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Fonds secrets : nous auss-i !

De start-up en holdings, journal de bord d’un cadre de la nouvelle économie. Il se confie sous pseudo pour parler?” et parfois crier ?” plus librement…

Nous avons tous une bien belle âme. Quand nos rois républicains plongent leurs doigts crochus dans la cagnotte secrète, nous poussons de hauts cris démocratiques, et vilipendons derechef cette vile pratique. C’est que nous sommes pour la transparence et l’égalité, nous autres citoyens : à bas les privilèges, et coupez-moi la tête à tous ces magouilleurs. Ah, mais ! Quand le député Alain Tourret ?” qui est à la suppression des fonds secrets ce que Montebourg est à la saisine de la Haute Cour pour Jacquou-le-Croqueur ?” monte à la tribune de l’Assemblée pour pousser un coup de gueule, nous l’applaudissons de tout c?”ur, que nous portions cet organe à droite ou à gauche. Le seul problème, c’est que dès qu’un pot de confiture passe à notre portée, nous y plongeons les doigts. Nous tous, sans exception.Regardez Armand, le PDG de notre filiale bretonne. Il a beau ne pas présider la République, mais une principauté de start-up rennaises, lui aussi voyage à tout va, et plutôt à Tizi-Ouzou qu’à Pleumeur-Bodou. Apparemment, pas de quoi lui coller le juge Van Ruymbecke aux fesses. Après tout, il a bien convaincu notre big boss, Roland, de se lancer dans la création de websites touristiques, un des rares secteurs rentables du net. Il est donc normal qu’il aille visser quelques boulons sur le terrain. À un détail près : les suites dans les quatre étoiles, les virées en hélico dans la lagune, et les week-ends à deux au Gritti de Venise, je n’appelle pas ça visser les boulons. ça relève plutôt de la perceuse ! Le coffre du groupe n’y résistera pas. Nos fonds secrets à nous, ce sont les ” frais de représentation “. Roland, très soucieux de notre image, tient à ce que nous fassions bonne figure à l’extérieur. Les investisseurs ne prêtant plus qu’aux riches, on doit se mettre un diamant dans le nombril pour que notre danse du ventre excite au maximum la libido de ces messieurs.À vrai dire, c’est surtout à lui-même qu’avait pensé Roland en instituant cette fastueuse liste civile. Mais ce rat d’Armand, sortant habilement d’une période de disgrâce, s’est peu à peu débrouillé pour devenir le Mazarin de notre i-monarque, confisquant la clé du coffre à notre directeur financier, puis le faisant virer pour d’imaginaires magouilles, avant de se sucrer lui-même jusqu’au diabète ! Au fait, qu’ont-ils de secret, nos fonds ? Tout, puisque si les notes de frais du cadre lambda sont passées dix fois au scanner, celles des dignitaires du groupe sont épluchées au chewing-gum par les deux sbires de Roland, alias Louis Braille et Ray Charles ! Tout ça se terminera mal, évidemment.En attendant, ces frais de représentation, comme les fonds secrets pour d’autres, servent de paravent à des trucages plus graves, comme ceux des marchés publics d’Île-de-France pour qui-vous-savez. Le train de vie d’Armand ne vient qu’en partie des frais, j’en suis certain. Un de nos trois concurrents doit lui graisser la patte pour que ce rat fasse la taupe chez nous. Accusation gratuite ? Pour le moment, oui. Mais bientôt, j’aurais assez de preuves pour le faire virer. Quoi, ce ne serait pas la morale qui m’anime ? Je ne ferais ça que pour lui piquer sa place ? Vraiment, je vous trouve vexants…

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La rédaction