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Européennes 2024 : que proposent les candidats en matière de numérique ? Les programmes passés au crible

Que pensent les candidats aux Européennes du cloud, de l’interdiction de TikTok en Europe, de l’idée de souveraineté numérique ? 01net.com a passé au crible du numérique les programmes des principaux candidats à l’élection des Eurodéputés : voici ce qu’il faut en retenir, à moins de trois semaines du scrutin du 9 juin.

Données personnelles, cyberattaque, souveraineté européenne, semi-conducteurs… Alors que le numérique ne cesse de s’immiscer dans nos vies personnelles et dans la sphère publique, le sujet est, en France, loin d’être mis en avant par les candidats aux Européennes… à quelques exceptions près.

Pourtant, le 9 juin prochain, les électeurs désigneront leurs Eurodéputés : les futurs parlementaires, qui ont la fonction de colégislateurs dans le système européen, décideront des réglementations à venir qui s’appliqueront au monde numérique et à tous ses composants. Savoir ce que les candidats français aux Européennes comptent faire, s’ils sont élus, devrait donc être sur la table. Préconisent-ils d’interdire TikTok en Europe ? Comment pensent-ils prévenir les impacts sociaux liés à l’IA et à la probable suppression d’emplois générée par cette technologie ? Comment atteindre la « souveraineté numérique » européenne et française face aux géants américains, dans un contexte de guerre technologique sino-américaine ? Faut-il ralentir le numérique pour sauver la planète ?

Les réponses à ces questions, loin d’être discutées par la majorité des têtes de liste aux Européennes pendant les débats, se trouvent en partie dans les programmes des listes électorales. Si certaines listes n’ont fait que saupoudrer leurs propositions de quelques pincées de mesures relatives au numérique, d’autres y ont consacré une bonne partie de leur plaidoyer — à l’image du parti Pirate.

Pour y voir plus clair, 01net.com a épluché les programmes des principales listes en lice, nos demandes d’interview sur le numérique ayant été déclinées ou étant restées sans réponse à l’heure de la publication de cet article. Pour ce premier article sur la couverture des Européennes, nous nous en sommes tenus aux listes qui dépassaient les 5 % d’intentions de vote, selon un sondage Ipsos du 15 mai dernier – 5 % étant le seuil permettant d’obtenir un Eurodéputé pour une liste qui candidate à ces élections.

Chez la France Insoumise, souveraineté et protection des droits

Chez la France Insoumise, de nombreux pans du numérique sont abordés. À commencer par celui de la neutralité du Net, que la liste de Manon Aubry souhaiterait faire inscrire dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (UE). S’en suivent des mesures liées à l’idée de souveraineté dans différents domaines. 

  • LFI souhaite ainsi que l’UE déploie des câbles sous-marins alternatifs européens, à côté de ceux mis en place par les géants du numérique.
  • Le parti défend l’idée de développer des supercalculateurs et de relocaliser les infrastructures numériques (nœuds internet, centres de données) sur le territoire européen.
  • A ce sujet, LFI plaide aussi pour « organiser le déploiement de plateformes d’hébergement de données de santé publiques sécurisées dans chaque pays membre afin de garantir une souveraineté nationale aux membres de l’Union européenne sur leurs données de santé », sans toutefois préciser s’il faudrait passer par un cloud souverain.

La liste de Manon Aubry évoque aussi les accords de transfert de données personnelles qu’il faudrait refuser. Ce sont ces traités internationaux qui autorisent le transfert de nos datas de l’Europe aux États-Unis par exemple. Cette proposition semble difficilement réalisable, car dans le système de l’UE, seule la Commission européenne peut prendre des décisions d’adéquation qui autorisent de tels transferts, comme nous vous l’expliquions dans cet article.

À lire aussi : Pourquoi le transfert de vos données personnelles aux Etats-Unis est un incroyable casse-tête

À rebours d’autres candidats qui déplorent une « sur-règlementation européenne », LFI estime que pour être davantage souverain, il faut réguler encore plus les géants du numérique, en ajoutant par exemple au DSA une « politique de modération des contenus en ligne alternative et inclusive, transparente dans ses algorithmes et respectueuse des travailleurs des plateformes de microtravail (modération en ligne, assistance des intelligences artificielles) ».

