et voir à quoi correspond une heure de travail d’une équipe de développement. Au quotidien, vous avez beaucoup de communication entre les gens. Tout le groupe doit adhérer à la même théorie de ce qui se passe et de ce que l’on fait. Si vous n’avez qu’une faible proportion de créativité, vous n’êtes peut-être pas dans un environnement qui est très entrepreneur. D’un autre côté, on se dirige vers une véritable industrie des composants. Le développement va de plus en plus consister à comprendre un problème, à trouver les bons composants, puis à les assembler. Plus on relève les niveaux d’abstraction, moins on perd de temps dans le codage, et plus on peut automatiser les tâches répétitives. C’est bien l’évolution, durant ces dernières années, du développement logiciel qui tend vers une activité entièrement intellectuelle.(1) Géry Derbier est intervenu sur ce thème à l’International Conference on Software Systems Engineering and their Applications 2001.
(2) Agile Software Development, Alistair Cockburn, chez Addison- Wesley, 2001.

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Philippe Billard