Hier, 9 avril 2012, Facebook annonçait le plus gros rachat de son histoire en faisant l’acquisition d’Instagram pour 1 milliard de dollars. Un investissement assez vertigineux, qui place officiellement la société dans la catégorie des ténors du Web dotés de moyens considérables. Aussi nous semble-t-il pertinent d’essayer de dresser le portrait, en clair obscur et certes parcellaire, de l’origine de ce réseau social qui compte plus de 845 millions d’utilisateurs.
Une histoire fantasmée
Malgré plusieurs livres et un film consacré à la genèse de Facebook, les origines de la société n’en finissent pas de faire fantasmer la Toile. L’histoire officielle rapporte le coup de génie d’un étudiant qui code un annuaire pour ses congénères de faculté pendant ses études. Les débordements et querelles autour de la paternité de Facebook pourraient faire oublier qu’entre sa création et son accession au statut d’acteur incontournable du Net, la société a bénéficié de l’implication et de l’expertise de la crème des « ventures capitalists » de la Silicon Valley.
Et force est d’admettre qu’au-dessus du berceau de ce qui allait devenir la plus formidable machine à collecter des informations personnelles de l’Histoire, on trouve des fées d’un genre un peu spécial.
Page d’accueil du site Web de Palantir.
Des bonnes fées très spéciales
Facebook, tout comme son créateur, fut choisi parmi de nombreux autres projets concurrents et bénéficia d’une première injection de capital de l’investisseur Peter Thiel. Surnommé « le parrain de la mafia PayPal » par la presse financière américaine, Thiel devint le premier angel investor de la société, lui fournissant les moyens nécessaires à son développement.
Mais au moment de son entrée dans Facebook, Thiel avait déjà un impressionnant parcours derrière lui. Il venait de passer près de trois ans à monter Palantir Technologies (Cf. encadré).
Très actif politiquement, M. Thiel, également membre du désormais célèbre groupe d’influence Bilderberg, fréquente les plus hauts échelons de l’appareil sécuritaire américain, et des personnages comme Michael Chertoff, l’ancien directeur du Department of Home Security est parmi ses relations proches.
Autre venture capitalist hors normes à s’être penché sur le berceau de la startup, Jim Breyer et son fonds d’investissement Accel Partners. Au moment de son entrée dans la danse, Breyer, qui est toujours un membre du conseil d’administration de Facebook, siégeait à celui de la NVCA, pour National Venture Capital Association, une organisation rassemblant des fonds d’investissement spécialisés dans les nouvelles technologies, aux côtés de Gilman Louie, créateur et premier directeur d’In-Q-Tel et d’Anita K. Jones, elle aussi membre du comité d’administration d’In-Q-Tel, et ancienne directrice du DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency), l’agence de recherche avancée de la défense américaine.
Page d’accueil du site Web de In-Q-Tel.
Doutes légitimes
Facebook est ainsi directement ou indirectement lié à plusieurs hauts personnages de l’appareil sécuritaire américain. La plupart des investissements d’In-Q-Tel étant par nature secrets, il est impossible de déterminer avec exactitude les modalités, l’ampleur et les bénéficiaires de ses opérations de financement. Il y a fort à parier que l’organisation utilise, outre ses investissements « déclarés », des montages financiers complexes pour dissimuler la nature de ses opérations, comme tous les services de renseignement de la planète. Certes, cela ne prouve rien, si ce n’est un conflit d’intérêt évident affectant plusieurs mécènes et gros actionnaires de Facebook, entre leur responsabilité envers les usagers du site, et leurs nombreuses activités sécuritaires consistant à prélever et à analyser un maximum d’informations.
Or, l’appétit des hautes sphères de la Défense et de l’appareil de renseignement américain pour l’information et plus de contrôle n’est pas un secret. Difficile d’imaginer que pour les pontes du DARPA et de la NSA, le réseau social n’était qu’une startup comme les autres.
Surveillance 2.0
La révélation de l’existence du « Total Information Awareness Office » avait provoqué un tollé aux États-Unis, forçant le Congrès à lui couper tous crédits financiers en septembre 2003, alors que sa création datait de janvier de la même année. L’objectif de cette agence du DARPA visait à s’assurer « une connaissance complète de l’information » en captant et en mettant en relation tous les flux d’informations électroniques.
Carte des interactions Facebook au niveau mondial en décembre 2010.
Nul ne sait, cependant, si les activités de l’agence se sont poursuivies sous d’autres modalités. Tout juste sait-on que les logiciels développés dans le cadre du TIAO ont été transférés vers d’autres agences, en particulier la NSA, pour National Security Agency. Peut-on dès lors s’étonner que certains mauvais esprits voient en Facebook le successeur ou fils spirituel du TIAO, qui aurait accompli l’exploit d’amener les gens à se ficher eux-mêmes avec le sourire ?
Quoi qu’il en soit, nous n’en aurons probablement jamais le cœur net, si l’on se fie à un récent développement dévoilant la nature des relations entre la NSA et un autre acteur high-tech, Google, hors d’atteinte de toute requête FOIA (Freedom of Information Act, la loi américaine sur la liberté d’information), donc secrètes.
Ecœuré par l’adoption systématique, et non pas d’une approche ciblée ponctuelle, d’un stockage et d’une analyse de tous les flux d’informations, un ancien haut gradé de la NSA affirmait récemment que « les États–Unis sont désormais à deux doigts d’un régime totalitaire ».
Dans ce contexte, et même si Facebook n’a été affecté qu’à la marge par ce monde interlope et farouchement secret, on peut s’interroger sur la pertinence de confier des données personnelles et relationnelles à une telle organisation, dans un monde où les frontières entre services grand public et surveillance peuvent être si floues, mouvantes et perméables. D’autant que cette perméabilité pourrait devenir officielle, se voir légitimer, si la loi Cispa, que viennent de proposer deux élus républicains, devenait réalité.
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