Personne n’a jamais le temps de rien dans la Silicon Valley. Pas de compassion pour ceux qui ne peuvent tenir le rythme. Je suis bien placé pour le savoir, puisque je consomme actuellement une quantité phénoménale de médi-caments pour combattre un mauvais rhume. Sans aucun résultat, du moins pour l’instant.Quand on est, comme moi, à la fois dans la Valley et dans le journalisme, ce n’est pas le bon plan. Dans la presse, vous entendez rarement votre chef vous dire, en vous tapant sur l’épaule : ” Ne t’en fais pas pour cette semaine, on va imprimer une page blanche ! ” Écrire dans un magazine, c’est comme emprunter de l’argent à la Mafia. Une fois que vous êtes dans le bain, ils font preuve d’une compréhension mesurée. Vous êtes malade ? Écrivez votre article. Des parents viennent chez vous à l’improviste ? Écrivez votre article. Un incendie ravage votre salon ? Écrivez votre article. Un météore géant atterrit dans votre jardin ? Vous m’avez compris…Il n’est pourtant écrit nulle part que la Silicon Valley et le journalisme présentent la même exigence : la nécessité de posséder une résis-tance au stress quasi surhumaine. C’est une règle implicite. Il faut être ” bien ” tout le temps. Pourquoi ? Dans l’Ouest américain, la culture dominante repose essentiellement sur les start-up. Quand on vit pour révolutionner le monde, on n’a pas de disponi-bilité pour des petits détails, comme la souffrance physique. C’est pour cela que l’épicier coréen du coin vous bombarde de substances énergisantes. Grâce à elles, vous pouvez défier Godzilla en combat singulier.Ici, tout le monde se comporte en requin : il faut nager sous l’eau, sentir la bonne odeur du sang. Selon un vieux proverbe texan, ” on ne se couche que pour mourir. ” Nulle part ailleurs qu’ici, ce mot ne s’applique avec plus d’à-propos.
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