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Gemplus bientôt américaine ?

L’affaire défraie la chronique depuis des mois. Mais rien n’y fait, l’actionnaire américain fait sa loi dans cette entreprise, fleuron de la high-tech française. Les luttes intestines n’en finissent pas d’affaiblir Gemplus, et le tout nouveau CEO, à peine en poste, est déjà contesté. Enquête.

” L’affaire Gemplus ? ” A Bercy, la réponse fuse : ” Nous n’avons pas de commentaire à faire “*. Au fond, Gemplus c’est l’histoire banale d’une entreprise high-tech française dont l’essentiel des actifs va bientôt quitter la France car son actionnaire principal en a décidé ainsi. C’est une affaire privée.Que la technologie ait été inventée en France et substantiellement financée par l’Etat et la région Paca ne compte pas. Aujourd’hui, Gemplus est cotée à Paris et à New York, son capital est ouvert au plus offrant. Le cours de l’action tourne autour de 0,75 euro. A 1 euro l’action, Gemplus vaut 596 millions d’euros.Une paille, ou presque, pour Texas Pacific Group (TPG), qui a déjà investi 558 millions d’euros contre 26 % du capital deux ans auparavant. Pour le fonds d’investissement américain, il en va de Gemplus comme pour ses autres ” lignes “, il faut réaliser une plus-value.

Gemplus est contrôlée par David Bonderman

David Bonderman, le patron de TPG, n’est pas un bleu. Il a multiplié par dix la mise avec Continental Airlines, a acquis la chaine Burger King contre 3,5 milliards de dollars en cash, etc. Et, pour ce qui concerne Gemplus, il a déjà réussi l’exploit d’en prendre le contrôle opérationnel et administratif avec seulement 26 % des parts. La nomination d’Alex Mandl, son candidat, au poste de CEO la semaine dernière en témoigne.Tout le monde en interne percevait la candidature d’Alex Mandl comme inappropriée. Il est âgé (59 ans), il ne connaît rien au marché de la carte à puce, il a des liens avec le gouvernement américain (administrateur du fonds d’investissement de la CIA jusqu’à aujourd’hui), il a créé Teligent, une start-up télécoms, et l’a mise en faillite dans des conditions douteuses (on parle de délit d’initié). Le commentaire de Franck Casalini au nom de l’USG (syndicat majoritaire de Gemplus) résume tout cela : “C’est le pire candidat que l’on pouvait trouver”.Mais TPG propose et dispose. Ainsi donc Alex Mandl a-t-il pris ses fonctions de PDG de Gemplus, leader mondial de la carte à microprocesseur, le 9 septembre dernier. Quelle sera sa mission ? Remettre Gemplus à flot pour pouvoir revendre l’entreprise au plus offrant.

Une cible parfaite pour le marché américain

C’est clairement ce dernier point qui soulève un problème aux yeux des actionnaires historiques ainsi que des salariés de Gemplus. Lorsqu’il a fait entrer TPG dans le capital de son entreprise, en 1999, Marc Lassus ne pensait pas qu’il faisait entrer le loup dans la bergerie.Pourtant, l’intérêt de TPG était évident. Le marché de la carte à puce est totalement sous-développé aux Etats-Unis. La téléphonie mobile américaine (au format CDMA) a soigneusement évité la carte SIM, que l’on trouve dans les GSM.Quant au secteur bancaire américain, il refuse depuis des années la fameuse carte à puce sécurisée, au motif que le coût de son implantation est supérieur à celui de la fraude constatée sur les cartes à piste magnétique. Conséquence, le premier marché du monde ne pèse, selon Eurosmart, que 7,5 % de la totalité des ventes de cartes à microprocesseur.C’est l’une des vérités les moins contredites par l’histoire récente : les Etats-unis privilégient l’emploi de leur technologie dans leur zone d’influence économique. N’étant pas à l’origine de la carte à puce, ils ont préféré faire l’impasse.Force est de constater cependant que Gemplus est assis sur une mine d’or. La carte à puce se développe dans de nombreux secteurs, et plus particulièrement ceux de l’identification et de la sécurité. Les Cartes Vitale en France en sont un exemple, mais de façon plus générale toutes les cartes qui font usage d’un algorithme de cryptage nécessitent un microprocesseur. La sécurité, devenue priorité nationale aux Etats-Unis depuis le 11 septembre 2001, passe par la carte à puce.

TPG, bras armé de la CIA ?

Un raisonnement qui n’a sans doute pas échappé à David Bonderman, d’autant que la CIA a déjà pointé le secteur de la carte à puce comme un point faible de l’économie américaine. Gemplus constitue une cible parfaite pour un homme d’affaires. Et contrairement à Bull CP8 (rachetée par Schlumberger fin 2000) ou à SGS Thomson, Gemplus n’a pas de contrat sensible avec le gouvernement français.Gemplus, cible de la CIA ? C’est une hypothèse que beaucoup de protagonistes de l’affaire prennent au sérieux. Il n’existe cependant aucune preuve tangible. Sans aller jusqu’à imaginer que TPG travaille en sous-main pour Washington, Gemplus constitue une clef indispensable pour entrer sur le marché de la sécurité.En associant Gemplus à un spécialiste de la cryptologie de nationalité américaine, l’entreprise serait en position d’investir non seulement le marché américain de la sécurité, mais également de devenir le numéro un mondial incontesté du secteur.Dès lors, la thèse de la CIA prend de la consistance : Washington veut une technologie de sécurité sur carte à puce, américaine de bout en bout, pour pouvoir la déployer dans ses services les plus sensibles. Une fois américaine, cette technologie pourra être distribuée dans le monde entier, et les équipes d’intelligence économique de la CIA disposeront, éventuellement, d’un accès réservé à une information de première main.

La botte secète de TPG : la pacte d’actionnaires

Reste qu’avec une position d’actionnaire principal, mais non majoritaire, TPG n’est pas encore en position de revendre l’entreprise tranquillement. C’est l’un des points qui demeurent obscurs dans le dossier Gemplus.Le comportement de TPG est pourtant celui d’un actionnaire majoritaire, au point que l’on se demande si le pacte d’actionnaires conclu entre Marc Lassus, la famille Quandt et TPG, en 1999, ne comprend pas des clauses secrètes, parmi lesquelles des options d’achat de TPG sur le reste du capital.Le jour où Marc Lassus a présenté TPG aux salariés de Gemplus, il a mentionné l’existence d’une telle clause. Depuis, silence radio. Tout laisse penser que David Bonderman attend le moment favorable pour s’emparer des parts détenues par Marc Lassus et la famille Quandt (35 % en tout). Une fois cette opération réalisée, la vente de Gemplus ne serait plus qu’une question de mois.

Dernière cartouche

Mais l’association de défense des actionnaires minoritaires, Gemact, veille. Elle tient à sa disposition un dossier explosif qui pourrait pousser David Bonderman à reconsidérer ses vues sur Gemplus. Seul souci pour Gemact : ” La bataille juridique implique d’engager des avocats non seulement en France, mais aussi à Luxembourg, à Gibraltar et aux Etats-Unis. Il faut des millions d’euros que nous n’avons pas… “, explique Jean-Marc Giry, ancien responsable de la communication et de la stratégie et membre de Gemact.* Bercy, via la DVNI (Direction des vérifications nationales et internationales), mène lenquête depuis un an sur le montage de la holding luxembourgeoise qui a pris le contrôle de Gemplus SA en 2000.

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David Prud'homme et Frantz Grenier