Il en est du buzz comme de l’œuf et de la poule : il est difficile d’en déterminer l’origine. Conception in vitro, naissance sous X, développement aléatoire, le buzz médiatique sur Internet est un sujet mouvant non contrôlé. Il a la particularité de se propager de manière fulgurante sur tous les canaux de diffusion. Il investit les réseaux sociaux, se répand sur les blogs, enflamme les messageries, génère des liens sur Twitter. Il atteint sa maturité lorsqu’il est repris par les grands médias. C’est la version électronique du plus traditionnel bouche à oreille. Parti d’on ne sait où, relayé par un faisceau d’intermédiaires, il est véhiculé par le nouveau fantasme des internautes : créer l’information.À l’origine, le buzz – ou bourdonnement en anglais – est une technique marketing qui consiste à faire beaucoup de bruit autour d’un produit, d’une marque ou d’une personnalité. Cette technique a trouvé une extraordinaire caisse de résonance avec Internet. Les internautes s’en sont emparés pour diffuser des sujets humoristiques ou qui peuvent prêter à polémique. Car le buzz a deux facettes, l’une positive – promotion, mise en lumière, éloge – l’autre négative – fausse rumeur, moquerie, nuisance. Ce double visage se reflète dans la Toile de manière aléatoire, trouble et fluctuante, pour le meilleur comme pour le pire. Il peut naître à partir de n’importe quel événement et peut toucher n’importe qui. Son origine est souvent incertaine, une sorte de génération spontanée qui aurait l’humour comme terreau et la satire comme tuteur. Les internautes contribuent à sa croissance par l’attention qu’ils lui portent. Ils le cultivent tel un divertissement qu’il convient de partager avec le plus grand nombre. C’est le moyen de s’amuser en créant un lien social, mais aussi en nuisant à autrui. Selon Karim Stambouli, coauteur avec Éric Briones du livre Buzz marketing, “ le premier ressort du buzz est l’envie de se divertir, de partager un moment de bonne humeur. Son deuxième ressort, tout aussi important, est la volonté de nuire. Dans les deux cas, il s’agit de montrer à sa communauté qu’on reste un leader d’opinion en diffusant l’information avant tout le monde ”.
De l’humour à la politique
Internet a connu son premier grand buzz planétaire en décembre 1999 avec le désormais cultissime “ Whassup ! ” (ou Wazaaaa !) de la marque de bière américaine Budweiser. Cette série de vidéos virales a littéralement inondé le Web en un temps record. Les internautes se sont emballés pour le concept et l’ont propagé à travers leurs messageries. La bonne humeur du message qu’il véhiculait a suffi à en faire le plus formidable coup marketing de l’époque. La marque ayant eu l’intelligence de laisser les internautes s’approprier le sujet en toute liberté, l’impact médiatique a dépassé ses plus folles espérances. Largement repris avec des parodies les plus loufoques, il a été très vite relayé par les grands médias. Ici, l’aspect divertissement a primé sur le message publicitaire en le rendant encore plus attractif. Traduit dans toutes les langues et transposé à toutes les situations, c’est devenu un vrai phénomène culturel. Si l’humour est le moteur du buzz, son principal accélérateur en est bien la parodie. Détourné et rescénarisé au gré de l’imagination des internautes, il devient une référence sur la Toile. Plus récent et plus personnel, l’inénarrable clip vidéo de l’internaute américain Chris Crocker, et son célèbre cri “ Leave Britney Alone ” (laissez Britney tranquille), est symptomatique de ce phénomène. La prestation de ce fan de Britney Spears a été vue plus d’un million de fois en 24 heures, pour atteindre les 8 millions de visionnages en une semaine. Il a été parodié à de multiples reprises, et notamment dans un épisode du dessin animé South Park. Avec la campagne présidentielle de Barack Obama aux États-Unis, le buzz fait son apparition en politique. Le candidat fait appel à une population d’internautes séduite par son positionnement qui s’implique largement dans la campagne par le biais des réseaux sociaux et des nouveaux outils comme Twitter. Ce sont en partie eux qui ont relayé le célèbre “ Yes we can ” dans tous les registres. Depuis quelque temps, la télévision est devenue une énorme usine à buzz. En effet, en plus de reprendre les informations piquées sur la Toile, elle fait l’objet d’un intérêt particulier de la part des internautes qui relayent de nombreux extraits d’émissions ou de reportages télévisés. Le journaliste de Canal+, Yann Barthès, en a fait sa marque de fabrique. Chirac en séducteur, les copier-coller de Sarkozy dans ses discours, son Petit journal fourmille de vidéos amusantes. Les plus marquantes sont ensuite propagées par tous les internautes à l’affût de toutes ses nouvelles trouvailles.L’essence même du buzz tient dans la nouveauté de l’information, dans son originalité. Une vidéo cocasse, une photo inédite ou un photomontage étonnant, une info singulière repérée sur le Web, s’y prêtent pourvu que cela joue sur des émotions collectives. Ceux qui les diffusent veulent être au cœur de l’actualité, voire en faire partie. Entre le concept d’un message inédit à faire passer, et l’envie d’être celui par qui le scandale arrive, l’intention est la même : interpeller.
