Telle une girouette, Facebook se replace dans le vent. L’hypothèse d’un coronavirus conçu en laboratoire, longtemps interdite sur le réseau social, est soudainement devenue recevable.
Cette volte-face souligne le difficile travail d’équilibriste entrepris par le géant des réseaux sociaux, pris à son propre piège.
« À la lumière des investigations en cours sur les origines du Covid-19 et en consultation avec les experts de la santé, nous ne retirerons désormais plus de nos plates-formes les allégations sur le fait que le Covid-19 a été créé par l’homme ou a été fabriqué », a indiqué mercredi le groupe californien sur son site.
Quelques heures auparavant, le président des États-Unis Joe Biden avait appelé les services de renseignements américains à « redoubler d’efforts » pour expliquer l’origine de la pandémie.
Longtemps rejetée par la plupart des experts, la théorie d’un accident de laboratoire à Wuhan, en Chine, est revenue en force ces dernières semaines dans le débat américain. Des scientifiques appellent à ne pas exclure cette possibilité.
« De la difficulté d’arbitrer la vérité sur un réseau social, exemple numéro 11.735 : si vous aviez écrit il y a quelques jours que le Covid a fuité d’un labo, vous pouviez être viré de Facebook. Aujourd’hui ? Aucun problème », a ironisé sur Twitter Mathew Ingram, un spécialiste des médias numériques pour la Columbia Journalism Review.
Quelles limites pour la liberté d’expression ?
Facebook — fréquenté par environ deux milliards de personnes — et son application Instagram (un milliard d’utilisateurs) interdisaient jusqu’à présent cette théorie, au même titre que les allégations sur la prétendue inefficacité des vaccins ou sur leur caractère soi-disant toxique et dangereux. Son rétropédalage n’est pas passé inaperçu, surtout après des mois de tensions autour des limites de la liberté d’expression sur les plates-formes.
Mark Zuckerberg, le patron du groupe, répète régulièrement que son réseau n’a pas vocation à être un « arbitre de la vérité ». Mais sa propre politique de modération des contenus le place dans une situation compliquée, entre respect de la liberté d’expression (au nom de ses propres valeurs) et nécessité économique et politique d’assainir des échanges facilement pollués par le harcèlement, les fausses rumeurs et les théories du complot.
Censure ou désinformation
La plate-forme explique continuer à « travailler avec les experts pour suivre l’évolution de la nature de la pandémie » et mettre régulièrement à jour ses politiques « à mesure que de nouveaux faits apparaissent ».
« C’était la bonne chose à faire », estime Rebekah Tromble, professeure de la George Washington University. « Les organisations responsables (…) prennent des décisions en fonction des meilleures infos disponibles, mais restent ouvertes à la possibilité de changer leur évaluation quand de nouveaux éléments surgissent ».
Le changement de pied de Facebook sera certainement retenu contre lui par de nombreux élus politiques, inquiets de l’immense pouvoir détenu par le groupe sur le débat public et les grands rendez-vous démocratiques. Les Démocrates lui reprochent de contribuer largement à la propagation de la désinformation, notamment sur la pandémie. Les Républicains, eux, se considèrent censurés.
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Les voix conservatrices et des partisans de l’ancien président américain Donald Trump, qui pointent du doigt la Chine depuis le début de la crise sanitaire, s’en sont donc donné à cœur joie.
« Ouah ! Mais ils ont supprimé cette histoire pendant un an en diffamant Trump et les républicains au motif d’une théorie du complot, en mettant sur liste noire la presse conservatrice et en nous bannissant », a ainsi tweeté la blogueuse Kelly Sadler, ancienne conseillère de l’ex-chef d’État.
Une position intenable
Pour trier le bon grain de l’ivraie, Facebook a recours à son programme de vérification des faits par des médias tiers, auquel participe l’AFP. En septembre dernier, un article de Politifact mentionnait que les autorités sanitaires mondiales avaient « dit à de multiples reprises que le coronavirus n’était pas issu d’un laboratoire ».
Mais le site a reconnu début mai que cette affirmation faisait l’objet d’un débat. « Il est possible qu’il y ait un retour de bâton contre la modération dure », a réagi sur Twitter Evelyn Douek, chercheuse de Harvard spécialisée dans la régulation des contenus.
« Quand la pandémie a commencé, beaucoup d’arguments soutenaient l’idée que les plates-formes soient aussi intransigeantes avec la désinformation en général qu’avec les fausses informations sur la santé. C’était simpliste et c’est devenu intenable ».
Twitter et YouTube n’ont pas changé leurs règlements. YouTube autorise les différentes théories sur l’origine du virus, car « il n’y a pas de consensus sur ce sujet », a indiqué une porte-parole de la plate-forme.
Elle a rappelé que le service de vidéos de Google surveille néanmoins les théories conspirationnistes liées à la pandémie, notamment celles à caractère raciste.
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