Après un volet sur la protection des droits sur le Web, et un décryptage des programmes des listes candidates sur le numérique, voici notre dernier article dédié aux Européennes, qui concerne cette fois les cryptomonnaies et l’euro numérique. Ces deux sujets seront en effet sur la table du législateur européen dans les prochains mois – ce qui n’a pourtant pas suscité des débats ou des propositions chez les 38 listes en lice, à quelques exceptions près.
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Cryptomonnaies : les propositions de LFI, EELV, PS-Place publique et du Parti Pirate
Du côté des cryptomonnaies, on peut distinguer trois approches : les listes qui n’en parlent pas du tout – c’est-à-dire la très grande majorité des candidats -, celles qui sont pour davantage de réglementations à l’image de LFI, de EELV, et de PS-Place publique, et celles qui militent pour, au contraire, les utiliser plus largement, à l’image du Parti Pirate.
Pour rappel, les cryptomonnaies comme le Bitcoin ou l’Ether sont des monnaies numériques qui fonctionnent grâce à la cryptographie, un moyen de sécuriser et de vérifier les transactions de manière décentralisée et non étatique. Elles reposent sur la blockchain, un registre qui enregistre les transactions faites sur le réseau de manière transparente, sécurisée et sans organe central de contrôle.
Ces monnaies numériques ne sont donc pas émises par une banque centrale et ne sont pas réglementées par un État ou un tiers – ce qui, pour ses détracteurs, permet de financer des activités illicites. Ces dernières années, le secteur a traversé plusieurs crises, avec différentes affaires qui ont terni l’image de ces monnaies numériques. Elles sont aussi critiquées pour leur aspect spéculatif et environnemental.
C’est d’ailleurs sur ces deux points (la spéculation et la consommation d’énergie) que les trois partis de gauche souhaitent œuvrer. Côté LFI, il faut « renforcer drastiquement la régulation européenne sur le secteur des cryptomonnaies et interdire les pratiques les plus spéculatives ou nuisibles sur le plan environnemental ». La liste EELV menée par Marie Toussaint souhaite « passer une nouvelle étape dans la réglementation des cryptomonnaies ». Il faut « renforcer les contrôles nationaux et européens de l’activité de prestataires de services sur actifs numériques et (renforcer) la lutte contre le financement d’activités criminelles via les cryptoactifs ».
Pour le camp de Raphaël Glucksmann (PS-Place publique), même son de cloche. La liste défend l’idée d’« obtenir une régulation plus stricte des cryptoactifs en Europe, de garantir la traçabilité des transactions (afin de) mieux lutter contre le financement du terrorisme ». Pour éviter une crise bancaire, le PS et Place publique plaident pour « finaliser la réglementation des cryptos via leur intégration dans le Règlement et la Directive concernant les marchés d’instruments financiers (MIFIR et MIFID), et en soutenant une nouvelle réglementation des cryptomonnaies (MICA 2) ».
L’année dernière, l’Union européenne a en effet adopté le règlement « MiCA » (Markets in Crypto Assets Regulation), la toute première réglementation de l’UE sur les cryptomonnaies dont l’entrée en vigueur est prévue à la fin du mois de juin. La loi introduit de nouvelles exigences en matière de transparence et de protection des consommateurs. Mais beaucoup appellent à un MiCA 2, à l’image de la liste de Raphaël Glucksmann, parce que le règlement MiCA ne couvre pas tout le secteur. Les crypto-prêts, la finance décentralisée (c’est-à-dire les services sur cryptoactifs fournis de manière totalement décentralisée sans intermédiaire) et les jetons non fongibles (NFT) sont en effet exclus du champ d’application de ce règlement.
À l’opposé de cette position pro-règlementation, le Parti Pirate souhaite que les cryptomonnaies soient davantage utilisées, car elles « peuvent jouer un rôle positif dans le développement économique », précise son programme électoral. L’organisation milite d’ailleurs pour que les cryptomonnaies puissent financer des partis politiques, notamment via des dons. Interrogé la semaine dernière par 01net.com, Pierre Beyssac, numéro 2 de la liste menée par Caroline Zorn, a reconnu que les cryptomonnaies reposaient sur « une solution qui n’est pas optimale, car consommatrice de pas mal d’énergie ». Mais cette solution, « bien que pour l’instant imparfaite », « a le mérite d’exister », a-t-il ajouté. Pour preuve, « l’expérience du bitcoin a permis de créer une première monnaie décentralisée, un premier équivalent imparfait du cash, c’est-à-dire des espèces, de manière numérique ».
