Parapher six-cents pages de papier à la main, bienvenue dans la vie.com! Ce dirigeant d’un opérateur concurrent de France Télécom (FT) étale sur son bureau le récent projet de convention qu’il a passée avec le fleuron des télécoms françaises, pour offrir de l’ADSL à ses clients. ” Six-cents pages, dit-il, multipliées par le nombre de centres où je veux installer mes équipements ! Le tout à passer par fax ! “Les opérateurs, juristes, économistes qui observent la bagarre des télécoms nous ont raconté bien d’autres histoires de ce type. L’opérateur historique, clament-ils, défend son business avec un acharnement qui frise parfois la man?”uvre anticoncurrentielle. Bien sûr, tout cela est étroitement surveillé par l’Autorité de réglulation des télécommunications (ART).Mais, au quotidien, dans le détail des contrats ou les recoins des répartiteurs, les tracasseries sont légion. Les concurrents de FT nous les révèlent ici. Et Marc Fossier, l’un des collaborateurs de Michel Bon, répond. Débat. En quoi France Télécom freine-t-il le développement de l’Internet en France ?Stéphane Treppoz, PDG d’AOL France, deuxième fournisseur d’accès à l’Internet de l’Hexagone : Il ne freine pas le développement d’Internet, mais il ralentit la concurrence. La première embûche se trouve dans ses 600 agences. FT est encore une entreprise publique. Normalement, nos kits de connexion à l’Internet AOL devraient donc pouvoir être distribués dans les boutiques France Télécom.Et en quoi cela ralentit-il le développement de l’Internet en France?S.T. : Ce qui ralentit le plus sa progression, c’est que France Télécom a la haute main sur les tarifs d’interconnexion. En clair, chaque fournisseur d’accès paye à l’opérateur 4 francs de l’heure pour accéder au réseau. Conséquence ? Cela nous empêche de proposer au consommateur des forfaits illimités aux alentours de 100 francs par mois. Or, c’est le prix auquel l’Internet illimité s’est généralisé dans les autres pays développés, et qui permet réellement de toucher le grand public.OK. Mais, après tout, FT protège son business en France. Vous feriez pareil, non ?S.T. : Non. Leur comportement est inadmissible, car prédateur. En 1998 déjà, ils envoyaient aux consommateurs, avec la facture France Télécom, des propositions d’abonnement à Wanadoo ! Par ailleurs, dans leurs centres d’appels, les téléacteurs ont des scripts qui contribuent à dissuader les prospects ou les abonnés Wanadoo de choisir AOL.Et vous ne dites rien ? S.T. : Si. J’ai écrit plusieurs fois aux responsables de Wanadoo et de FT. Mais, souvent, FT choisit de ne pas répondre. Sa technique est de gagner du temps. Vous demandez rendez-vous pour une affaire qui les gêne ? On vous fixe une date six semaines après, on la repousse ensuite quelques jours avant le moment convenu. Deux mois de gagné ! Par ailleurs, FT a, auprès du public français, une superbe image. S’attaquer à elle, c’est s’attaquer à une icône française.Vous défendez plusieurs opérateurs qui considèrent que France Télécom freine le développement de l’Internet à haut débit en France. Que lui reprochent-ils concrètement ?Benoît de La Taille, avocat au cabinet Coudert & Frères, spécialiste du droit des télécoms : De chercher à gagner du temps par tous les moyens. Le plus efficace, et aussi le plus insidieux, consiste à faire de la rétention d’informations.Mais l’ART a imposé de nouveaux tarifs à France Télécom. Sont-ils raisonnables par rapport à ceux qui sont pratiqués dans les pays comparables ?B.L.T.: Non. Prenons comme exemple le partage de lignes. Il était fixé à 60 francs, et l’ART l’a ramené à 40 francs. Mais, dans le Minnesota, il est gratuit ! Plus globalement, si l’on compare les tarifs appliqués par France Télécom à ceux qui sont en vigueur dans les autres pays, ils se situaient, avant l’intervention de l’ART, dans le quatrième quintile. Aujourd’hui, ils sont dans le troisième quintile.Vous êtes un ancien de France Télécom. Pensez-vous que les salariés appliquent des consignes destinées à entraver la concurrence ?B.L.T.: France Télécom possède une grande force : ses salariés ont le service public au c?”ur. Mais en passant du public au privé, ils ont gardé une notion du droit de propriété qui date du xixe siècle, sans intégrer une possible limitation due aux exigences de la nécessité publique. Ils pensent que le réseau leur appartient. Mutualiser les infrastructures leur paraît inconcevable : sur certaines artères, il y a de la place ?” je le sais ?”, mais puisque France Télécom ne veut pas partager, il va falloir rouvrir les trottoirs !Depuis le 1er janvier 2001, la loi vous autorise à accéder au réseau local de France Télécom. Vous pouvez donc proposer de l’accès Internet via l’ADSL. En pratique, vous avez du mal. Pourquoi ?Alexandre Archambault, chargé de la réglementation chez Free Telecom : Le diable se cache dans les détails ! Les man?”uvres de France Télécom pour retarder la concurrence sont dissimulées dans des recoins discrets, à savoir les répartiteurs, ces bâtiments qui abritent les armoires où arrivent les fils de cuivre reliant les abonnés au réseau téléphonique. Pour pouvoir proposer aux Français de l’Internet à haut débit via les technologies