Sur une table de chevet perchée, au milieu de BD empilées à la va-vite au moment de dormir, de revues enfantines malmenées, de feuilles volantes couvertes de gribouillis, le tout dominé par un Marsupilami aux faux airs de King Kong (ou de Diddy Kong, d’ailleurs), trônaient épars des Game & Watch. Petits îlots d’électronique dans une maison avec un seul téléviseur, trois chaînes de télévision et un TO7… pour coder en logoscript. Le futur était pour plus tard, mais les ampoules au doigt à force de jouer, non.
C’est tout ça, de la pâte à tartiner et un peu plus, que Nintendo a fait ressurgir l’année dernière en lançant son Game & Watch Super Mario Bros. En compère malin, Big N récidive quasiment un an jour pour jour plus tard. Et qui d’autres que Link et Zelda pour prendre la suite de Mario et surgir du passé, face au vent, en vrais héros de tous les temps ?
Trois chefs d’œuvre en un mouchoir de poche
Cette année encore, le géant japonais ne se moque pas de nous. Le boîtier, d’excellente facture, mélange un plastique solide, qui passe au vert pour cause de licence à honorer, et d’un métal léger pour la face avant. Tout respire la qualité, et semble devoir survivre à vos poches de pantalon, à vos sacs à dos, à des mains d’enfants maladroits, à votre coin de table basse, ou à vos doigts et mains qui ont un peu grossi depuis votre première partie de Zelda.
Nintendo reprend la recette de son premier Game & Watch de nouvelle génération. Même taille de boîtier, et même taille d’écran. La dalle lumineuse permet de jouer dehors en plein soleil – mais ce n’est pas une obligation vu le temps -, affiche des couleurs vives, joliment contrastées, qui rendent un bel hommage aux premiers Zelda.
Premiers, avec un S, car Nintendo a glissé trois Legend of Zelda dans ce minuscule boîtier. Le tout premier, The Legend of Zelda, que les plus expérimentés d’entre nous ont peut-être arpenté en 1987 – et bien sûr sa célèbre formule : « it’s dangerous to go alone ! Take this. » (« C’est dangereux d’y aller seul ! Prends ça »), qui vous renverra aux cahiers de poésie, ou de brouillon, celui avec les tables de multiplication à l’arrière.
Vient ensuite Zelda II : The Adventure of Link, sorti un an plus tard, et pour finir Breath of the Wild 2… Non, pas du tout, c’était pour voir si vous suiviez. Le troisième larron est The Legend of Zelda Link’s Awakening, génial titre qui a fait la gloire de la Game Boy et la fortune des marchands de piles. Il est jouable en anglais, en japonais, en allemand, et… en français. C’est évidemment celui avec lequel on a le plus de facilité à se reconnecter, c’est aussi le plus moderne. Imaginez, il est tout récent, il date seulement de 1993.
Une nostalgie modernisée
On laissera chacun se replonger dans ses souvenirs ou découvrir ces trois jeux. Ils se parcourent avec plaisir, des fulgurances de réflexes anciens, ou la dure nécessité d’apprendre ou de réapprendre les patterns des différents ennemis, et de mémoriser des niveaux qui se ressemblent souvent beaucoup, surtout sur le tout premier épisode.
Les sons, plus encore que les graphismes, sont riches et se parent d’une force d’évocation impressionnante. C’est fou ce qu’un simple bruit d’épée peut évoquer de souvenirs. D’ailleurs, applaudissons Nintendo qui réussit à assurer un son net et puissant dans un boîtier aussi compact.
Avoir juxtaposé ces trois titres s’apparente autant à une petite dose de nostalgie qu’à un cours d’histoire. On voit la licence progresser à pas de géant : le gameplay s’enrichit, les environnements s’embellissent, se diversifient, les fondations se construisent ainsi presque sous nos yeux, et c’est en soi aussi excitant que de jouer.
D’autant que, comme pour toutes ces consoles nostalgiques, qu’il s’agisse de la NES Mini Classic, de la Super Nintendo Mini, ou du Game & Watch de l’an dernier, Nintendo nous évite les affres des morts trop définitives ou pire, la nécessité de reprendre tout à zéro quand on doit quitter une partie un peu vite. Précisons toutefois qu’on n’a pas droit à la fonction de « rembobinage », qui est intégrée dans les versions des jeux NES sur Switch Online, et permet de reprendre quelques secondes avant sa mort ou un saut raté.
Néanmoins, on peut passer d’un jeu à un autre, retrouver sa progression gentiment, sans heurt. Le tout avec une fluidité qu’il faut saluer. La compacité ne signifie pas ici que l’expérience souffrira de lags ou de hoquets.
Par rapport au Game & Watch Mario, Nintendo a ajouté deux boutons pour faciliter les interactions. On retrouve ainsi les boutons classiques : Game, Time, Pause/Set, sans oublier évidemment, les boutons A et B et la croix directionnelle, auxquels s’ajoutent désormais les boutons Select et Start.