Les crytomonnaies peinent néanmoins à être adoptées aujourd’hui « en raison d’obstacles technologiques et législatifs », estime l’informaticien. Pour ce dernier, « il faut que les cryptomonnaies arrivent à être acceptées par le législateur comme un équivalent potentiel des espèces ».
Haro sur l’Euro numérique
L’euro numérique, la réponse de la Banque centrale européenne (BCE) à l’essor des cryptomonnaies, n’a pas non plus eu de succès pendant cette campagne aux Européennes. Le pendant numérique de la monnaie unique est néanmoins cité dans plusieurs listes candidates aux Européennes, presque toujours pour plaider contre.
Initié dans le sillage de la crise sanitaire, le projet d’euro numérique vise à devenir l’équivalent numérique des espèces : à terme, l’objectif est qu’il soit utilisé dans la vie de tous les jours, y compris pour de toutes petites sommes.
L’initiative avait suscité une levée de boucliers lorsque la BCE s’est rapprochée d’Amazon, notamment pour concevoir « des interfaces utilisateur potentielles pour l’euro numérique ». Pour certains observateurs, le fait de confier une partie de ce projet à un acteur américain mettrait en danger la souveraineté monétaire de l’Europe.
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Son émission devrait intervenir entre 2027 et 2030, si le projet parvient à franchir toutes les étapes restantes. La dernière date de janvier dernier, lorsque la BCE a lancé un appel d’offres pour développer la plateforme et l’infrastructure technique.
D’autres critiques estiment que cette expérimentation ne doit pas complètement remplacer les espèces, un moyen de paiement qui respecte la vie privée des usagers. Cette position se retrouve chez la France Insoumise, qui demande que des garde-fous soient prévus pour cet euro numérique. Pour le camp de Manon Aubry, il faut « garantir un euro numérique 100 % public, qui ne soit ni développé ni commercialisé par des plateformes privées, qui respecte la vie privée des usagers et qui ne remplace pas l’argent liquide ».
On retrouve cette dernière idée au sein de la liste défendue par Place publique et le PS. Les deux partis souhaitent, de leur côté, « s’assurer que l’euro digital ne se fasse pas au détriment d’un accès à la liquidité ». Une inquiétude aussi relayée par Pierre Beyssac du Parti Pirate. Pour l’instant, nous a-t-il expliqué, « nous ne savons pas trop ce que donnera ce projet de monnaie numérique d’une banque centrale. Nous sommes assez sceptiques sur l’intérêt potentiel d’un euro numérique, mais nous demandons à voir ce qui peut être fait ». « L’intérêt des cryptomonnaies est de ne pas être centralisé. Or ici, il s’agirait d’une monnaie centralisée », a-t-il ajouté.
À l’inverse, certains partis d’extrême droite y sont opposés – à noter qu’il n’y a aucune mention de ce sujet dans les propositions du Rassemblement national, dont la liste est menée par Jordan Bardella. Ce n’est pas le cas de Reconquête, défendue par Marion Maréchal, qui soutient l’idée que « l’Euro numérique, s’il est vraiment établi, ne (doit pas) remplacer les autres moyens de paiement comme l’argent liquide ou le chèque. Il ne (doit pas) bénéficier de primauté ou d’exclusivité pour certains usages par rapport aux autres moyens de paiement ».
Le message est similaire chez les Patriotes, dont la liste est portée par Florian Philippot. Est défendu le fait de « constitutionnaliser l’argent liquide, gage de liberté, et de refuser l’euro numérique, outil de surveillance généralisée », sans davantage de précision. On trouve aussi des « non à l’euro numérique » dans d’autres listes, comme celles de « Forteresse Europe – liste d’unité nationaliste » et de « Non ! Prenons-nous en mains » – cette dernière n’étant pas classée à l’extrême droite de l’échiquier politique.
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