de type ADSL dans de bonnes conditions, il faut que nos équipements (notamment les DSLAM) puissent être installés, comme on dit dans le métier, ” au cul des répartiteurs “, à savoir à une distance comprise entre 50 et 200 mètres au maximum. Plus vous êtes loin du répartiteur, plus votre débit sera lent. Et alors, où est le problème ?A. A. : D’abord, première galère, il faut se procurer l’adresse précise de ces répartiteurs. Et leur zone d’emprise (à savoir la liste des abonnés qu’ils desservent). Que fait FT ? Il nous envoie des cartes où figurent à peine le nom des rues, format A3, papier difficilement lisible, et depuis peu en format électronique. Le tout au compte-gouttes. Vous imaginez ? Des milliers (plus de 12 000 répartiteurs quadrillent la France) de cartes transmises par courrier ou coursier ? On n’a pas fini…Embûche suivante ?A. A. : Pour des raisons dogmatiques, France Télécom refuse que nous installions nos équipements à côté des siens (il invoque des raisons de sécurité, de responsabilité qui prévaudraient sur le principe de non-discrimination). Cela nous oblige à aller dans ce qu’il appelle des ” salles de cohabitation “, dont la construction est à notre charge : en moyenne 1,2 million de francs, à répartir entre tous les opérateurs intéressés. FT demande huit semaines de délai pour l’étude de faisabilité, une fois que vous lui avez transmis votre demande. Et si c’est OK, le délai de construction de la salle est de quatre mois ! Certains sites avancent bien. Mais une fois qu’on aura pris livraison de la salle, il nous faudra, pour installer les équipements, signer une ” convention d’accès à la boucle locale “. Une par répartiteur. Vous voyez le travail… Nous n’avons à ce jour aucune visibilité sur des modalités techniques et opérationnelles réellement équitables.Une fois les salles construites, il faut les équiper. Et là encore, vous ” raquez ” ? A. A. : Oui. Les modems DSLAM doivent être placés dans ce qu’on appelle des ” baies “, des sortes de grandes armoires. FT facture des frais techniques pour l’attribution de ces baies : 22 000 francs par emplacement (cher pour tracer un trait de craie par terre…). Et, ce sera 5 000 francs si on veut enlever l’armoire (chère la manutention…). À cela s’ajoute la redevance annuelle : 10 000 francs pour une baie à Paris, 2 600 en zone rurale.Les opérateurs concurrents veulent proposer aux Français de l’accès Internet via ADSL, mais, pour cela, ils doivent installer leur matériel dans les centraux de France Télécom. Et là, vous bloquez en ne leur transmettant pas les informations nécessaires…Marc Fossier, directeur des relations extérieures de France Télécom et directeur de la branche Services fixes grand public : C’est inexact. Le décret du 12 septembre 2000 qui instaurait le dégroupage demandait à FT de mettre à disposition des opérateurs tiers l’adresse des répartiteurs et les clients qu’ils desservent. France Télécom communique déjà ces informations aux opérateurs. Elles sont les seules nécessaires et suffisantes pour permettre l’exercice d’une concurrence saine et loyale. Et les frais d’installation ? Les opérateurs tiers disent que vos tarifs sont prohibitifs…M. F. : Ils exagèrent. Avec ceux qui connaissent, grâce à leur expérience à l’étranger, les multiples difficultés techniques liées aux circonstances particulières du bâtiment (climatisation, énergie, etc.), tout se passe bien. Mais d’autres, pas toujours ” pro “, demandent que leurs salariés ou leurs sous-traitants aient accès vingt-quatre heures sur vingt-quatre aux répartiteurs. Nous avons donc été amenés à nous prémunir contre une utilisation excessive de nos locaux et à prévoir un ” droit de visite ” tarifé à son coût réel. Au bout du compte, concrètement, en juillet, une dizaine de salles seront prêtes à Paris pour accueillir des opérateurs tiers qui ont accepté notre devis.Les boutiques France Télécom qui ne vendent que des packs Wanadoo et pas ceux des concurrents, c’est normal ?M. F. : Oui. Pour deux raisons. Nous avons 600 points de vente en France. Ne dites pas que ce réseau est essentiel à une entreprise pour distribuer ses produits en regard des milliers de points de distribution existant en France et facilement accessibles ! Par ailleurs, sur le plan commercial, convenez que ce serait une bêtise, pour un fournisseur d’accès, de vouloir limiter la vente de ses produits dans les boutiques de France Télécom, un concurrent ! Au début de la téléphonie mobile, on nous avait reproché aussi de ne pas vendre les forfaits SFR ou Bouygues. Aujourd’hui, plus personne n’en parle.Et pourquoi les consommateurs français ne peuvent-ils pas bénéficier d’un forfait d’accès illimité à Internet pour 100 francs par mois ?M. F. : Il y a d’abord une contrainte technique. Le réseau téléphonique sur lequel se connecte l’internaute est surtout fait pour transporter de la voix, pas des données en flux continu. Imaginez une poignée d’internautes qui jouent en ligne : vous auriez, d’un coup, des milliers d’abonnés qui ne pourraient plus téléphoner. France Télécom se doit d’assurer une qualité de service irréprochable à tous les utilisateurs.
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