Le bouton Marche/Arrêt se trouve toujours sur la tranche droite, juste au-dessus du port USB-C, qui permet de recharger facilement l’appareil. On regrette peut-être juste qu’il n’y ait pas de réglette pour baisser le son plus facilement. Néanmoins, il suffit de passer par le bouton Pause/Set afin d’accéder aux réglages du volume ou de la lumière.
« Y’en a un peu plus, je vous l’mets quand même ? »
Mais ce n’est pas tout. Nintendo a glissé un « vrai jeu » Game & Watch en plus de ces trois titres historiques. On retrouve ainsi un Vermin revisité, avec Link dans le rôle du tapeur de taupe. Comme l’année dernière, le rendu de l’affichage à cristaux liquide est bon, sans doute un peu trop bien défini et contrasté, mais personne ici ne s’en plaindra. Il est amusant en tout cas de noter à quel point ce jeu minimaliste séduira aussi bien ceux qui y ont joué à l’époque que les nouveaux joueurs, nourris aux jeux 3D en Full HD ou 4K.
Enfin, Nintendo introduit un mode Minuteur. À quoi sert-il ? Il affiche un gros compte à rebours – que vous vous pouvez fixer entre une et dix minutes – indiquant combien de temps vous avez pour tuer le plus d’ennemis possible. Pas forcément le mode auquel on pensait consacrer beaucoup de temps, mais puisque le Game & Watch The Legend of Zelda est une sucrerie qu’on partage, on cherche vite à essayer de battre le record des autres joueurs.
Et puisqu’on parle de timer, on se prend à rêver à une fonction Réveil, comme au bon vieux temps. Hélas, mille fois hélas, vous n’aurez pas le plaisir d’être tiré du sommeil par la sonnerie stridente d’un biper électronique d’antan. Nintendo a fait l’impasse sur cette fonction. En revanche, le Game & Watch peut tout à fait faire office de petite horloge. L’heure s’affiche pendant qu’un petit Link avance au fil de niveaux clos, sorte de mini-arènes. Et si vous voulez prendre la main, vous le pouvez à tout instant. Vous contrôlez alors Link et pourfendez tout ce qui passe à portée de son épée.
Comme l’année dernière, on jouera un peu les rabat-joie en regrettant que Nintendo n’ait pas prévu d’utiliser une petite béquille métallique comme sur certains modèles originaux. Cela permettrait de le poser, incliné, sur un coin de bureau ou… une table de chevet.
Conscient de ce manque, Big N a tenté une petite filouterie. Une partie de l’emballage d’origine, en carton laqué noir, peut servir de présentoir inclinable. Outre qu’on ne lui prédit pas une capacité énorme à défier le temps, c’est un peu mesquin, pour ne pas dire cheap. Certes, Nintendo Labo a prouvé qu’on pouvait faire de jolies choses en carton, mais, il y a un temps pour la bricole et un temps pour soigner un produit qui oscille entre objet de collection et souvenir d’enfant.
D’autant que Big N prouve qu’il a le sens du détail. En effet, quand vous jouez dans le noir, vos amis ou votre famille pourront voir briller le symbole de la Triforce au dos du petit boîtier. Pas de magie : c’est le rétroéclairage de la dalle qui permet cette petite fantaisie. Un détail, on vous l’accorde, mais qui fait sourire. Peut-être sourire avec l’air un peu émerveillé du gamin que nous étions alors, et ce n’est pas rien.
Vert, au pied du sapin
En définitive, à environ 50 euros le concentré intelligent de nostalgie, on ne trouve pas grand-chose à redire. Vraiment. Est-ce le meilleur format pour jouer à ces Zelda classiques ou les découvrir ? Non, encore qu’il y a, dans cette magie de la portabilité absolue, un petit quelque chose d’extrêmement réussi.
Bien sûr, la Switch offre plus de confort, mais il suffit de voir un jeune joueur s’emparer du Game & Watch à tout moment, même dans le métro, pour se rendre compte que la meilleure solution ergonomique n’est pas synonyme de meilleur accès en tout lieu et tout le temps. Bien sûr, ça ne remplacera pas une Switch OLED (au fait, la 4K, c’est pour quand ?) au pied du sapin, mais Nintendo réussit là un joli exercice : inscrire les nouvelles générations de joueur dans son histoire, et y faire revenir les anciennes.
A mi-chemin de l’objet de collection et du jouet électronique, donc, le Game & Watch est un bon cadeau à offrir ou se faire offrir. Un bout de nostalgie malin lancé entre deux âges. Un relai, une minuscule épée flamboyante frappée du sceau de la grande histoire du jeu vidéo, qu’on peut confier aux jeunes joueurs qui nous suivent, en leur disant : « it’s dangerous to go alone ! Take this. »
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