En matière d‘IA, c’est le volet sécuritaire qui est mis en avant : LFI plaide pour une interdiction « des identifications biométriques et les technologies répressives », l’introduction « de principes de précaution environnementaux et éthiques avec une autorité européenne dédiée », ou encore le fait de favoriser « le développement des IA européennes et des bases de données ouvertes pour leur entraînement ».

La liste de Manon Aubry propose aussi de s’attaquer au droit d’auteur, en protégeant davantage les secteurs culturels et créatifs face à l’IA via la transparence des algorithmes. Le parti milite pour « la création de statuts juridiques spécifiques pour les œuvres créées par IA ou ayant eu recours à cette dernière ». Il défend enfin une « planification numérique axée sur les secteurs du logiciel libre », qui s’articulerait avec une « planification écologique du numérique ».

Programme de LFI

Pour Place publique – PS : il faut un « Buy European Act »

Pour la liste menée par Raphaël Glucksmann, la souveraineté est aussi de mise. Il faut « assurer notre souveraineté numérique en menant une politique industrielle offensive, en créant un fonds souverain pour investir dans le numérique ». Car « si on a posé le cadre règlementaire » « qu’il ne s’agit pas de détricoter », « ce qu’il faut désormais, ce sont des investissements et c’est une planification », soutenait Raphaël Glucksmann en avril dernier, lors « des auditions du Medef », un événement au cours duquel l’organisation patronale avait invité les sept principales têtes de liste de l’élection européenne.

La liste PS-Place publique met ainsi en avant un « Buy European Act », selon lequel les entreprises européennes seraient systématiquement privilégiées pour toute commande publique. Il faudrait d’ailleurs rapatrier la production « dans tous les secteurs stratégiques ». Une autre idée serait « d’imposer des obligations de financement aux géants étrangers en contrepartie de l’accès à notre marché et en poussant un accord international sur l’intelligence artificielle ».

Une partie du programme de Place Publique et du PS a également trait à la lutte contre la fracture numérique. Ces deux partis souhaitent imposer que tout investissement privé dans le numérique s’accompagne de financements pour renforcer les infrastructures et services numériques dans les territoires ruraux. Ils plaident aussi pour « assurer l’éducation aux médias et au numérique partout en Europe ».

Dernier point évoqué : la nécessaire régulation de « l’espace numérique et des réseaux sociaux pour lutter contre le cyberharcèlement, les pratiques abusives, la manipulation de l’information et les ingérences étrangères en ligne ».

Interrogé lors des auditions du Medef, Raphaël Glucksmann a aussi plaidé pour développer massivement l’Enissa, l’institution qui s’occupe de cybersécurité en Europe. « Il faut qu’on devienne sérieux ensemble sur la question de la sécurité. Sinon, cet espace-là (numérique) ne sera jamais florissant », a soutenu celui qui a dirigé au Parlement européen la commission spéciale contre les ingérences étrangères.

Programme du PS-Place publique

Chez Renaissance (majorité présidentielle, Modem, Horizon et UDI), supercalculateurs et contrôle des écrans pour les jeunes

Côté majorité présidentielle et ses alliés, la liste de Valérie Hayer (Besoin d’Europe) préconise comme les autres de mettre en place une « préférence européenne » (Buy European Act) – oui, c’est le leitmotiv de cette édition 2024. Dans le programme, il est écrit noir sur blanc que « toute aide publique doit être conditionnée à une obligation de localiser ou rapatrier une partie de la production en Europe. Tout marché public doit privilégier la production européenne ».

Est aussi défendue l’idée de mettre en place un « choc d’investissement pour les technologies de rupture », comme le soutenait l’Eurodéputée Renaissance en avril dernier.

Différentes technologies ou secteurs sont listés. Renaissance et ses partenaires se donnent cinq ans pour :

  • atteindre des « capacités de calcul de rang mondial, dont 3 des 5 supercalculateurs parmi les plus puissants au monde ».
  • Côté espace, il s’agit de mettre en place « une nouvelle génération de lanceurs réutilisables et une mission lunaire européenne ».
  • La liste propose aussi de « favoriser l’émergence de champions européens dans le développement des jeux vidéo et valoriser les talents du e-sport », sans donner plus de précisions.
  • Sont aussi évoqués la promotion « des véhicules propres produits en Europe, et d’un avion vert ».

