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Fiasco FTX : les victimes vont-elles vraiment récupérer leurs cryptomonnaies ?

Plusieurs mois après l’effondrement de FTX, une partie des fonds détournés par Sam Bankman-Fried a été retrouvée par les tribunaux. Malgré cette nouvelle réjouissante, on redoute que les utilisateurs ne récupèrent qu’une infime portion des cryptomonnaies perdues. On vous explique pourquoi.

Fin 2022, la plate-forme FTX s’est brusquement effondrée. Dans sa chute, l’exchange américain a englouti entre 10 et 15 milliards de dollarsPlus d’un million d’investisseurs ont perdu de l’argent dans la débâcle de la plate-forme numéro deux de l’industrie. Ces particuliers ou entreprises avaient déposé leurs fonds sur FTX pour profiter de rendements élevés, réaliser des conversions ou encore pour faire du trading.

Une partie des fonds a été consumée par les investissements et les malversations présumées de Sam Bankman-Fried, fondateur de FTX, et de ses proches. Le milliardaire a par exemple dilapidé des sommes colossales pour acheter des propriétés immobilières luxueuses ou financer les opérations de trading téméraires d’Alameda Research, la société sœur de FTX.

À lire aussi : après la catastrophe FTX, que nous réserve la crypto en 2023 ?

Une lueur d’espoir pour la clientèle ?

Sous la protection de la loi américaine des faillites, FTX a été placé sous le contrôle des tribunaux. Ceux-ci ont rapidement chargé John Ray III, un célèbre avocat spécialisé dans les procédures de faillite, de récupérer l’argent des créanciers. Avec l’aide d’une équipe d’experts, il s’est alors mis à éplucher les comptes bancaires et les adresses blockchain de FTX à la recherche de liquidités.

La tâche est loin d’être aisée. En effet, l’empire FTX s’est caractérisé par un manque d’organisation sidérant pour une entreprise de cette taille. Tout en brassant des milliards de dollars tous les jours, FTX n’avait par exemple pas mis sur pied de service de comptabilité.

« Jamais dans ma carrière, je n’ai vu un échec aussi complet des mécanismes de contrôle d’une entreprise et une absence aussi flagrante d’informations financières fiables », s’étonnait d’ailleurs John Ray III peu après la prise de contrôle du groupe.

De plus, il n’existait pas de répertoire de tous les comptes et adresses de l’entreprise. Les fonds propres, mélangés avec ceux de la clientèle, étaient conservés sur une multitude de comptes, d’adresses et de protocoles. Seule une poignée de dirigeants avaient accès à ces informations, éparpillées un peu partout dans les données de l’entreprise. Bref, c’était le chaos.

Dans un premier temps, il fût donc très compliqué de se faire une idée des sommes détenues par le groupe. Malgré les obstacles, les avocats ont pu retrouver plus de 5 milliards de dollars dans les comptes et les portefeuilles numériques de la firme. Il s’agit uniquement des actifs considérés comme liquides, qui peuvent être facilement retirés. Apparemment, des actifs illiquides, impossibles à retirer sans provoquer l’effondrement du cours d’un token, ont également été dénichés. Pour réunir les fonds, les juristes ont épluché plus de 30 téraoctets de données durant des semaines pour arriver à ce résultat. Ils ont été assistés par une équipe médico-légale sur ordre du bureau du procureur de Manhattan.

« Nous réalisons des progrès importants dans nos efforts pour maximiser les recouvrements, et il a fallu un effort d’enquête herculéen de notre équipe pour découvrir ces informations préliminaires », déclare l’actuel PDG de FTX.

En parallèle, l’équipe menée par John Ray III s’est lancée dans la récupération de toutes les donations décrétées par Sam Bankman-Fried. L’ancien milliardaire s’était en effet forgé une image de philanthrope et de bienfaiteur en multipliant les dons, en partie à des organisations politiques. Le fondateur de FTX avait notamment offert plus de 5 millions de dollars à Joe Biden pour financer sa campagne contre Donald Trump. Lors des élections de mi-mandat ayant eu lieu en novembre, l’entrepreneur s’imposait même comme le 6ᵉ plus généreux donateur, tous partis confondus.

Dans le cadre de la faillite, la nouvelle direction de FTX a réclamé le remboursement des donations aux organismes concernés. Certains des politiciens se sont immédiatement engagés à rendre les fonds dans les plus brefs délais, pour éviter un scandale. C’est le cas de plusieurs groupes politiques démocrates américains. Sous la houlette du Comité national démocrate, 815 000 dollars de contributions, encaissées depuis 2020, seront reversés dans un avenir proche.

