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Faut-il interdire les nombres premiers ?

La protection des droits d’auteur justifie tous les délires. Dernier épisode en date : un mathématicien a découvert un nombre premier répréhensible aux yeux de la loi.

Ubu sur techno ! Savez-vous que le nombre ” 493 108 359 702 850 190 027 577 767 239 076 495 728 490 777 215 020 863 208 075 018 409 792 627 885 097 658 864 557 802 013 660 073 286 795 447 341 128 317 353 678 312 015 575 359 819 785 450 548 115 719 393 458 773 300 380 099 326 195 058 764 525 023 820 408 110 189 885 042 615 176 579 941 704 250 889 037 029 119 015 870 030 479 43 282 607 382 146 954 157 033 022 798 755 768 189 560 162 403 006 411 151 690 087 287 983 819 425 827 167 456 477 481 668 434 792 846 458 092 913 153 186 007 001 004 335 318 936 319 343 912 948 604 450 370 991 980 047 709 462 921 558 180 711 169 153 031 876 288 477 878 354 157 593 289 109 329 544 735 088 188 246 549 506 000 501 900 627 470 530 538 116 427 829 426 747 485 349 652 574 536 815 117 065 502 819 055 526 562 213 531 463 104 210 086 628 679 711 444 670 636 692 198 258 615 811 125 155 565 048 134 207 686 732 340 765 505 485 910 826 956 266 693 066 236 799 702 104 812 396 562 518 006 818 323 653 959 348 395 675 357 557 532 461 902 348 106 470 098 775 302 795 618 689 292 538 069 330 520 423 814 996 994 545 694 577 413 833 568 990 600 587 083 218 127 048 611 336 820 265 159 051 663 518 740 290 181 976 939 376 778 529 287 221 095 504 129 257 925 738 186 605 845 015 055 250 274 994 771 883 129 310 457 698 090 915 304 613 359 419 030 258 813 205 932 277 444 385 255 046 677 902 451 869 706 262 778 889 197 958 042 306 575 061 566 983 469 561 779 787 965 920 164 405 193 996 071 698 111 261 519 561 027 628 323 398 257 914 233 217 269 614 437 443 810 564 855 293 488 763 492 103 098 870 287 874 532 331 325 321 226 786 332 837 027 925 099 749 969 488 775 936 915 917 644 588 032 718 384 740 235 933 020 374 888 506 755 706 587 919 461 134 193 230 781 485 443 645 437 511 320 709 860 639 074 641 756 412 163 504 238 800 296 780 855 867 037 038 750 941 076 982 118 376 549 920 520 436 825 585 464 228 850 242 996 332 268 536 912 464 855 000 755 916 640 247 292 407 164 507 253 196 744 999 529 448 434 741 902 107 729 606 820 558 130 923 626 837 987 951 966 199 798 285 525 887 161 096 136 561 780 745 661 592 488 660 889 816 456 854 172 136 292 084 665 627 913 147 846 679 155 096 515 431 011 353 858 620 819 687 583 688 359 557 789 391 454 539 356 819 960 988 085 404 765 907 358 972 898 983 425 047 128 918 416 265 878 968 218 538 087 956 279 039 978 629 449 397 605 467 534 821 256 750 121 517 082 737 107 646 270 712 467 532 102 483 678 159 400 087 505 452 543 537 ” est illégal ? Non ? Malheureux que vous êtes !Méfiez-vous si dans un moment d’abandon à la pure valeur poétique des grands nombres, il vous venait à l’esprit de le chantonner dans la rue (et à supposer que vous ayez une mémoire modèle Jumbo l’éléphant), vous risqueriez de contrevenir à la loi américaine.N’en faites pas non plus le nom de votre robot préféré (je vous conseille dans ce cas de lui trouver un surnom type Sultan ou R2D2, pour plus de simplicité). Ni celui de votre société. C’est interdit on vous dit. Faites comme s’il n’existait pas.Pourtant, c’est un assez beau nombre. Il est premier. Ce qui ajoute encore à son charme. D’ailleurs, il existe des clubs, assez fermés il faut le reconnaître, d’amateurs de nombres premiers. Eh bien, ce sont des nids de brigands. Et la justice sera impitoyable.Vous n’en croyez rien, et pourtant… J’avais déjà eu l’occasion de vous parler de DeCSS dans une précédente chronique. Ce programme permet de contourner le codage CSS (Contenet Scrambling System) utilisé par les éditeurs pour protéger les DVD et interdire leur copie.Mais le Digital Millenium Copyright Act, une loi américaine destinée à protéger les droits d’auteur, ou ceux des majors, on ne sait pas très bien, considère comme illégal tout programme de décryptage de ce type. D’ailleurs, les inventeurs de DeCSS sont en procès.Or le joli nombre placé quelques lignes plus haut est en fait l’une des expressions possibles d’un fichier exécutable sous Linux, correspondant à DeCSS. C’est la création de Phil Carmody, un mathématicien mordu de nombres premiers et d’informatique.Sa démarche ne manque pas non plus d’intentions artistiques, comme il l’explique sur ses pages. Ça pose un bon million de questions.À qui appartient un nombre premier ? Est-il possible d’en interdire l’emploi et la diffusion ? Les travaux scientifiques doivent-ils recevoir l’aval des entreprises avant publication ? Une telle mesure d’interdiction peut-elle se trouver demain étendue à des formules plus courantes ?Par exemple l’expression ” Passe-moi le sel “ peut-elle devenir scélérate ? Si oui, comment faire pour demander du sel ? De qui se moque-t-on ?Le délire s’accroît à mesure que la logique technologique, qui veut que copier une série de bits soit la chose la plus simple, s’oppose à la logique commerciale de ceux qui veulent par tous les moyens s’arroger les droits de la copie. Et ce n’est que le début…La prochaine menace se nomme Security Systems Standards and Certification Act (SSSCA). Cette proposition de loi déposée par deux sénateurs américains conduirait à considérer comme illégal tout équipement numérique qui ne comporte pas de technologie de gestion des droits numériques (Digital Rights Management). Si cette loi passe, le trafic clandestin de disquettes non marquées risque de connaître un boom sans précédent.NB : Comme vous l’avez remarqué, je place ce nombre entre guillemets pour en faire une mention, une citation. Ce qui est l’occasion de poser une question supplémentaire : est-ce qu’une mention, procédé utilisé au quotidien par énormément de gens ?” dont les chercheurs, les étudiants et les journalistes ?” relève du DMCA ? Est-ce qu’une mention est illégale ?Prochaine chronique le jeudi 27 septembre

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Renaud Bonnet