Renaissance et ses alliés défendent l’idée d’un autre modèle du numérique européen. Lors d’un événement organisé par « Convergences Numériques » auquel 01net.com a assisté – il s’agit d’un collectif de 10 associations et 21 clusters régionaux du secteur numérique – Clément Beaune, porte-parole de campagne de Renaissance et ex-ministre de l’Europe et des Transports, a expliqué sa vision « du modèle du numérique européen à défendre ». Ce dernier ne serait ni américain « avec un modèle de laissez-faire qui n’est pas le nôtre », ni chinois (avec des sujets censurés), mais davantage démocratique, avec un pendant lié à la protection des enfants.

Valérie Hayer mise ainsi sur la santé des enfants et des adolescents, avec tout un volet du programme sur le rapport aux écrans des jeunes, suite notamment au rapport sur le sujet rendu à Emmanuel Macron en avril. Pour Pascal Canfin, n° 4 de la liste, « la maîtrise des écrans est un sujet démocratique fondamental, un sujet de santé mentale des ados, qui concerne tous les parents ».

A lire aussi : Comment « sortir l’Europe de sa naïveté technologique et industrielle » ? Emmanuel Macron livre sa feuille de route sur le numérique

Le programme mise ainsi sur le fait de « mieux protéger nos enfants avec la majorité numérique à 15 ans sur les réseaux sociaux, le contrôle parental par défaut sur les mobiles et la vérification systématique de l’âge pour l’accès aux sites internet interdits aux mineurs ».

Programme de Besoin d’Europe

Au Rassemblement national : l’heure est à l’investissement et à la révision des règles européennes

Côté Rassemblement national, on mise aussi sur de l’investissement, avec un pendant sur la révision des règles européennes de la concurrence. La tête de liste du RN, Jordan Bardella, défend l’idée de « revoir les règles de la concurrence européenne pour autoriser la concentration des acteurs et créer des champions européens du numérique qui atteindront ainsi une taille critique au niveau mondial ».

Il s’agirait de « sanctuariser les secteurs stratégiques et de souveraineté face aux règles de concurrence de l’UE ». La liste RN défend d’ailleurs le fait de « décréter une pause règlementaire et engager le chantier de la simplification », en référence aux nombreuses nouvelles lois sur le numérique (Data Act, AI Act, DSA et DMA pour les plus connues) qui ont été adoptées par l’UE ces dernières années. Le Rassemblement national souhaite mettre en place un cloud souverain qui serait étanche aux « ingérences juridiques américaines et chinoises », un point actuellement discuté au sein de l’EUCS, le référentiel européen de cybersécurité pour l’hébergement de nos données les plus sensibles.

Au sein du parti de Marine Le Pen aussi, le mot souveraineté au niveau français comme au niveau européen jalonne la quinzaine de pages de son programme aux Européennes. Lors des auditions du Medef, la tête de file de l’extrême droite a expliqué, mi-avril, que l’ambition était, en cinq ans, de rattraper le retard pris en matière d’intelligence artificielle. « Cela passe par une énergie, je l’ai dit, pas chère pour nos start-up ».

Le RN prône dans son programme le rétablissement d’un prix français de l’électricité et « la fin des règles du marché européen de l’énergie », sans expliquer comment atteindre ce point. Il milite aussi pour « des investissements en faveur des start-up, des initiatives françaises, comme Mistral AI, (…) qu’il faut évidemment soutenir, accompagner, promouvoir. Il faut cesser de maltraiter nos chercheurs et nos savants qui, bien trop souvent, sont contraints de partir à l’étranger. Il faut évidemment augmenter notre budget R&D ».

Le programme du RN mentionne l’élargissement et l’assouplissement des domaines des Piiec (les grands programmes R&D européens) pour « créer un environnement complet en faveur de l’IA ».

Programme du RN

EELV : sobriété et encadrement des data centers

Côté EELV, les mesures liées au numérique sont distillées çà et là dans le programme de 171 pages. La liste de Marie Toussaint prône un « Digital Green and Social Deal pour soutenir les organisations qui façonnent des services et produits numériques bons pour les humains et la planète (notamment dans les technologies bas-carbone et à empreinte écologique minimale) ».

Elle souhaite « orienter les pratiques numériques vers la sobriété, la réparabilité », soit « optimiser et encadrer le secteur du numérique pour en faire un outil de la sobriété et de l’efficacité ».

