Cette année, le Barreau de Paris a décidé de participer à la fête de l’Internet. Jeudi 22 mars, de 9 à 19 heures, une équipe de 12 avocats spécialisés dans les nouvelles technologies répondra bénévolement aux interrogations du public. Pour cela, il faudra simplement appeler au 01 44 32 47 24. Cette initiative du bâtonnier est destinée à sensibiliser les internautes aux questions qui font débat actuellement comme le téléchargement illégal, le droit à l’oubli, l’utilisation des images ou le piratage des données bancaires.
Pour l’occasion, Christiane Féral-Schuhl, bâtonnier de Paris, nous a reçus pour aborder quelques points sur la législation liée aux nouvelles technologies. Cette avocate élue pour présider le Barrreau de Paris est spécialisée dans ces questions depuis trente ans. Elle est aussi l’auteur de Cyberdroit, le droit à l’épreuve de l’Internet, aux Editions Dalloz, dont il existe une version en ligne. En effet, si l’on évoque souvent les aspects politique, philosophique ou sociétal du Web, le droit y défend sa place.
01net : quelle est la place de l’individu sur le Web ? Y a-t-il une définition juridique de l’internaute ?
Christiane Féral-Schuhl : je ne pense pas. Le qualificatif désigne tout citoyen qui se connecte. L’internaute est le dénominateur le plus commun pour désigner la personne peu importe sa profession ou son âge. D’ailleurs, je ne vois pas pourquoi on aurait besoin de le qualifier. C’est un dénominateur qui est au-dessus de qualificatifs comme citoyen. C’est l’accès à Internet qui qualifie l’internaute.
Il y a pourtant des groupes sur le Web qui estiment qu’Internet pourrait être hors des frontières terrestres.
Je ne partage pas cet avis parce que cette conception tend à s’affranchir des frontières et du droit. Et les individus qui prônent cela, lorsqu’ils subissent une atteinte à leur e-réputation ou une attaque de cybercriminels, sont les premiers à venir rechercher la protection du droit. On ne peut pas s’affranchir des règles du droit et en même temps demander sa protection. Et puis cela voudrait dire que le cyberespace est une zone de non-droit. C’est un débat utopiste, inconscient et déconnecté de toutes réalités.
Sur le Web, il est souvent question de règles, de charte ou d’usage. Quel place y tient le droit ?
Il est omniprésent. Les technologies ont souvent conduit à se poser la question de savoir si la loi était adaptée ou non. Il y a un exemple qui a conduit à la loi Hadopi. Lorsque le problème du peer to peer et du téléchargement s’est posé, la question était de savoir si le fait de télécharger était un fait de copie. La réponse est oui ! Ensuite, est-ce un acte de copie licite prévu par l’exception de copie privée ? En effet, il y a une exception dans notre code qui existe depuis longtemps. Mais, quand vous analysez ce texte, vous découvrez qu’il est né dans un monde analogique qui faisait un distinguo entre la copie et l’original.
Avec le numérique, la notion de copie a évolué vers le clonage. L’exception de copier existe toujours puisque je peux copier pour mon usage propre. Ce qui est interdit, c’est de communiquer au public cette copie. Là-dessus, le droit est clair. J’ai le droit de copier pour un usage privé, mais en communiquant les fichiers copiés au public, je sors de cette exception. La logique du droit s’applique donc sans difficulté. Ceux qui revendiquent la possibilité de télécharger et de s’affranchir de tout paiement ne sont pas ceux qui ont investi.
Parce que la plupart n’ont pas encore atteint la majorité…
Je comprends le raisonnement de l’adolescent qui demande « pourquoi acheter quand tout est disponible gratuitement en ligne ? » La réponse est que le droit est là et qu’il s’applique.
Pourtant, l’affaire Megaupload a dévoilé que pendant plusieurs années, cette entreprise a fonctionné au vu et au su de toute la planète.
Vous avez raison, mais au final c’est le droit qui l’a emporté. A chaque fois que les technologies progressent, il y a une réflexion qui demande si le droit est adapté ou pas. Elles remettent en effet en cause une règle de droit, mais la loi apporte la bonne réponse. Lorsque la loi Hadopi est sortie, elle n’était pas adaptée au streaming, elle ne s’appliquait que sur le téléchargement. Vous voyez que c’est déjà dépassé. C’est le risque de toutes ces lois.
Mais lorsque vous revenez à l’exception de copies privées, vous constatez que le texte, lui, a résisté. L’acte qui consiste à télécharger, copier, conserver, puis rediffuser se compose de séquences qui, si elles ne sont pas toutes illicites, mettent l’individu en infraction. Le téléchargement n’est possible qu’avec l’accord des ayants droit.
Soumis à un processus législatif long, comment le droit français s’adapte à l’évolution fulgurante des nouvelles technologies ?
Vous pointez du doigt, une vraie préoccupation. Nous sommes noyés par la masse des textes qui sortent, dont certains ne tiennent pas compte de ceux qui existent déjà. Sur ce point, les avocats du Barreau de Paris lancent une consultation à l’occasion de la présidentielle dans le cadre d’une approche de démocratie participative. L’une des questions posées rejoint parfaitement votre préoccupation. Il s’agit de proposer de supprimer deux lois lorsqu’on en sort une nouvelle.
Le droit français peut-il répondre seul ou ne faudrait-il pas qu’en matière d’Internet, il devienne international ?
S’il y a une approche générale, vous allez rencontrer d’autres difficultés. Déjà, chaque pays a sa propre interprétation de ce qui est licite ou pas. C’est le cas par exemple pour la publicité sur les alcools. Elle va peut-être diverger un peu entre la France et la Grande-Bretagne. Mais, dans des pays musulmans, ces publicités seraient interdites. Une entreprise qui diffuse légalement depuis la France une publicité de ce type pourrait donc être condamnée par un autre pays parce que cette publicité peut y être vue et lue alors qu’elle y est interdite. Difficile alors de parler d’un droit international. C’est ce qui se passe pour les serveurs localisés hors des frontières d’un Etat et diffusant des informations illicites dans cet Etat.
Par contre, sur des sujets pénaux comme la pédopornographie, il y a une alliance internationale. Mais, la violence faite aux femmes n’est pas appréhendée de la même façon dans certains pays. Comment alors légiférer mondialement ? La question reste posée.
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