Faîtes ce que je dis, mais pas ce que je fais : en passant par une société écran, les États-Unis auraient discrètement continué à utiliser un logiciel espion conçu par l’entreprise israélienne NSO, une société pourtant mise au pilori depuis l’affaire Pegasus. Une enquête du New York Times parue le 4 avril dernier révèle l’existence d’un contrat qui aurait été conclu par l’administration américaine à peine cinq jours après le placement de cette entreprise sur liste noire.
Rappel des faits : en 2021, l’affaire Pegasus éclate. Un consortium de journalistes international pointe du doigt Pegasus, un type de logiciels espions vendus par NSO comme étant un moyen de lutter contre le terrorisme ou le crime organisé. Mais il était surtout acquis par des gouvernements pour espionner des opposants politiques, des journalistes ou des défenseurs des droits humains. Quelques semaines plus tard, l’entreprise israélienne était placée sur la liste noire par les États-Unis. La Maison Blanche expliquait que l’entreprise était une menace pour la sécurité nationale, et invitait les entreprises américaines à cesser toute affaire en cours avec cette société.
Objet du contrat : un outil de géolocalisation ciblant des Mexicains
Or, cinq jours après cette déclaration, une mystérieuse convention a bien été signée pour déployer un des logiciels d’espionnage de cette société : Landmark, un outil de géolocalisation. Si le contrat, en apparence toujours en vigueur, ne précise pas quelle agence gouvernementale a fait appel à ce logiciel, elle devait permettre au « gouvernement des États-Unis » de tester, évaluer et déployer cet outil d’espionnage. Ce dernier permet notamment de suivre des téléphones portables dans le monde entier sans que l’utilisateur du téléphone ne le sache ou n’y consente. L’objectif était de viser des cibles au Mexique, selon le contrat consulté par nos confrères.
Nuance qui a son importante : la convention secrète n’aurait pas été conclue directement au nom du gouvernement américain. Elle aurait été signée par une société écran, « Cleopatra Holdings », la même entreprise utilisée par le FBI en 2019, détaillent nos confrères. L’année dernière, le New York Times montrait que le FBI était aussi passé par cette société écran en 2019 pour acheter l’accès à cet outil de piratage, avant le placement sur liste noire de la société israélienne. NSO serait, elle, passée par une filiale américaine.
Le contrat aurait permis des milliers de géolocalisations
Selon deux sources du quotidien new-yorkais, le contrat n’était pas une coquille vide. Il aurait donné lieu à des milliers de « requêtes » dans au moins un pays, le Mexique, une requête étant une tentative individuelle de localisation d’un téléphone.
Interrogé par nos confrères, un haut-fonctionnaire de l’administration américaine a expliqué qu’il n’avait pas connaissance de ce contrat. Mais « toute utilisation de ce logiciel serait très préoccupante », a-t-il ajouté. De leur côté, les porte-paroles de la Maison Blanche et du Renseignement ont refusé de commenter cette affaire.
Cette information, publiée le 4 avril dernier, tombe d’autant plus mal que quelques jours plus tôt, Joe Biden annonçait la signature d’un décret au Sommet pour la démocratie. L’objectif : interdire le recours aux logiciels espions développés par des entreprises privées à toutes les agences gouvernementales américaines. Il invitait les autres pays à prendre des mesures similaires. Or, selon le haut-fonctionnaire interrogé, ce contrat violerait le décret en question.
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Dans cette affaire, de nombreuses questions restent sans réponse. S’agit-il d’une initiative malencontreuse ? Qui était au courant de l’existence de ce contrat, et quelle agence gouvernementale en a bénéficié ? Si aucune réponse n’a pour l’instant été apportée, ce contrat illustre bien la bataille interne qui peut se jouer au sein des différents services de l’administration américaine. D’un côté, les responsables politiques exigent, après l’affaire Pegasus, que le recours à cette technologie de surveillance allant à l’encontre des droits de l’homme soit de plus en plus limité. De l’autre, les services de renseignement plébiscitent ce type d’outils et réclament le droit de pouvoir y recourir comme bon leur semble. Et parfois, il semblerait que les deux visions finissent par trouver un terrain d’entente. Seule condition : que tout ceci ne finisse pas sur la place publique. Objectif raté pour cette fois.
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Source : The New York Times