Une mesure susceptible de gêner certains géants du numérique consisterait à « interdire l’accès aux marchés publics européens et aux marchés financiers de tous les opérateurs, dont les entreprises, hébergeant des activités dans les paradis fiscaux, dont le Luxembourg ». Amazon et PayPal ont notamment leur siège européen au Luxembourg.

D’autres propositions ont trait à :

  • l’interdiction totale des logiciels espions par les États pour surveiller les médias ;
  • la réglementation plus importante des « crypto-monnaies afin de renforcer les contrôles nationaux et européens de l’activité de prestataires de services sur actifs numériques et la lutte contre le financement d’activités criminelles via les crypto-actifs ».
  • un « soutien à la création culturelle et les droits des artistes face à l’IA », sans donner plus de précision.
  • l’encadrement de la consommation des datacenters sur le sol européen sur l’énergie, l’eau et les gaz et substances de refroidissement — avec un volet transparence sur la localisation, le nombre et l’impact environnemental des datacenters.
  • le fait de briser le monopole des GAFAM en Europe en s’appuyant sur le DMA (Digital Markets Act), à élargir à d’autres activités monopolistiques que celles actuellement couvertes ; en soutenant « le développement d’alternatives européennes aux GAFAM, en sortant de la logique de géants oligopolistiques, avec des investissements européens ciblés vers la souveraineté numérique européenne, le développement de logiciels libres et la contribution des acteurs du numériques à la transition juste ».
  • le parti souhaite enfin finaliser la création du passeport numérisé des produits informant les consommateurs sur les conditions de production et l’empreinte carbone, matière et sociale des produits.

Programme EELV

Les Républicains prônent l’interdiction de TikTok et la possibilité de vendre ses données personnelles

Côté LR, François-Xavier Bellamy propose d’investir massivement dans l’IA, avec la création d’un « fonds européen pour l’accompagnement des transformations de l’économie liées à la révolution de l’IA ». La liste de droite souhaite mettre en place un « plan pour créer des champions européens de l’IA et de la cybersécurité ».

Les conservateurs souhaitent aussi s’attaquer au spatial, en « créant les conditions pour que l’UE devienne une puissance spatiale et en fixant un objectif d’autonomie pour le lancement de nos satellites ».

Ils prônent aussi l’établissement, à l’échelle de l’UE, d’un « véritable droit de propriété sur nos données personnelles, pour redonner de la maîtrise aux citoyens face à la domination des grandes entreprises américaines et chinoises. « Un individu devrait pouvoir choisir de privilégier sa vie privée ou de vendre ses données personnelles à certains ou tous les grands acteurs du numérique », avancent-ils.

La liste LR est l’une des rares à préconiser l’interdiction de TikTok. Il faut que « l’Union européenne interdise les plateformes et les réseaux sociaux sous le contrôle de gouvernements autoritaires comme TikTok qui est clairement sous le contrôle du gouvernement chinois. Les réseaux sociaux doivent également être interdits aux jeunes avant l’âge de 15 ans dans toute l’Union européenne en créant une majorité numérique », peut-on lire dans le programme.

Les Républicains veulent aussi assouplir les règles sur les aides d’État, et les autoriser par défaut dans les secteurs stratégiques pour créer des champions européens qui pourraient être financés par un livret d’épargne européen.

Programme des LR

Reconquête veut alléger l’IA Act

Pour la liste de Marion Maréchal, il faut relocaliser sur le sol européen les données des sociétés et des particuliers et encourager la construction et la sécurisation des data centers sur le Vieux continent. Le parti souhaite aussi « favoriser l’écosystème entrepreneurial européen, notamment dans le secteur clé de l’IA, comprenant les garde-fous éthiques en conformité avec nos valeurs de civilisation mais sans excès de normes qui nous priverait de toute compétitivité ». Il s’agirait notamment de « retravailler l’IA Act pour s’assurer que la régulation n’aboutisse pas à une entrave finalement de l’innovation et de la création », expliquait la femme politique en avril dernier lors des auditions du Medef.

À côté des objectifs de souveraineté technologique « pour les institutions et certains secteurs stratégiques (matériel informatique et cloud européen pour les institutions, lanceurs européens pour les satellites) », le parti de Marion Maréchal préconise aussi un Buy European Act. Reconquête souhaite enfin « lancer des programmes de recherche en robotique/IA/numérique », sans donner davantage de détails.

Programme de Reconquête

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Stéphanie Bascou