Le 1er mars 2012, en soirée, une poignée de députés présents à l’Assemblée votait la loi n° 2012-287 relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle scellant ainsi le projet du ministère de la Culture et de la Communication initié début 2011.
Son but est de rendre accessible les ouvrages qui tombent dans l’oubli. Son entrée en vigueur a ravivé les inquiétudes de certains collectifs d’auteurs. Pour y voir clair, Guillaume Sauvage, avocat spécialisé dans le droit de la propriété intellectuelle et des NTIC, a accepté de répondre à nos questions.
01net. : en quelques mots, que prévoit cette loi ?
Guillaume Sauvage : la BNF va inscrire dans une base de données les ouvrages indisponibles, c’est-à-dire les œuvres publiées en France avant le 1er janvier 2001 qui ne sont plus éditées ou qui ne font pas actuellement l’objet d’une publication sous forme imprimée ou numérique. Passé un délai de six mois après l’inscription à ce fichier, une SPRD (Société de perception et de répartition des droits) spécialement créée à cet effet et agréée par le ministère va alors exercer son droit d’autoriser la reproduction ou la représentation sous forme numérique de l’ouvrage. Cette exploitation sous forme numérique donnera lieu à une rémunération. L’auteur ou l’éditeur d’un livre qui possède les droits de reproduction « papier » du livre pourra faire jouer son droit d’opposition dans certaines conditions.
Et si un ouvrage n’a plus d’auteur, ni d’éditeur ?
Dans ce cas, un éditeur tiers est désigné. Il dispose alors d’un droit d’exploitation non exclusive pour cinq ans et perçoit 50 % de la rémunération, déduction faite éventuellement des frais de numérisation. La part de l’auteur est perçue quant à elle par la SPRD et fera partie de ce l’on appelle les « irrépartissables ». Au bout de dix ans de recherche, la somme perçue par la SPRD lui est acquise.
Deuxième cas de figure : il y a un auteur. S’il ne se manifeste pas pour retirer son œuvre de la base de données, il touche alors 50 % du revenu. Ce qui n’est pas, en soi, un mauvais calcul, car, de manière générale, les éditeurs laissent beaucoup moins à l’auteur. Si on ne retrouve que l’éditeur historique, il a alors le droit d’exploiter l’œuvre numérisée de manière exclusive pendant dix ans.
Pourquoi le système est si critiqué ?
Pour plusieurs raisons. La première concerne précisément les auteurs et le mode d’inscription « automatique » dans la base de données. L’auteur est en fait confronté à ce que l’on appelle dans le jargon, l’opt-out. Il ne s’inscrit pas forcément de lui-même dans la base de données, c’est la BNF qui le fait, et d’ailleurs, n’importe qui peut signaler un ouvrage qu’il considère indisponible. Et c’est à l’auteur de se manifester pour supprimer son œuvre du fichier. Et c’est précisément le contraire de ce qui est dit dans le droit d’auteur français. L’autre problème, c’est que les moyens donnés à un auteur pour se « désinscrire » ne sont pas évidents à comprendre. Et, il ne faut pas louper le coche d’autant que les démarches sont diverses. Je dénombre quatre cas de figure :
Premier cas : dans les six mois qui suivent l’inscription au fichier, l’auteur prouve que son œuvre est éditée par ailleurs.
Deuxième cas : passé les six mois, l’auteur estime que la diffusion de son œuvre « nuit à son honneur ou à sa réputation » et demande le retrait de son livre. Je trouve cela assez paradoxal : comment quelqu’un peut écrire et publier un texte qu’il va par la suite considérer comme dégradant à son égard ? C’est de l’autodiffamation ?
Troisième cas : l’auteur et l’éditeur se mettent d’accord pour une exploitation numérique et ils exercent alors communément leur droit de retrait.
Quatrième cas : l’auteur prouve qu’il est seul titulaire des droits numériques de l’œuvre. Là, il y a problème. Selon le principe des cessions de droit d’auteur, quand les droits numériques ne sont pas explicitement mentionnés dans un contrat, on considère qu’ils sont conservés par l’auteur. Donc, cela devrait concerner la quasi-totalité des auteurs qui ont signé des contrats au XXe siècle au sein desquels le numérique n’était pas mentionné.
Quel est votre sentiment au vu de cette complexité ?
La finalité de la loi est bonne, je ne la critique pas. Elle pose problème aux auteurs parce qu’elle est difficilement compréhensible. Et elle est contraignante parce qu’elle va certainement nécessiter que ces derniers soient conseillés juridiquement. Par ailleurs, ils devront certainement adhérer à la SPRD créée. Tout cela a un coût. Enfin, dernier point, il faudra être vigilant à tout moment et à chaque étape sur la manière dont la loi sera appliquée. Comment sera utilisé l’argent des « irrépartissables » ? Certaines SRPD déjà existantes sont réputées – c’est la commission permanente de contrôle qui le dit dans un rapport – pour avoir une organisation parfois opaque et des frais de fonctionnement relativement élevés.
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