D’autres se montrent plus récalcitrants, regrettent les avocats de FTX. Pour leur forcer la main, ils ont menacé de saisir les tribunaux. Les politiciens concernés, dont l’identité est restée inconnue, ont jusqu’au 28 février 2023 pour rendre les fonds. Si ceux-ci continuent de faire la sourde oreille, la nouvelle direction de FTX va « intenter des actions devant le tribunal des faillites pour exiger le retour de ces paiements, avec les intérêts qui s’y rapportent ».

Dans la même optique, les avocats ont dressé un répertoire des nombreuses propriétés immobilières de Sam Bankman-Fried achetées avec l’argent de FTX. On y trouve notamment des villas de luxe aux Bahamas, destinées à ses proches ou certains cadres. Ces biens vont être vendus par les tribunaux afin de rembourser les créanciers.

La justice américaine va par ailleurs céder une partie des innombrables filiales de l’empire FTX. Démesurément ambitieux, Sam Bankman-Fried avait en effet racheté une foule de petites entreprises avec l’argent de ses clients. La vente des sociétés LedgerX, Embed, FTX Europe et FTX Japan a déjà été approuvée par les tribunaux américains. Plus de 117 acheteurs potentiels se sont déjà manifestés.

Un long et coûteux processus

En dépit de cette lueur d’espoir inattendue, les clients de FTX vont encore devoir s’armer de patience. Il est fort probable que la procédure de faillite, diligentée par les tribunaux américains, n’aboutisse pas avant des années. Le processus devrait engendrer d’importants frais, surtout à cause des nombreux avocats impliqués. Les juristes de l’équipe de John Ray III seront en effet rémunérés en puisant dans la trésorerie restante de FTX.

On notera d’ailleurs que les honoraires de ceux-ci sont particulièrement élevés. Une partie des avocats du cabinet Sullivan & Cromwell, en charge de creuser dans les comptes de FTX, sont rémunérés 2 000 dollars de l’heure. Comme l’a expliqué John Ray III, il s’est vu contraint d’engager de grands experts dont les honoraires sont élevés pour venir à bout de la tâche. D’après des documents judiciaires, John Ray III a personnellement déjà facturé 690 000 dollars à FTX depuis sa prise de fonction le 11 novembre 2022. Le célèbre juriste, fort de 40 ans d’expérience, perçoit 1 300 dollars par heure de travail.

La procédure devrait inévitablement consumer une grande partie des ressources restantes. Plus les recherchent se prolongent, plus la trésorerie de FTX va s’amenuiser. Finalement, les utilisateurs de FTX, ruinés dans la débâcle de l’exchange, risquent de ne pas pouvoir récupérer l’entièreté de leur mise. D’après la banque d’investissement Jefferie, les victimes de FTX pourraient ne percevoir qu’entre 20 % et 40 % de leurs pertes initiales.

Pour maximiser les montants reversés aux victimes, John Ray III n’exclut pas de relancer les activités de l’exchange. Selon lui, la plate-forme a toujours du potentiel. Il serait théoriquement possible d’amasser plus d’argent en relançant les services de FTX plutôt qu’en vendant l’intégralité de ses actifs. Cette perspective est toujours en discussion, souligne l’avocat.

Une situation loin d’être inédite

Le marasme judiciaire dans lequel se trouve FTX rappelle celui de Mt.Gox. La plate-forme d’échange, dont la faillite remonte à 2014, a perdu 750 000 bitcoins lors d’un piratage. Après des années de procédure, les créanciers ont récemment pu déposer une demande de remboursement des fonds perdus. Évidemment, tous les bitcoins volés n’ont pas été retrouvés. La justice n’a récupéré que 146 000 bitcoins. Aux dernières nouvelles, la clientèle ne récupérera finalement qu’entre 10 et 15 % des cryptomonnaies achetées avant le hack. Il aura fallu près de 10 ans d’une procédure juridique très complexe pour parvenir à ce dénouement, plutôt décevant pour les investisseurs lésés.

En ce moment, une procédure analogue se déroule autour des plates-formes Celsius et BlockFi. Placées sous la protection du chapitre 11 de la loi américaine, les sociétés sont actuellement en train de rassembler les fonds afin de rembourser les créanciers. Là encore, on peut craindre qu’il ne reste plus grand-chose au bout de l’opération…

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Florian Bayard
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