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Forfait : les SSII acceptent l’intervention d’un arbitre pour prévenir les litiges

Les litiges empoisonnent les relations entre clients et prestataires de services lors des contrats au forfait. 01 Informatique et LCA, cabinet d’experts en informatique spécialisé dans la gestion de la sous-traitance, ont réuni autour d’une table quelques-uns des principaux protagonistes. Résultat : ils sont prêts à s’entendre sur quelques mesures clés.

Directeurs des systèmes d’information, SSII et experts sont unanimes : les développements forfaitaires se complexifient et se déroulent dans des environnements mouvants et évolutifs. Du coup, clients et prestataires peinent à faire évoluer le projet dans son contexte d’origine, et les litiges se multiplient. Autour d’une table, les protagonistes ont tenté de cerner les causes de ces conflits et, surtout, les moyens de les prévenir.Les projets de développement forfaitaires sont-ils par nature conflictuels ?Jean-Raymond Lemaire : Il est certain qu’ils portent en eux les germes de conflits dans certaines situations types. La mise en ?”uvre de progiciels intégrés, par exemple, est difficile à lancer et à mettre en exploitation, car les phases transitoires sont extrêmement lourdes. Trop souvent aussi, le changement qu’induit le nouveau système n’est pas assumé. Il faut beaucoup de courage pour le mener. Et c’est parfois hors de portée des entreprises. Mais les solutions spécifiques elles aussi génèrent souvent des litiges lors de la phase d’expression des besoins. Et il est généralement difficile d’en valider ou d’en faire valider les spécifications. De même pour les recettes, point de passage obligé de la mise en exploitation.Hervé Quéré : Certes, la mise en place de stratégies de recette avec une couverture exhaustive est particulièrement fastidieuse. Néanmoins, elle constitue un facteur de réussite pour la livraison d’un produit de qualité. On exige du zéro défaut pour faire décoller un avion. Alors, pourquoi pas le demander lorsqu’on met en production un logiciel ? Dans mes forfaits, je réclame le zéro erreur bloquante. Sinon, il n’y a pas de signature de PV de recette.N’est-il pas possible, tout au moins, de limiter la portée de ces conflits ?Philippe Moressée : Il faut, en effet, rester raisonnable sur ce que l’on va mettre au forfait. Je ne crois plus aux projets d’intégration énormes, de dizaines de milliers de jours, en externalisation complète au forfait. Ce n’est pas raisonnable ?” pas plus que les forfaits de tout petits lots d’une dizaine de jours. Reste donc à déterminer quel niveau de maillage permet d’éviter les évolutions de périmètre. Globalement, le lot est raisonnable lorsqu’il s’étend sur une durée d’environ six à dix-huit mois au maximum. Au-delà, les environnements évoluent trop, et les interlocuteurs changent. Il est alors difficile de maintenir une logique d’ensemble.Hervé Quéré : Notre principe de base est, pour notre part, le copilotage. Nous ne laissons pas les clés au prestataire, et nous exigeons du courage de part et d’autre. Cependant, on observe toujours une évolution de périmètre. Je pense que l’on devrait intégrer dès le départ cet aspect de contingence financière : lorsqu’on négocie un budget, il faudrait se donner une petite marge de man?”uvre dès le commencement pour pouvoir vivre sereinement ensuite.L’évolution du périmètre du projet ?” et donc de sa durée ?” est-elle la principale cause de mésentente ?Philippe Moressée : Pas forcément, car la plupart des difficultés qui conduisent à un point de rupture sont liées à une incompréhension au démarrage, suivie d’une montée de tension progressive entre les deux parties. Nous avons eu, par exemple, quelques litiges résolus à l’amiable sur un projet de cinq ans. Pour nous, cela a été un succès. Mais, par contre, le chemin a été trop long. Sur un forfait de cette dimension, l’inadéquation de départ aurait mené au litige si nous avions continué de nous enferrer dans la logique initiale, qui consistait à confier à un prestataire externe non seulement la technique, mais aussi les clefs de la maison.Loïc Jan : Mieux vaut effectivement résoudre les conflits à l’amiable, car les contentieux informatiques coûtent horriblement cher ! J’ai actuellement un litige avec une PME, qui réclame 2,5 millions d’euros. Depuis un an et demi, nous travaillons en moyenne deux jours par mois sur le dossier. L’expert judiciaire demande 200 000 euros, mon expert conseil en réclame 150 000, et l’avocat 400 000, sans compter le temps passé en interne chez mon client SSII. Il en est de même pour l’adversaire, sans oublier l’éditeur. Si l’on fait la somme des trois, on marche sur la tête ! Au bout d’un an et demi, mon adversaire me demande d’arrêter.Faute de pouvoir en éliminer les causes, ne vaut-il pas mieux essayer de résoudre les litiges au fil de l’eau ?Philippe Moressée : De toute façon, en effet, le périmètre de fin d’un projet sera rarement le même que celui de départ, car l’environnement change. Il faut donc être capable de regarder ces évolutions en face. L’intervention d’un médiateur permet de surveiller en permanence ce qui est en train de changer dans la relation partenariale pour pouvoir la gérer au quotidien. Si on s’y attelle six mois après, c’est trop tard.Didier Renard : Je pense qu’il faut effectivement prévoir une médiation continue, assurée par une tierce partie, et dont la rémunération serait prévue dès le départ. Ce médiateur aurait ainsi pour rôle de s’assurer que les livrables sont bien là au bon moment, que c’est bien le bon comité de pilotage, la bonne documentation, etc., et qu’il n’y a pas de dérive par rapport au contrat que l’on a signé.Sara El Achkar : Certes, mais il faut se méfier : on peut définir des livrables formels, et tout semble se dérouler correctement. Et puis, finalement, le projet ne répond pas du tout au métier. Ce qui compte, c’est de définir les résultats intermédiaires dans le cadre d’une trajectoire de changement qui permettra à chacun de se sentir dans un climat de confiance et de visibilité.Dans quelles conditions ce médiateur interviendrait-il ?Didier Coffin : Les délais s’allongeant, les conditions et les objectifs initiaux ne sont plus les mêmes, et les solutions retenues ne sont plus adaptées. Nous proposons donc de prévoir, dès le lancement du projet, la façon dont on va gérer ces ajustements. Je retiens l’idée de l’intervention d’un médiateur. Il s’agirait d’une deuxième catégorie d’interlocuteur, qui ne soit pas seulement commercial, mais aussi capable de surveiller, dans la cadre d’une relation constructive et permanente, que le contrat est toujours en adéquation avec les enjeux du client. Par contre, il est impératif que ce médiateur externe soit le client des deux parties ?” client et prestataire.Henri Desormeaux : Parfaitement d’accord ! Nous pouvons, dans certains cas, envisager également de dresser un bilan factuel de fin de projet pour dresser la liste de ce qui a marché ou non des deux côtés. A la fin d’un projet SAP, une grande entreprise publique avait ainsi mandaté une autre SSII pour faire un bilan sur la façon dont le projet s’était déroulé, tant du côté du prestataire que de la maîtrise d’ouvrage. Cette approche est très intéressante, et la prestation n’est pas cher payée pour les améliorations qu’elle permet d’apporter à l’avenir !Jean-Raymond Lemaire : Certaines SSII acceptent donc l’idée d’un médiateur rémunéré par les deux parties. Voilà une démarche très importante. Car l’intervention d’un tiers n’ayant aucun intérêt à ce que la crise dure constitue souvent une bonne solution.Philippe Moressée : Un médiateur payé au forfait, alors !

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Corinne Zerbib et Olivier Discazeaux