David contre Goliath
Peu importe que l’information soit vraie ou fausse, loufoque ou grave. L’important est qu’elle suscite la curiosité. L’individu tire satisfaction d’être le principal vecteur de sa propagation dans sa communauté, avec une prise de risque minimum et un amusement maximum. Capter l’audience, devenir acteur plutôt que spectateur, c’est aussi une façon de renforcer son statut social et d’exister au sein du groupe. Avec le sentiment d’être le maillon d’une grande chaîne populaire et démocratique. “ La propagation d’un buzz à caractère politique est une manière de signifier qu’on est ensemble autour d’une idée, d’une cause, quelque chose qui nous réunit ”, observe Florent Latrive, journaliste à Libération à l’origine du buzz #jeansarkozypartout. C’est David contre Goliath, l’ingéniosité du plus faible ? l’internaute ? contre le pouvoir du plus fort ? État, médias…
Du meilleur au pire
Si le buzz amuse dans la plupart des cas, il n’est pas exempt de danger. Internet n’est pas avare de mauvaises blagues qui propagent des informations erronées (les fameux hoax, à manipuler avec prudence) ou peuvent détruire une réputation. Les médias ont leur part de responsabilité donnant un écho national ou international à ce type de rumeurs sans les vérifier. “ C’est un jeu de certains leaders d’opinion sur les blogs pour faire en sorte que ce soit repris par les médias qui voient ça comme un divertissement, sans se rendre compte de la puissance qu’ils en donnent en l’institutionnalisant ”, commente Karim Stambouli. Il cite l’exemple de Thierry Meyssian avec son livre polémique L’effroyable imposture sur les attentats du 11 septembre. Il a généré un énorme buzz sur Internet et dans la presse au point que l’auteur a été invité à défendre sa thèse à la télévision dans une émission de Thierry Ardisson. “ On ne peut pas empêcher les gens de vouloir créer du buzz. La question est de savoir comment ces informations-là doivent franchir la barrière des médias classiques ”, ajoute-t-il.De nombreuses vidéos issues du Net sont ainsi relayées dans les grands médias qui leur donnent une audience considérable. Autre piège du buzz : il n’y a aucun moyen de le maîtriser. Une fois que la machine est enclenchée, il devient un électron libre sur la Toile. Difficile de le contrer sans risquer de le renforcer encore un peu plus. De nombreuses personnalités en font les frais bien malgré elles. L’effet s’amenuise de lui-même avec le temps, remplacé par de nouveaux sujets à rire… ou à nuire.Les buzz fleurissent à foison sur le Net, les internautes étant toujours à l’affût de la moindre curiosité médiatique. “ L’être humain est un animal social qui aime raconter des histoires ”, ponctue Emmanuel Vivier, PDG de l’agence Vankser. La nature des relations sociales de l’individu ne va pas changer, mais les outils technologiques vont encore évoluer. Les marques, les partis politiques, les institutions commencent à en prendre toute la mesure. Les réseaux sociaux vont être de plus en plus impliqués dans la diffusion de la communication. À l’ère du tout numérique et de la mobilité, il n’y a qu’à dégainer un téléphone portable pour créer un buzz dans la seconde.
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