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Gaia-X, le projet de cloud européen, a-t-il vraiment les moyens de concurrencer les géants américains?

La France et l’Allemagne ont annoncé dès l’automne 2019 un projet commun pour proposer une alternative au monopole des géants américains sur le marché numérique. Mais les interrogations restent nombreuses. 

« Avec le projet Gaia-X, l’Allemagne et la France poursuivent l’objectif de construire une infrastructure de données fiable et sécurisée pour l’Europe. » Le communiqué de presse publié début juin conjointement par les ministres allemand, Peter Altmaier, et français, Bruno Le Maire, est clair : Gaia-X est un programme binational ambitieux. Mais, l’Europe en a-t-elle seulement les moyens ? 

Un “catalogue” du cloud européen

Le projet Gaia-X, « l’Airbus de l’intelligence artificielle » comme aime l’appeler le ministre français, répond à plusieurs enjeux : politique, d’abord, économique ensuite et technologique, enfin. Sur le volet politique, il s’agit de pouvoir réaffirmer la place de l’Europe sur la scène internationale face aux Américains, Russes ou Chinois qui ont développé leur propre offre numérique souveraine. L’idée est de référencer sur une plate-forme unique les initiatives européennes pour héberger, stocker et gérer les données. Concrètement, Gaia-X se présentera comme un catalogue du cloud européen. Afin de ne plus compter seulement sur Amazon, Google ou Microsoft qui détiennent à eux seuls 70 % du marché et pouvoir proposer des alternatives. 

L’objectif de Gaia-X consiste à « faire de l’européen, sur le sol européen avec des Européens », résume Emmanuel Netter, maître de conférence en droit privé à l’université d’Avignon. Un moyen de lutter contre le Cloud Act, la législation américaine actée en 2018 en représailles au RGPD et qui consacre le principe d’extra-territorialité des données si elles sont stockées par un acteur américain. 

Il faut faire confiance aux acteurs du continent

Gaia-X sera élaboré autour de 4 axes : la transparence, la réversibilité, l’ouverture et la souveraineté. « Cette dernière n’est que la conséquence des trois autres principes. Sans informations claires et sans choix possible, il n’y a pas de souveraineté », estime Michel Paulin, CEO de OVH, l’une des 22 entreprises fondatrices de la plate-forme. 

Gaia-X

Or, c’est précisément ce qui fait polémique dans le cas du Health Data Hub, la méga plate-forme de gestion de données de santé des Français hébergée chez Microsoft. Interrogé par le Sénat sur ce choix, l’ex-secrétaire d’État au Numérique, Cédric O, l’avait « regretté », justifiant qu’aucun acteur français ne pouvait faire mieux et moins cher. Ces propos ont choqué le patron d’OVH, qui déplorait alors le « manque de confiance » accordé aux acteurs français et une mise en place précipitée.

Un écosystème de 300 parties prenantes

Cette anecdote est symptomatique d’un marché du numérique détenu par une poignée de sociétés américaines toute puissantes. Gaia-X a donc l’ambition de pallier l’absence d’alternative, en associant à la vingtaine d’entreprises pionnières, un écosystème de plus de 300 parties prenantes – petites, moyennes et grandes entreprises comme des instituts de recherches. Ces sociétés sont, certes, bien plus modestes que les Gafam, mais compétentes. «C’est un projet qui, a priori, a la vertu d’être réaliste», analyse avec prudence Emmanuel Netter. «Gaia-X ne prétend pas concurrencer frontalement les sociétés américaines, mais fédérer de nombreux acteurs européens.»

Mais, l’objectif reste éminemment politique. Depuis les années 1990, l’Europe s’est appuyée sur les Américains sans sourciller. L’élection de Donald Trump, ses outrances et menaces répétées ont poussé les Européens à accélérer leur démarche et coordonner leurs propres services. « Si les États-Unis décident de couper l’accès à Amazon ou à Google, c’est 50 % des services publics français qui s’arrêtent », prévient Frans Imbert Vier qui dirige l’Ubcom, une start-up franco-suisse spécialisée dans l’intelligence artificielle.

