Jean-François Théodore a longtemps joué les VRP de la Bourse de Paris, au début des années quatre-vingt-dix, à une époque où le marché était encore éclaboussé par les scandales des ex-agents de changes, dont le monopole venait d’être aboli.Depuis, cet ancien haut fonctionnaire du Trésor (il n’aime pas qu’on lui rappelle ce passé) a créé Euronext, la plateforme boursière électronique commune à Paris, Bruxelles et Amsterdam. C’est tout à son honneur.Il reste qu’il est en train d’ourdir dans l’ombre une grande lessive de la cote européenne. Au siège de SBF-Parisbourse-Euronext, c’est motus et bouche cousue. Mais la place consulte et informe les professionnels depuis plus de six mois sur ce chantier, dont Le Nouvel Hebdo révèle les fondations.
Deux labels…
Dans un premier temps, il s’agit de créer deux catégories de valeurs. Celles qui appartiennent au secteur de ” l’économie traditionnelle ” et celles de la ” nouvelle économie au sens large “. Les premières seront estampillées du label Next Prime, les secondes de celui de Next Economy. Pour bâtir cette nomenclature, Euronext va s’appuyer sur les indices FTSE du London Stock Exchange. Mais attention : il ne s’agit pas ?” pour le moment au moins ?” de créer deux nouveaux marchés en plus des places existantes (Premier Marché, Second Marché, Nouveau Marché).“Officiellement, ces labels ont pour but de refléter les métamorphoses récentes de l’économie européenne et de rendre les comparaisons entre valeurs plus pertinentes”, ironise, sous le couvert de l’anonymat, le directeur financier d’une entreprise cotée au Nouveau Marché. “Le marché n’en sera que plus transparent et il faut s’en réjouir “, commente à l’inverse un gestionnaire de fonds.Euronext précise ?” c’est pratiquement la seule information qui soit actuellement communiquée à la presse ?” que les candidatures à ces labels seront facultatives. Aucune entreprise ne sera contrainte à la labélisation. On pourrait en déduire que le projet d’Euronext accorde une grande liberté aux entreprises cotées. Si l’on pousse un peu l’analyse, on s’aperçoit qu’il n’en est rien !
Critères coûteux
En effet, pour être éligible à l’un ou l’autre des labels, les entreprises devront répondre à trois principaux critères. Premièrement, elles devront publier des résultats et des comptes de trésorerie certifiés par deux commissaires aux comptes (jusqu’ici, seules les publications trimestrielles de chiffre d’affaires étaient obligatoires). Ensuite, les comptes devront être conformes aux normes IAS (International Account Standard), telles qu’elles seront adoptées par l’Union européenne un peu avant le 31 décembre 2002. Il est vrai qu’il faut bien harmoniser les normes comptables au niveau communautaire, voire mondial. Faut-il pour autant aller si vite ?Enfin, les communiqués devront être publiés en deux langues, l’anglais et la langue domestique de l’entreprise.Ces trois critères principaux ne sont pas sans inquiéter, sur le Nouveau Marché notamment. En attendant, la grogne est manifeste, même si elle se fait discrète, de crainte de se fâcher avec Euronext. “Pour une société de notre taille, avec un chiffre d’affaires de l’ordre de 2,3 millions d’euros [15 millions de francs], cela nous impose un surcroît de contraintes matérielles et financières. On peut estimer le surcoût à quelque 220 000 euros. Dans la conjoncture actuelle, où beaucoup d’entreprises ont une trésorerie exsangue, on s’en serait bien passés “, tempête le PDG d’une société du Second Marché.” Plus de transparence, c’est fort bien. Mais pourquoi ne pas l’avoir imposé plus tôt au lieu d’attendre d’être en bas de cycle boursier. Quel intérêt a-t-on à dépenser beaucoup d’argent pour rendre nos comptes et notre communication financière plus transparents alors que les analystes et les gestionnaires de fonds ne suivent plus notre entreprise, sous le prétexte qu’en dessous d’un cours de 10 euros, nous générons trop de frais de transactions dans la gestion des portefeuilles. Autant travailler pour le roi de Prusse “, renchérit un autre patron.Il met-là le doigt sur l’aspect le plus critiquable du lifting de la cote. En effet, une entreprise qui renoncera à se faire labéliser aura son image ternie au sein de la communauté financière. “On est en train de créer une classe de bons et de mauvais élèves. Ce n’est pas ainsi que l’on va sauver le Nouveau Marché, en chute de 80 % depuis le début de l’année “, critique un spécialiste des introductions en Bourse. La réforme de la cote peut se révéler discriminatoire ! “Préféreriez-vous que nous pratiquions l’exclusion de la cote des valeurs qui cotent moins d’un euro, comme sur le Neuer Markt allemand ? “, demande un proche de la place boursière. À l’écouter, les entreprises délaissées du Nouveau Marché n auraient à choisir qu’entre deux inconvénients : le déférencement ou la marginalisation !
Le compte des transactions
Cet argument évoqué par les représentants d’Euronext a suscité un véritable tollé lors de réunions préparatoires auprès de chefs d’entreprises cotées au Nouveau Marché. Mais il y a plus grave. Ce qui, à l’avenir, pourrait poser problème pour les jeunes pousses du Nouveau Marché, c’est le niveau de liquidité.Les valeurs qui auront le label Next Economy ou Next Prime devront impérativement être cotées en continu, selon les documents internes d’Euronext(*). Là aussi, les règles sont sans appel. En dessous de 2 500 transactions par an (soit 10 transactions qutidiennes) lesdits titres ne pourront pas être cotés en continu. Ils n’auront alors que le choix entre le fixing (une seule cotation par jour) et, moyennant des rémunérations élevées, le recours à des ” teneurs de marchés ” qui se portent acquéreurs à l’achat comme à la vente des titres de la société afin de nourrir le volume des transactions. Mais quelles sont les entreprises du Nouveau Marché qui sont en mesure de s’offrir un tel luxe ?
(*) Plus précisément, lire, parmi les documents d’Euronext, la fiche numéro 3.
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