Dans la Silicon Valley, où j’ai vécu ces dix dernières années, nous étions habitués à voir arriver les cerveaux français en fuite. Le boom économique qu’a connu cette région entre 1995 et 2000 avait en effet créé une situation de pénurie chronique de matière grise qui agissait comme un aimant pour des centaines de milliers d’ingénieurs et techniciens du monde entier, dont quelques milliers de Français.Or, pour la première fois depuis dix ans, les départs sont plus nombreux que les arrivées. L’avenir s’est assombri pour les managers de la région de San Francisco, surtout s’ils n’ont pas eu la chance de vendre leurs actions avant l’e-krach d’avril 2000.Pour ces cadres en rupture de ban, si une opportunité se présentait en Europe dans une société dynamique, il y a fort à parier qu’ils la saisiraient avec enthousiasme.
En France, seul Business Objects forme au management high-tech
Qu’on ne s’y trompe pas : c’est une chance historique pour la France. Une occasion de combler trente années de retard dans la formation des dirigeants spécialisés sur des marchés neufs et hautement concurrentiels. En effet, l’enseignement des grandes écoles ne suffit pas : cette spécialisation s’acquiert d’abord sur le terrain.Il n’existe pas, en France, d’équivalent à ce réservoir de talents managériaux qui s’est développé depuis les années 70 dans la Silicon Valley. Et pour cause : au cours des trois dernières décennies, les diplômés de nos grandes écoles qui n’ont pas émigré aux États-Unis ont naturellement rejoint les rangs des entreprises leaders de secteurs traditionnels, comme la banque, le pétrole, la défense et les grandes administrations. On y apprend presque tout, sauf le management et le marketing des marchés émergents de la haute technologie.Car on ne peut pas connaître l’art du product management sans avoir participé au lancement d’un nouveau produit chez Intel, Microsoft ou Sun. On ne peut pas comprendre la puissance d’une force de vente qui écrase toute concurrence sur son passage si l’on n’a pas travaillé chez Oracle, Siebel Systems ou Cisco.On ne peut pas anticiper et gérer une période d’hypercroissance si on ne l’a pas vécue au bon moment chez Netscape, eBay, Yahoo! ou Ariba. Une seule entreprise française peut à l’heure actuelle apporter ce capital d’expérience : Business Objects, dont les fondateurs sont passés par ” l’école Oracle “. Mais ce n’est évidemment pas assez.Si certaines start-up francaises possèdent incontestablement le savoir-faire technologique qui permet de dominer un nouveau marché au niveau mondial, leur capacité à s’imposer dépendra surtout de l’efficacité de leur équipe de management.Or, pour le moment, leurs chances de constituer localement une équipe dirigeante de classe mondiale sont infimes, et en tout cas largement inférieures à celles de leurs homologues de la Silicon Valley… sauf si elles réussissent à attirer, en nombre suffisant, des expatriés français et européens formés en Californie.
Le retour des cerveaux passe par des décisions politiques
Les v?”ux pieux formulés dans ce sens par le ministre des Finances, Laurent Fabius, ne suffiront pas. En France, le contexte global pour les ” rapatriés ” reste discriminatoire et pénalisant.Les candidats les plus attirés par la mère patrie européenne regardent davantage vers Londres ou Bruxelles que vers Paris. La France aurait donc tout intérêt à s’inspirer des systèmes mis en place dans certains pays pour favoriser le retour des cerveaux.Ainsi, Taïwan, un spécialiste de la sous-traitance, a réussi, dans les années 80, sa transition vers une économie high tech parce qu’il a su ” cibler ” ses milliers de citoyens expatriés aux États-Unis, et essaimés chez IBM, Compaq ou Intel.La recette ? Des avantages fiscaux sur les capitaux rapatriés assortis d’exonérations fiscales. Le gain pour la nation a été considérable, qu’il s’agisse du nombre et de la qualité des emplois générés ou de la création de richesse induite. De grandes entreprises mondiales de semiconducteurs sont nées grâce à ces entrepreneurs prodigues.D’autres pays, tels Israël ou l’Irlande, ont suivi cette voie, avec le même succès. Au moment où Laurent Fabius envisage de prendre des mesures fiscales pour attirer les impatriés (les cadres étrangers résidant en France), qui aura le courage politique de prendre des décisions équivalentes pour faire revenir nos cadres partis à l’étranger ?
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