Les enjeux économiques sont aussi cruciaux. Initialement allemand, le projet est désormais porté aussi par des acteurs français. Aux côtés d’OVH, on compte entre autres Orange, EDF, Amadeus, et Bosh, Siemens, SAP, Deutsche Telekom, outre-Rhin. Les 22 pionniers assureront la gouvernance de Gaia-X. Pour faire partie des happy few, chacun s’est acquitté de 75 000 euros – ce qui donne au total une enveloppe de plus d’1,6 million d’euros.

La « vitrine de la filière numérique européenne »

Ces (gros) poissons pilotes vont permettre de structurer l’ensemble des offres existantes et de les mettre en avant afin que « chaque client puisse faire le choix de sa solution en tout état de cause : où et par qui seront hébergées les données ? à quelles lois seront-elles assujetties ? qui y a accès ? », s’enthousiasme le patron d’OVH, qui rappelle que la société français a été reconnue leader sur le marché du cloud aux Etats-Unis.

Une fois établie, cette « vitrine de la filière numérique européenne » laissera le soin à chacune des parties prenantes de mener ses programmes de R&D. C’est pourquoi il n’y a pas budget alloué à ce projet à proprement parler. L’initiative demeure donc dans son ADN très européenne : c’est un tremplin pour structurer les acteurs européens entre eux, mais rien de contraignant à priori, si ce n’est le respect du cadre législatif. 

Au moins 1,6 million d’euros

Face aux géants américains qui ont des poches très profondes, les sommes hypothétiques paraissent ridiculement petites. Mais, il est aussi possible que ce projet soit financé via l’Union européenne, et notamment avec l’enveloppe de 20 milliards d’euros alloués à l’intelligence artificielle sur le Vieux continent

Le ministre allemand Peter Altmaier a d’ailleurs « invité tous les partenaires européens et internationaux qui partagent nos principes fondamentaux d’ouverture et de transparence, de confiance, de souveraineté et d’autodétermination à coopérer avec nous. » Toutes les sociétés sont les bienvenues. Même celles qui sont américaines.

Certains géants américains, les Gafam pour ne pas les nommer, ont fait savoir qu’elles souhaiteraient participer en tant qu’observateurs à Gaia-X. « Le ver est dans la pomme », pour Frans Imbert Vier.  « L’objectif de Gaia-X est d’autonomiser l’Europe qui est pour l’instant totalement dépendante de services privés américains, or, on  les invite à chercher avec nous… il est possible qu’ils nous piquent des idées. » Un risque que Michel Paulin à la tête d’OVH, balaie du revers de la main : « Un des principes fondateurs de Gaia-X est l’ouverture. Nous souhaitons qu’ils puissent prendre exemple sur l’Europe et être plus transparents en observant notre futur système ».

Bâtir « l’industrie 4.0 »

Le volet technologique du projet est justement « ultra-compétitif ». Pour mettre sur pied « l’écosystème de cloud européen », le rendre « fiable » et « sécurisé », les deux pays européens misent sur « l’industrie 4.0 ». De la production de matériel à la gestion des données, en passant par leur hébergement, l’ensemble doit assurer « la souveraineté des données, leur disponibilité, leur interopérabilité et leur portabilité », explique le communiqué. De nombreuses solutions existant déjà, Gaia-X serait le tremplin qui leur manquait.

Pour l’instant il est trop tôt pour évaluer Gaia-X. Selon les pronostics optimistes d’OVH, la plate-forme devrait émerger début 2021. La déclaration d’intention est bien là mais, l’efficacité d’une telle « arme géopolitique » est plus controversée. Le défi technologique sera de toute façon stimulant. « L’Europe n’a pas les moyens de ne pas essayer de s’affranchir des diktats étrangers », rappelle Michel Paulin qui y croit dur comme fer. 

Source : Gaïa-X

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Marion SIMON-RAINAUD